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Frances Oldham Kelsey

Frances Oldham Kelsey, C.M., pharmacologue (née le 24 juillet 1914 à Cobble Hill en Colombie-Britannique; décédée le 7 août 2015 à London en Ontario). En tant qu’employée de la Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis, Frances Oldham Kelsey a bloqué la vente de la thalidomide aux États-Unis. Il s’est avéré plus tard que le médicament, qui avait été largement prescrit en Europe et au Canada, causait de graves déformations congénitales chez les enfants dont la mère avait pris le médicament pendant sa grossesse. En reconnaissance de son « jugement exceptionnel » et de sa détermination, Frances Oldham Kelsey a reçu le President’s Award for Distinguished Federal Civilian Service. Frances Oldham Kelsey et son travail ont été largement salués aux États-Unis, mais sont moins connus au Canada. Elle a été nommée membre de l’Ordre du Canada peu avant son décès. (Voir aussi Thalidomide au Canada.)

Dre Frances Oldham Kelsey

Dre Frances Oldham Kelsey
Portrait de la Dre Frances Oldham Kelsey (date inconnue).
(avec la permission de la National Library of Medicine, History of Medicine Collection, A018057/Wikimédia, CC)

Éducation

Frances Oldham naît à Cobble Hill sur l’île de Vancouver, et elle est la fille d’un officier de l’armée britannique à la retraite. Elle obtient un baccalauréat en sciences (1934) et une maîtrise en sciences (1935) à l’Université McGill. Après l’obtention de ses diplômes, elle continue à travailler avec son superviseur, le Dr Stehle, professeur de pharmacologie.

En 1936, le Dr Stehle l’encourage à postuler pour une bourse d’assistante de recherche ou de doctorat avec le Dr E.M.K. Geiling, de l’Université de Chicago. Le Dr Geiling, qui est en train de créer un nouveau département de pharmacologie, écrit en réponse à « Monsieur Oldham, » pour lui offrir le poste d’assistant de recherche et une bourse pour le programme de doctorat. Cette erreur trouble Frances Oldhman. Des années plus tard, elle remarque :

« Un seul détail me dérangeait un peu dans cette lettre. La lettre commençait par, “Cher monsieur Oldham,” et cela pesait sur ma conscience. Je savais que les employeurs préféraient embaucher des hommes à cette époque. Devais-je lui répondre en expliquant que Frances avec un “e” était un prénom féminin, tandis qu’avec un “i”, c’était un prénom masculin? Le Dr Stehle m’a dit : “Ne soyez pas ridicule. Acceptez le poste, signez votre nom suivi de Mlle entre parenthèses, puis allez-y!” C’est ce que j’ai fait et, à ce jour, je ne sais toujours pas si j’aurais franchi cette première étape importante si mon prénom avait été Elizabeth ou Mary Jane. Mon professeur à Chicago, jusqu’à la toute fin de sa vie, n’a jamais admis ou nié qu’il aurait pu en être autrement. »


Frances Oldham commence ses études à l’Université de Chicago en mars 1936. Pendant qu’elle travaille avec le Dr Geiling, elle est impliquée dans l’étude de la sulfanilamide, un médicament très efficace dans le traitement de la pneumonie et des infections à streptocoque et à staphylocoque. Afin de rendre le médicament plus facile à prendre et plus agréable au goût pour les enfants, un manufacturier décide de le faire en solution liquide. Puisque la sulfanilamide n’est pas soluble dans l’eau ni dans l’alcool, la compagnie utilise du diéthylène glycol (antigel); la solution est mise sur le marché sans avoir été testée. Des décès sont rapidement signalés et la FDA saisit autant du produit sur le marché qu’elle le peut.

Comme la FDA ne possède ni l’expertise scientifique ni les installations nécessaires à cette époque, elle demande l’aide du Dr Geiling pour déterminer si c’est la sulfanilamide ou le solvant qui est responsable des décès. En tant qu’étudiante du Dr Geiling, Frances Oldham a la tâche de superviser les études sur les animaux, qui montrent rapidement que le diéthylène glycol est en cause. Cette affaire mène à l’adoption du Food, Drug, and Cosmetic Act en 1938.

Cette même année, Frances Oldham obtient son doctorat en pharmacologie de l’Université de Chicago.

Début de carrière

Frances Oldham continue ses travaux de recherches postuniversitaires au département de pharmacologie de l’Université de Chicago. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, elle fait partie d’une équipe de recherche qui a pour mandat de trouver et de tester de nouveaux médicaments antipaludiques. Elle fait la connaissance de Dr Fremont Ellis Kelsey, un collègue au département, qu’elle épouse en 1943. Cependant, l’université a pour politique qu’aucun département ne peut employer deux membres d’une même famille. Frances Oldham Kelsey décide donc de commencer des études en médecine en 1946. Elle donne naissance à deux filles pendant ses études, et elle reçoit son diplôme en médecine en 1950.

Frances Oldham Kelsey n’a que peu d’intérêt pour la pratique de la médecine et après l’obtention de son diplôme, elle devient rédactrice adjointe au Journal of the American Medical Association. En 1952, son mari se fait offrir le poste de chef du département de pharmacologie à l’Université South Dakota Medical, à Vermillion. Tout comme l’Université de Chicago, la politique de cette université est qu’aucun membre d’une même famille ne peut enseigner dans le même département. Frances Kelsey commence donc un internat en médecine dans un hôpital voisin, suivi d’une bourse d’enseignement d’une durée de trois ans financée par une grande compagnie pharmaceutique. Ce financement extérieur lui permet d’enseigner et de faire de la recherche à l’université, de 1954 à 1957. Après la fin de sa bourse, elle poursuit ses recherches à titre de bénévole et à l’occasion, elle remplace des médecins qui sont en vacances ou partis à des conférences.

En 1960, Frances Oldham Kelsey et sa famille déménagent à Washington DC, afin qu’elle prenne un poste avec la Food and Drug Administration. Son mari obtient un poste avec le National Institutes of Health.

Thalidomide

Un mois après avoir commencé à travailler pour la FDA, Frances Oldham Kelsey est affectée au Bureau of Medicine en tant qu’agente de revue des demandes de nouveaux médicaments. Un de ses premiers dossiers de révision est une demande de la compagnie Merrell pour la vente de la thalidomide aux États-Unis. La thalidomide, un médicament imunomodulateur, est développée en Allemagne pendant les années 1950. Elle est initialement prescrite en tant que sédatif, mais on la donne rapidement aux femmes enceintes pour atténuer les nausées. En 1960, la thalidomide est utilisée couramment en Europe et à travers le monde (y compris au Canada).

Cependant, Frances Oldham Kelsey et deux de ses collègues de la FDA (un chimiste et un pharmacologue) ont des doutes au sujet de la sécurité de la thalidomide et estiment que les études sont à la fois insuffisantes et peu concluantes. Frances Oldham Kelsey est également préoccupée par un rapport publié dans le British Medical Journal au sujet des effets secondaires chez les patientes qui prennent régulièrement le médicament. Elle soupçonne également que la thalidomide pourrait nuire aux fœtus. Elle refuse donc d’approuver la thalidomide, ce qui bloque la vente du médicament qui a déjà été administré à quelques patientes américaines lors d’essais cliniques.

Les inquiétudes de Frances Oldham Kelsey sont confirmées en novembre 1961 lorsque des rapports émergent de l’Allemagne et du Royaume-Uni signalant que les femmes ayant pris de la thalidomide pendant leur grossesse accouchent de bébés présentant de graves malformations congénitales. La plus frappante malformation des membres est celle appelée phocomélie, qui fait que les mains ou les pieds (parfois les deux) commencent directement à la première articulation (c’est-à-dire à l’épaule ou à la hanche). Des bébés naissent également avec une fente palatine, des oreilles anormales ou absentes, des problèmes rénaux ou cardiaques, des troubles du système digestif et des anomalies de la moelle épinière. À la fin de décembre 1961, le médicament est retiré des marchés de l’Allemagne de l’Ouest et du Royaume-Uni.

La Dre Helen Taussig, une cardiologue pédiatrique américaine, se rend en Allemagne pour enquêter sur ces rapports et elle conclut que la thalidomide est effectivement responsable de l’épidémie de malformations congénitales dans ce pays. En 1962, elle rédige un article intitulé « A Study of the German Outbreak of Phocomelia » (une étude de l’épidémie de la phocomélie en Allemagne) dans le Journal of the American Medical Association. Cet article, ainsi que son témoignage devant le Congrès américain, contribue à aider Frances Oldham Kelsey à interdire de façon permanente la vente de la thalidomide aux États-Unis. (En 1998, la FDA approuve la thalidomide pour le traitement du erythema nodosum leprosum, une complication de la lèpre.)

Dre Frances Oldham Kelsey

Dre Frances Oldham Kelsey
La Dre Frances Oldham Kelsey, photographiée avec une balance.
(avec la permission de la National Library of Medicine, History of Medicine Collection, A018057/Wikimédia, CC)

Carrière à la FDA

La participation de Frances Oldham Kelsey dans le cas de la thalidomide contribue à l’amélioration de la réglementation pharmaceutique aux États-Unis. En 1962, le gouvernement promulgue les amendements sur les Kefauver-Harris Drug Amendments qui exigent que : 1) les médicaments soient reconnus comme étant sûrs et efficaces; 2) les effets indésirables soient signalés à la FDA; et 3) un consentement éclairé soit obtenu des patients impliqués dans les essais cliniques.

Frances Oldham Kelsey poursuit son travail avec la FDA jusqu’en 2005, alors qu’elle est âgée de plus de 90 ans. Tout au long des décennies que dure sa carrière, elle travaille sans relâche pour protéger les patients américains. En 1967, la FDA crée la Division of Scientific Investigations, qui est chargée d’inspecter le travail des chercheurs cliniques, les expériences sur animaux et les comités d’évaluation institutionnels impliqués dans les essais de médicaments. Frances Oldham Kelsey est la première directrice de la division et elle reste à ce poste jusqu’en 1995. Cette année-là, à 81 ans, elle devient adjointe des affaires scientifiques et médicales du Office of Compliance qui fait partie du Center for Drug Evaluation and Research de la FDA.

Honneurs

Le 7 août 1962, Frances Oldham Kelsey reçoit le President’s Award for Distinguished Federal Civilian Service décerné par le président John F. Kennedy. Pendant la présentation, elle est félicitée pour son professionnalisme et son dévouement :

« Son jugement exceptionnel dans l’évaluation d’un nouveau médicament destiné à l’usage humain a prévenu une tragédie majeure de malformations congénitales aux États-Unis. Grâce à ses grandes compétences et sa confiance inébranlable en sa décision professionnelle, elle a apporté une contribution exceptionnelle à la protection de la santé du peuple américain. »


Frances Oldham Kelsey reçoit de nombreuses autres distinctions aux États-Unis : en 2000, elle est intronisée au National Women’s Hall of Fame et, en 2001, elle devient mentore virtuelle pour la American Medical Association. En 2006, elle reçoit le prix Foremother du National Research Center for Women and Families. En 2010, 50 ans après que Frances Oldham Kelsey ait reçu la demande d’approbation de la thalidomide, la FDA crée un prix annuel en son honneur. Elle est moins connue au Canada, bien que la ville de Mill Bay en Colombie-Britannique ait nommé une école secondaire en son honneur dans les années 1990. Le 6 août 2015, Frances Oldham Kelsey est nommée membre de l’Ordre du Canada; elle meurt le lendemain. L’astéroïde Kelsey (6260) est nommé en son honneur.

La Dre Frances Oldham Kelsey et le président John F. Kennedy

Legs

Le professionnalisme, la perspicacité et la force de caractère de Frances Oldham Kelsey ont fort probablement sauvé des milliers d’enfants américains de graves malformations et de sévères handicaps. On estime que plus de 10 000 enfants dans 46 pays sont nés avec des malformations causées par la thalidomide (on ignore combien de bébés sont morts, mort-nés ou ont fait l’objet d’une fausse couche en raison de ce médicament).

Le travail de Frances Oldham Kelsey est présenté dans un documentaire de 2021, Tracing Thalidomide : The Story of Frances Kelsey. En 2024, la Lost Women of Science Initiative lance une série de balados en cinq parties, The Devil in the Details : Frances Oldham Kelsey, the Doctor Who Said No to Thalidomide. Cette même année, une biographie de Frances Oldham Kelsey est publiée; Frances Oldham Kelsey, the FDA and the Battle Against Thalidomide (2024). Elle est écrite par l’historienne médicale Cheryl Krasnick Warsh, professeure d’histoire à l’Université de l’île de Vancouver.

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Lecture supplémentaire

  • Frances Oldham Kelsey, Autobiographical Reflections (1993)


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