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Thalidomide au Canada

La thalidomide est un médicament qui a été développé en Allemagne dans les années 1950 et est arrivé au Canada en 1959. Initialement, il était prescrit comme sédatif, mais il a également été administré aux femmes enceintes pour soulager leurs nausées. Cependant, à la fin de 1962, la thalidomide a été retirée des marchés dans le monde entier à la suite de rapports faisant état de bébés nés avec de graves malformations congénitales. Ces conséquences tragiques ont entrainé des changements dans l’homologation et la réglementation des médicaments au Canada et dans d’autres pays, dont les États-Unis et le Royaume-Uni. Plus de 10 000 enfants dans le monde sont nés avec des malformations causées par la thalidomide; plusieurs sont décédés dans les mois suivant leur naissance. Au Canada, plus de 100 enfants sont nés avec des malformations congénitales causées par la thalidomide. Au 21e siècle, la thalidomide a été approuvée par Santé Canada pour le traitement de la lèpre, du myélome multiple et de certaines maladies auto-immunes.

Dre Frances Oldham Kelsey

Dre Frances Oldham Kelsey
Portrait de la Dre Frances Oldham Kelsey (date inconnue).
(avec la permission de la National Library of Medicine, History of Medicine Collection, A018057/Wikimédia, CC)

Thalidomide

La thalidomide, un médicament immunomodulateur, est développée en Allemagne de l’Ouest dans les années 1950 par la compagnie pharmaceutique Chemie Grünenthal. Le médicament est considéré comme étant sûr pour l’homme, car les premiers tests sur des rongeurs démontrent qu’il est quasiment impossible d’administrer une dose létale. À l’époque, il n’existe aucune exigence concernant les tests tératogènes (une substance tératogène est une substance qui interfère dans le développement fœtal). En 1957, la thalidomide est commercialisée en Allemagne comme médicament anti-convulsions pour l’épilepsie et comme sédatif. Très rapidement, des compagnies pharmaceutiques dans d’autres pays commencent à produire et à commercialiser le médicament sous licence.

Lorsqu’arrive l’année 1960, la thalidomide est déjà largement prescrite en Europe et dans le monde entier pour traiter une variété de conditions, incluant l’anxiété et la nausée. Au Canada, le médicament devient offert sous forme d’échantillon vers la fin 1959, et ensuite en tant que médicament sur ordonnance en avril 1961 lorsque sa vente est approuvée par le ministère de la Santé et du Bien-être (maintenant Santé Canada).

Toutefois, les États-Unis n’approuvent pas ni la commercialisation ni la distribution de la thalidomide, bien que les compagnies pharmaceutiques aient fourni des échantillons aux médecins sous le couvert d’essais cliniques préliminaires. Frances Oldham Kelsey, une pharmacologue canadienne à la Food and Drug Administration des États-Unis, refuse d’approuver le médicament parce que la compagnie ne peut pas prouver qu’il est sécuritaire (Frances Oldham Kelsey a lu des rapports faisant état de lésions nerveuses après une utilisation prolongée de la thalidomide). Ses inquiétudes quant à l’innocuité du médicament sont rapidement confirmées.

Thalidomide et grossesse

La thalidomide est initialement prescrite comme sédatif, mais elle est rapidement utilisée pour traiter les nausées matinales des femmes enceintes. À cette époque, les scientifiques ignorent que les médicaments peuvent traverser la barrière placentaire et affecter le fœtus. Il faut plusieurs années avant qu’on ne réalise que la thalidomide provoque de graves déficiences chez les bébés lorsqu’elle est prise en début de grossesse. Ces déficiences comprennent la phocomélie, une malformation des membres qui fait que les mains ou les pieds (ou les deux) partent de l’articulation principale (c’est-à-dire de l’épaule ou de la hanche). Des bébés naissent également avec des oreilles anormales ou absentes, une fente palatine, des problèmes rénaux, des problèmes cardiaques, des troubles digestifs et des anomalies de la moelle épinière.

En novembre 1961, le docteur William McBride, un obstétricien australien, et le docteur Widukind Lenz, un pédiatre allemand, soupçonnent un lien entre l’utilisation de la thalidomide durant la grossesse et les malformations congénitales. Widukind Lenz avertit la compagnie pharmaceutique Chemie Grünenthal de ses soupçons, tandis que William McBride publie une lettre dans la revue médicale The Lancet. Leurs découvertes sont rapidement confirmées par des milliers de cas dans le monde entier. À la fin de décembre 1961, le médicament est retiré du marché en Allemagne de l’Ouest et au Royaume-Uni. D’autres pays suivent rapidement leur exemple. La thalidomide continue d’être vendue sur le marché canadien jusqu’en mars 1962, soit trois mois plus tard. Selon l’Association canadienne des victimes de la thalidomide (ACVT), elle est toujours disponible dans certaines pharmacies jusqu’à la mi-mai 1962.

Changements réglementaires

L’expérience de la thalidomide mène de nombreux pays, dont les États-Unis, le Royaume-Uni et le Canada, à améliorer leurs politiques d’autorisation de mise en marché des produits pharmaceutiques. Comme le fait remarquer le médecin et député Stanley Haidasz à la Chambre des communes le 7 décembre 1962, la tragédie de la thalidomide souligne la nécessité d’une législation plus stricte :

« Monsieur le Président, en cette période de progrès technologiques rapides dans le domaine de la chimie, le monde industrialisé est confronté à des changements de grande envergure... Afin de suivre le rythme de ces progrès scientifiques, les gouvernements responsables doivent mettre à jour leur législation et leurs réglementations, assumant ainsi leur responsabilité envers les progrès scientifiques ainsi que la sécurité publique. Il est regrettable que la tragédie de la thalidomide, qui a engendré tant d’enfants avec des malformations et causé tant de tourments à leurs parents, ait forcé ce gouvernement et d’autres à accorder davantage d’attention aux médicaments et à ouvrir une enquête sur ceux-ci. Je crois que la protection du public est la principale motivation de cette enquête et de la nouvelle législation. »

De nombreux pays adoptent des politiques pharmaceutiques plus strictes dans les années 1960, les États-Unis ayant ouvert la voie en octobre 1962 avec les Kefauver-Harris Drug Amendments (voir aussi Frances Oldham Kelsey). La nouvelle législation exige des compagnies pharmaceutiques qu’elles prouvent l’efficacité et la sécurité des médicaments avant leur mise sur le marché. Ces preuves doivent être soutenues par des essais cliniques rigoureux; les médicaments ne peuvent plus être approuvés pour l’usage humain sur l’unique base de tests sur les animaux. De plus, aucun médicament ne peut être commercialisé auprès des femmes enceintes sans qu’il soit prouvé que son usage est sans danger durant la grossesse.

Au Canada, les changements comprennent un amendement en décembre 1962 à la Loi sur les aliments et drogues, qui autorise la distribution d’échantillons de médicaments uniquement dans des « conditions prescrites » et qui interdit la vente de plusieurs médicaments, dont la thalidomide. Des décennies plus tard, la thalidomide est approuvée par Santé Canada pour le traitement de la lèpre, du myélome multiple et de certaines maladies auto-immunes; compte tenu de ses effets tératogènes, son utilisation est soumise à des directives strictes.

La Dre Frances Oldham Kelsey et le président John F. Kennedy

Soutien aux survivants canadiens de la thalidomide

À la fin des années 1960 et au début des années 1970, de nombreuses victimes et leurs familles partout dans le monde poursuivent (ou menacent de poursuivre) les compagnies pharmaceutiques qui ont fabriqué ou ont distribué la thalidomide. Mais le montant et les conditions des règlements varient. En 1987, l’Association des Amputés de guerre du Canada met sur pied un groupe de travail chargé de faire pression sur le gouvernement du Canada afin d’obtenir de l’aide. Pendant les années 1990, 109 victimes canadiennes de la thalidomide reçoivent des paiements forfaitaires allant de 52 000 $ à 82 000 $ du gouvernement fédéral. Cependant, ces fonds s’avèrent insuffisants pour couvrir les besoins médicaux des survivants. Par conséquent, en 2014, la ACVT demande une indemnisation supplémentaire au gouvernement : un paiement forfaitaire de 250 000 $, suivi de paiements annuels qui se situent entre 75 000 $ et 150 000 $. En mars 2015, le gouvernement fédéral annonce un règlement forfaitaire de 125 000 $ chacun pour les survivants de la thalidomide, en vertu du Programme de contribution pour les survivants de la thalidomide (PCST). Deux mois plus tard, en mai 2015, les survivants apprennent qu’ils recevront une pension annuelle du gouvernement pouvant atteindre jusqu’à 100 000 $ en fonction de leur handicap. Les survivants de la thalidomide admissibles peuvent également avoir accès au Fonds d’aide médicale extraordinaire (FAME), qui les aide à payer leurs frais médicaux qui ne sont pas couverts par les régimes d’assurance-maladie provinciaux et territoriaux, comme les chirurgies spécialisées ou les adaptations apportées à leurs maisons et à leurs véhicules.

Toutefois, les survivants de la thalidomide font valoir que ce financement n’est pas suffisant. En décembre 2017, un nouvel organisme, le Thalidomide Survivors’ Task Group, demande au gouvernement fédéral de doubler les prestations accordées en vertu du PCST. En 2019, le gouvernement lance le Programme canadien de soutien aux survivants de la thalidomide (PCSST), qui remplace le PCST et verse aux survivants admissibles un montant forfaitaire non imposable de 250 000 $, ainsi que des paiements continus exempts d’impôt. Le gouvernement reconnait également que certains survivants ont possiblement été exclus en raison des critères d’admissibilité du PCST et il affirme que le nouveau PCSST « fournit une approche juste et complète pour identifier les survivants de la thalidomide, basée sur les meilleures pratiques internationales ». Des fonds supplémentaires sont également mis à la disposition des survivants de la thalidomide par l’entremise du FAME, qui passent de 500 000 $ à 1 000 000 de dollars par année.

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