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Histoire sociale

L'histoire sociale est une façon d'étudier l'organisation d'une société et son évolution dans le temps.Les éléments qui constituent l’histoire sociale du Canada sont le climat, la géographie et la transition vers l’industrialisation et l’urbanisation. Les compromis britanno-américains sont à la base de la société canadienne jusqu’au XXe siècle, alors que les Canadiens, qui ont précédemment défini leur société comme étant soit sous domination américaine ou britannique, font face à une mosaïque culturelle.
Chevaliers du Travail
Les chevaliers du Travail de Hamilton défilent en descendant la rue King, vers les années 1880 (avec la permission des Bibliothèque et Archives Canada/PA-103086).
District ouvrier
Près du canal Lachine à Montréal, en 1896. À la fin du XIXe siècle, des familles d'ouvriers commencent à affluer dans les quartiers situés à proximité des usines (avec la permission des Archives photographiques Notman, Musée McCord/2942).
Charpentiers sciant un rondin
Au cours de l'ère économique préindustrielle, les artisans produisent des biens en fonction des besoins de leurs clients, et utilisent des outils à main (avec la permission des Musées nationaux du Canada/75-14258).
Scierie à vapeur
Au début de l'industrialisation, seules les grandes fabriques peuvent généralement se permettre d'utiliser la coûteuse et lourde machine à vapeur. La scierie située à proximité du lac Matapedia (1880) utilise de manière ingénieuse une vieille locomotive à vapeur comme moteur en allongeant sa cheminée métallique (avec la permission des Bibliothèque et Archives Canada/C6354).

L'histoire sociale est une façon d'étudier l'organisation d'une société et son évolution dans le temps.Les éléments qui constituent l’histoire sociale du Canada sont le climat, la géographie et la transition vers l’industrialisation et l’urbanisation. Les compromis britanno-américains sont à la base de la société canadienne jusqu’au XXe siècle, alors que les Canadiens, qui ont précédemment défini leur société comme étant soit sous domination américaine ou britannique, font face à une mosaïque culturelle.

Ce qui a façonné l’histoire sociale

Le Canada pose des problèmes particuliers aux spécialistes de l'histoire sociale, car il constitue une mosaïque complexe d'ethnies, de cultures, de traditions et d'institutions. Les racines culturelles des Français et des Anglais se manifestent dans les institutions politiques, dans les églises catholique romaine et anglicane ainsi que dans les activités culturelles de l'élite. Toutefois, quant aux divertissements populaires, aux styles architecturaux et aux coutumes matrimoniales, etc., on constate que ces formes et ces institutions sociales émanent des États-Unis, d'Irlande, d'Ukraine et d'ailleurs. Une fois importées, elles se sont enracinées dans les différentes régions du Canada pour s'y épanouir de diverses manières.

La géographie a aussi marqué le développement social de façon différente qu’aux États-Unis. Les Américains attribuent souvent leurs particularités sociales et politiques à l'influence de la « frontière », point de rencontre de la civilisation et du monde sauvage, qui se déplaçait vers l'ouest à travers les États-Unis avec la colonisation. Sur cette frontière, les Américains ne pouvaient s'en remettre qu'à leurs propres ressources et ont appris à être indépendants et inventifs. Si la thèse de la frontières'applique bien à l'histoire américaine, il reste que le Canada a vécu une expérience très différente. Cette théorie retient tout de même l'attention, dans l'entre-deux-guerres, des historiens canadiens comme A.R.M. Lower et Frank Underhill.

Le Canada ne connaît une ligne frontière continue que durant le Régime français, soit avant 1763. Après quoi, dans l'Est, les terres sauvages reculent rapidement et les terres arables sont occupées sans délai. L'expérience de la frontière s'interrompt pour reprendre, après deux générations, dans les Prairies occidentales, où la colonisation s'effectue tout aussi rapidement. Pour la plupart des Canadiens, la frontière a été transitoire. Les Canadiens ont rarement été isolés de l'autorité et des institutions sociales, et ils ont rarement été coupés des voies sociales. Le gouvernement s'est déplacé avec la frontière, en même temps que la population, parfois même avant elle. Cette autorité se manifeste en la personne des représentants coloniaux, des militaires britanniques, puis avec la police à cheval du Nord-Ouest.

Il existe d’autres théories du développement social canadien. La théorie des principales ressources, formulée dans les années 20 par les historiens économiques Harold Innis et W.A. MacIntosh, soutient que les exportations de matières premières ont influé sur l'organisation sociale et politique du Canada. La thèse laurentienne, élaborée entre les années 1930 et 1950, met de l'avant l'influence de la vallée du Saint-Laurent sur le développement du Canada. Depuis les années 50, la thèse Metropolitan-Hinterland, formulée par des historiens comme J.M.S. Careless, a expliqué l'essor de l'économie et la montée des tensions régionales du Canada.

Le gouvernement a aussi contribué à la formation des structures sociales. On a déjà appelé la Nouvelle-France un « État providence aristocratique », composé d'une faible population protégée par l'armée française, gouvernée par des lois éclairées et soutenue par les fonds publics. Après la conquête de 1759-1760, les idées aristocratiques britanniques se manifestent au Canada par une structure de gouvernement colonial, ce qui suscite l'apparition d'élites locales comme le Pacte de Famille du Haut-Canada. C'est grâce à l'initiative gouvernementale qu'on peut entreprendre la construction de la ligne ferroviaire du Canadien Pacifique et la colonisation de l'Ouest. Les politiques d'immigration quant à elles sont à la base de la diversité ethnique des Prairies.

Étude de l’histoire sociale

L'histoire sociale étudie la façon dont tous ces facteurs ont façonné la société. Le sociologue Del Clarkdont on dit parfois qu’il serait le père du l’histoire sociale canadienne,a évalué l'influence de la frontière, des mouvements sociaux et des activités économiques canadiennes sur la société dans ses nombreux travaux.

Depuis les années 70, époque où les chercheurs canadiens s'inspirent des idées de l'historien britannique E.P. Thompson sur l'« histoire culturelle », l'anthropologie commence aussi à influencer les historiens. Dans les années 1980, l'application des techniques informatiques à l'analyse historique a permis d'effectuer des généralisations à partir de l'expérience de grands groupes. Les historiens québécois, en particulier, ont mené des études démographiques d'envergure sur les caractéristiques de la population, mais l'ouvrage le plus accompli qui ait été publié reste celui de Michael Katz, The People of Hamilton, Canada West (1975), qui expose les résultats d'une étude importante réalisée à l'aide de l'informatique sur cette ville du sud de l’Ontario.

Deux séries de livres d'histoire sociale donnent une idée des objets d'étude des historiens canadiens. La série Social History of Canada (University of Toronto Press) et la série Canadian Social History (éd. McClelland et Stewart) ont toutes deux été créées au début des années 70. La seconde a présenté des études sur la pauvreté à Montréal, l'idéologie des hommes d'affaires du XIXe siècle, les attitudes envers les immigrants, les réformes de l'éducation, l'histoire de la classe ouvrière, de l'enfance, de la médecine et des femmes. La première série, pour sa part, a été entreprise dans le but de réimprimer des livres et des documents importants comme les réflexions de 1918 de Mackenzie King sur les relations industrielles

Aux premiers jours de l'histoire sociale canadienne, certains domaines longtemps négligés ont été mis à l'avant-scène, entre autres, l'histoire des femmes. Centre d'intérêt évident pour quiconque cherche à faire l'histoire globale de la société, l'étude des femmes a bénéficié d'un nouvel élan avec la montée du féminisme et l'augmentation du nombre de femmes dans le monde universitaire. Des thèmes allant du droit de vote de la femme au travail des femmes, en passant par l'idéologie de la reproduction, font l'objet des premières séries sur l'histoire des femmes. On étudie également l'histoire de l'enfance. D'autres domaines autrefois négligés attirent de nouveau l'attention. Mentionnons la vie des immigrants (voir Immigration), les groupes ethniques, les communications, l'histoire urbaine (voir Études urbaines), les autochtones et l'histoire de la violence au Canada (voir Violence politique). Depuis les années 60, une partie importante de l'histoire sociale est écrite au Québec sur une grande diversité de sujets. L'ouvrage de S.M. Trofimenkoff (The Dream of Nation, 1983; trad. Visions nationales, 1986) constitue un apport de taille à l'histoire sociale du Québec. Plus que tout autre domaine de l'histoire sociale, l'histoire des travailleurs connaît du succès. La géographie, l'économie, les classes, le sexe, l'ethnicité et les institutions sont maintenant les principaux thèmes de la nouvelle histoire sociale du Canada.

Contact entre Européens et Autochtones

On peut voir l’interaction entre les éléments dans l'histoire canadienne, plus clairement au début de l’exploration européenne. La population autochtone est divisée en centaines de bandes. En raison de la fragmentation régionale, il est impossible pour les Autochtones de s'unir pour contrer les menaces européennes. Au contraire, cette situation engendre des animosités tribales, par exemple entre les Huronsdu centre de l'Ontario et les Iroquois du Nord de New York. Ces animosités sont exploitées par les Blancs qui cherchent à utiliser les Autochtones dans leur lutte pour prendre le pouvoir (voir Guerres iroquoises). À leur tour, ces luttes sont le résultat de rivalités politiques et des besoins économiques de l'Europe en ressources américaines.

Des différences marquées entre les sociétés amérindiennes et européennes contribuent à définir les rapports entre les deux groupes. Les notions de citoyenneté et de propriété des Autochtones sont normalement caractérisées par la souplesse et la conciliation et leur croyance religieuse s'appuie sur la tolérance. C'est pourquoi la plupart des groupes autochtones acceptent les visiteurs français, sont prêts à partager leur territoire et leurs ressources avec les nouveaux venus et se montrent réceptifs à leurs pratiques religieuses et sociales. En revanche, les Européens ont tendance à être rigides et à pratiquer le prosélytisme religieux. Ils s'empressent d'imposer leurs croyances religieuses aux Autochtones ainsi que leurs notions exclusives de propriété et de comportement social auxquels tous doivent adhérer.

La souplesse des sociétés autochtones se fait sentir par la capacité avec laquelle certaines nations apprennent à mener la traite des fourrures avec les Européens et avec d'autres bandes. Cependant, les sociétés autochtones finissent par s'effriter sous la pression combinée des exigences économiques européennes, des guerres constantes et des maladies européennes qui déferlent sur leurs collectivités. Au moment de la Conquête britannique, les Amérindiens de l'est du Canada sont si peu nombreux et si impuissants qu'ils ne constituent plus un facteur important, ni au point de vue économiqueme, ni au point de vue politique de la région.

Commerce français et britannique

La puissance autochtone est remplacée par celle des Français et des Britanniques, qui se disputent la suprématie de l’Amérique du Nord depuis le début du XVIIe siècle jusqu'à la capitulation de Québec, en 1759. Chacun est arrivé au Nouveau Monde avec ses velléités impérialistes et ses institutions propres. Les motivations économiques priment, ce qui donne à la première organisation sociale la forme d'un commerce. Jusqu'en 1663, les pouvoirs sur la Nouvelle-France sont concédés à une série de compagnies privées chargées de développer le commerce de la fourrure et d'établir la colonie. Les Anglais mettent leurs espoirs impériaux dans la Compagnie de la baie d'Hudson (constituée en 1670).

Alors que les Français exercent une politique d'exploration, envoyant leurs intermédiaires vers les villages amérindiens pour y faire la traite des fourrures, la compagnie anglaise demande aux Autochtones de venir à elle, sur la baie d'Hudson, pour y commercer. Cette différence se traduit notamment par une plus grande fréquence de mariages entre Français et Amérindiennes, une pratique vivement découragée par la Compagnie de la baie d'Hudson. De plus, les relations entre les nombreux commerçants de l'Ouest et les Amérindiennes créent une nouvelle société, les Métis. Après que la Conquête a éliminé les Français de la concurrence commerciale, naissent des rivalités entre la Compagnie de la baie d'Hudson et d'autres marchands d'origine britannique, en particulier ceux qui forment la Compagnie du Nord-Ouest, établie à Montréal. On recourt plus souvent qu'avant à l'alcool et à la violence pour obtenir des fourrures, ce qui a de profondes répercussions sur la cohésion de l'organisation sociale des Autochtones.

La Nouvelle-France reste une société ordonnée. Elle est fondée sur le régime seigneurial, forme de tenure quasi-féodale en vertu de laquelle de grandes terres sont concédées à des seigneurs, qui à leur tour procurent des fermes à des agriculteurs. Mais peu de Français des classes inférieures émigrent au Canada (moins de 10 000 dans toute l'histoire de la colonie), et ce petit nombre envisage d'autres choix que de tenir une ferme dans une seigneurie, dont celui de faire la traite des fourrures. Or, le gouvernement doit garder ses gens dans les fermes de la vallée du Saint-Laurent pour nourrir son armée et défendre la Nouvelle-France et comme il éprouve de la difficulté à décourager le commerce des fourrures, il doit rendre l’agriculture seigneuriale plus attrayante.

On impose donc des limites sévères aux redevances et aux taxes que les seigneurs peuvent exiger, et on instaure un régime légal (voir Code civil) protégeant les agriculteurs contre l'oppression féodale. Résultat : l'agriculteur d'ici conserve une plus grande partie du produit de son travail que l'agriculteur européen et s'en trouve plus libre. Le fait que les fermiers de la Nouvelle-France aient rejeté l’étiquette traditionnelle « paysan » pour créer celle d'habitant le démontre (voir Communauté des Habitants).

L’Amérique du Nord britannique

L'Amérique du Nord britannique, qui succède à la Nouvelle-France, connaît cependant une croissance très rapide entraînant la création de modèles sociaux plus complexes. Les colonies de l’Amérique du Nord britannique existent sur un vaste continent qu’elles partagent, après la guerre de l'Indépendance américaine, avec un rival sérieux, au sud.

De nombreux Loyalistes qui trouvent refuge du côté de l'Amérique du Nord britannique après la guerre de l’Indépendance américaine amènent avec eux un profond ressentiment contre les États-Unis, le républicanisme et la démocratie. La guerre de 1812 renforce chez les Tories l'idée de la duplicité, de l'irrationalité et de la menace américaines et les affermit dans leur intention de protéger le Canada contre une éventuelle « contamination » d'idées. Pour ce faire, le régime colonial importé de Grande-Bretagne s'avère un outil conservateur fort adéquat, de même que des institutions comme l'Église d'Angleterre et le très rigide système des classes. Les élites, constituées de groupes comme le Pacte de Famille du Haut-Canada (Ontario), la clique du Château du Bas-Canada (Québec) et le Conseil des Douze de la Nouvelle-Écosse aident à réaliser la philosophie des Tories.

En même temps, les idées et les coutumes américaines font leur chemin au Canada, malgré tous les efforts des tories. En effet, bon nombre d'Américains arrivés au Canada avant 1812 ne sont pas des loyalistes, mais de simples immigrants à la recherche d'une terre et sans aucune motivation politique. D'ailleurs, les loyalistes eux-mêmes ne sont pas moins américains que britanniques; en Grande-Bretagne, on considère ce groupe susceptible d'adhérer aux idées américaines d'autonomie gouvernementale. La période coloniale canadienne est caractérisée à la fois par un rejet conscient de l'hégémonie politique des États-Unis et par un refus instinctif de devenir la copie transatlantique de la Grande-Bretagne.

La phase américaine d'immigration se termine vers 1812 et, à compter de 1818, une nouvelle vague d'immigrants britanniques déferle sur le Canada. Les valeurs et les coutumes des Britanniques se mêlent à celles des Américains pour former l'essence de ce qui sera le Canada « anglais ». Le Canada adopte surtout les idées économiques, les usages commerciaux et la technologie des États-Unis, et que le succès économique remporté par ces derniers nourrit les rêves des Canadiens anglais. Mais les institutions sociales empruntent souvent les traits des deux cultures. L'individualisme américain, s'il influence les Canadiens, est toutefois teinté par le sens britannique de solidarité de groupe et de classes ainsi que par un système de classes plus visible.

Le Canada français est également touché par l'immigration américaine et britannique. Cependant, cette influence serait plutôt de nature à souligner le caractère distinct de la société canadienne française. La Conquête plonge le Canada français dans un monde « anglais ». Au début du XIXe siècle, les territoires seigneuriaux ne suffisent déjà plus à contenir la population croissante, ce qui entraîne une surpopulation et une surexploitation des terres et provoque une baisse du niveau de vie. On abolit le régime seigneurial en 1854, mais trop tard pour sauver la situation agricole du Québec et pour pallier le retard économique du Canada français. La fin du régime seigneurial confère encore plus de prestance aux deux autres institutions garantes du caractère distinctif des Canadiens français : l'Église catholique romaine (voir Catholicisme) et la langue française.

Divisions ethniques

L'Église est restée étroitement liée à l'identité des Québécois jusqu'aux années 60. Son déclin, avec la sécularisation des temps modernes, laisse ensuite à la langue seule le rôle d'élément distinctif. Les tentatives des gouvernements québécois des années 60, 70 et 80 d'imposer l'usage du français dans les écoles, en milieu de travail et dans l'affichage, démontrent toute l'importance que revêt ce dernier grand trait identitaire sur un continent nord-américain de plus en plus homogène.

Dans le creuset culturel canadien, l'identité ethnique et la religion prennent une importance particulière tant pour Canadiens anglais que pour les Canadiens français. Ainsi, à partir de 1830, l'ordre d'Orange joue un rôle majeur, marqué par la violence en Ontario, au Québec et au Nouveau-Brunswick. Héraut du protestantisme et d'une loyauté ostentatoire à la Couronne britannique, l'ordre d'Orange canalise les besoins d'identification et de sécurité de bon nombre d'immigrants, en particulier les Irlandais protestants (voir Guerres des Shiners). Par malheur pour la paix sociale, les orangistes étalent leur identité en rabaissant verbalement les catholiques (et souvent les Canadiens français), organisant des parades provocantes et déclenchant de fréquentes émeutes contre eux. L'ordre d'Orange n'en reste pas moins un instrument d'adaptation sociale important pour des centaines de milliers d'immigrants protestants. Ainsi, les liens ethniques et religieux ont estompé jusqu'à un certain point le clivage des classes, voilant des oppositions socio-économiques qui auraient pu dégénérer en conflits sociaux encore plus intenses.

Industrialisation et travail

L'avènement de la société industrielle modifie plusieurs modèles sociaux. Au pays, la mécanisation fait son apparition dans l'industrie vers 1840; un demi-siècle plus tard, elle domine et donne lieu à une concentration généralisée du pouvoir économique avant la Première Guerre mondiale. Les vieilles élites, nées des besoins économiques et politiques britanniques, cèdent la place aux élites de l'industrie et de la finance, représentées sur la scène politique par des hommes exerçant des professions libérales, surtout des avocats. L'industrialisme crée aussi la classe ouvrière et la réponse organisée, le syndicalisme, au nouvel ordre économique.

Les syndicats, apparus vers 1870, occupent en permanence l'horizon social dès la fin du XIXe siècle. Tout comme l'appareil économique lui-même, le syndicalisme canadien est fortement marqué par l'idéologie et l'exemple américains. Dès 1902, les syndicats « internationaux », basés aux États-Unis, dominent la scène syndicale canadienne. Leur idéologie modérée et apolitique permet d'éviter les conflits de classes au Canada industriel. Toutefois, une situation extrême suffirait à attirer l'attention sur les différences de classes. La période d'agitation qui suit la Première Guerre mondiale mène au soulèvement des travailleurs en 1919, centré sur la grève générale de Winnipeg (tout comme la Révolution tranquille au Québec allait y déclencher un militantisme syndical sans précédent au cours des années 60 et 70).

En général, cependant, le syndicalisme canadien est resté modéré et ouvert à la négociation collective. L'exemple américain et l'influence d'institutions comme les écoles et les moyens de communication de masse, qui transcendent les classes et favorisent une idéologie sans classes, ont minimisé les conflits sociaux (voir Classes sociales). L'industrialisation a un effet d'uniformisation. Des marchés gigantesques sont créés pour écouler une production de masse, les chemins de fer diffusent biens et idées partout au Canada et les journaux (plus tard la radio et la télévision) contribuent à atténuer les disparités régionales. Mais la géographie demeure un obstacle de taille.

La Confédération semble être la réponse politique logique aux attentes de l'ère du chemin de fer et de l'ère industrielle (voir Histoire du chemin de fer). Elle érige des structures politiques et économiques plus vastes et l'on peut ensuite procéder à la réalisation de projets économiques plus ambitieux. Cependant, le caractère régional toujours présent des communautés sociales et économiques fait en sorte que la Confédération, tout comme le Canada lui-même, se révèle un compromis. Il s'agit d'un État fédéral et non unitaire, doté d'un régime parlementaire de type britannique, mais formé de partis politiques plus américains que britanniques (voir Fédéralisme).

L'industrialisation nécessite aussi plus de main-d’œuvre. Après 1897, l'essor économique du Canada encourage de nombreux Européens à se joindre au flot habituel d'immigrants américains et britanniques. Les Canadiens, qui, au XIXe siècle, considèrent leur société anglo-saxonne comme américaine ou britannique, se retrouvent au XXe siècle avec une mosaïque culturelle. Ce qui frappe surtout, c'est que les institutions sociales fondamentales n'ont guère eu à s'ajuster à cette diversité ethnique. Les usages économiques et politiques ont continué à respecter les modèles anglo-américains et la classe dirigeante est restée d'inspiration britannique. Avec la proximité des États-Unis, le maintien d'une économie de marché adaptée et la stabilité des institutions sociales, le Canada a pu absorber et assimiler son immigration.

Changements d’après-guerre

Le Québec, qui connaît la modernisation la plus rapide au Canada après 1960, est également la région la plus affectée par les conséquences sociales de la société de consommation nord-américaine. Si des institutions comme les médias répandent une idéologie commune stabilisatrice, certains groupes défavorisés se rendent compte qu'ils ne tirent pas une juste part des libéralités promises.

Après 1960, les Autochtones commencent, à exiger haut et fort compensation pour leurs pertes économiques et sociales. Les revendications des femmes, groupe majoritaire, ont cependant plus de poids. Le système économique a livré les améliorations salariales et les meilleures conditions de travail aux travailleurs, et les médias ne cessent, et avec succès, de chanter les triomphes de la société. Les femmes veulent prendre part au mouvement, et les institutions sociales répondent lentement. On crée une Commission royale d'enquête sur la condition féminine en 1967; on met en place des réformes sur les procédures de divorce en 1968; les professions traditionnellement réservées aux hommes s'ouvrent peu à peu aux femmes. Les institutions sociales de base ont été assez solides pour procéder à ces ajustements sans éclater.

Les changements qui s'opèrent au XXe siècle se succèdent à un rythme soutenu. Essentiellement rural jusqu'en 1940, le Canada s'est urbanisé à l'extrême (voir Société rurale au Canada anglais; Société rurale au Québec). Ainsi, en 1941, 41 % des francophones du Québec vivent sur une ferme, contre 6 % seulement en 1971. La Révolution tranquille est stimulée par les remous qu'occasionne cette transition. La famille paraît en difficulté. Le taux de divorce au Canada monte en flèche après la Deuxième Guerre mondiale, surtout après la réforme de la loi sur le divorce en 1968, tandis que le taux de natalité diminue, notamment au Québec.

En dépit de l'affluence nouvelle des femmes sur le marché du travail dans les années 90, le fossé salarial entre les deux sexes n'a pas régressé. Beaucoup plus de mariages se terminent par un divorce, mais la plupart des Canadiens choisissent toujours de se marier. Malgré la baisse des emplois agricoles au profit des emplois urbains, la répartition des richesses au Canada s'est peu modifiée. Les richesses restent inégalement réparties sur le plan géographique, la région Atlantique étant la plus faible économiquement.

La géographie qui préserve les différences régionales et économiques demeure un solide pilier. Les classes sociales et les institutions ont évolué, et on accorde une place grandissante aux spécialistes qui répondent à des besoins sociaux plus complexes. Malgré tout, des études comme celles de John Porter (Mosaïque verticale, 1965) et de Wallace Clement (The Canadian Corporate Elite, 1975) notent une remarquable continuité parmi les groupes qui ont exercé le pouvoir économique et social au Canada.

L'influence relative de la religion organisée dans la société canadienne s'est atténuée, encore une fois surtout au Québec. Les fraternités et les sociétés secrètesont perdu de leur ascendant après la Deuxième Guerre mondiale, à mesure que les causes religieuses et impériales qu'elles défendaient revêtaient moins d'importance. La visite d'un pape au Canada en 1900 aurait déclenché des émeutes fanatiques; en 1984, puis encore en 2002, elle est l'occasion de réjouissances dans un pays dont près de la moitié est catholique. La perte de prépondérance des organismes bénévoles s'explique aussi par l'État providence, caractérisé par la prise en charge par le gouvernement du secours aux nécessiteux, des services de placement et de formation, de l'éducation, de l'adaptation sociale et d'une myriade d'autres rôles sociaux auparavant joués par les sociétés de bienfaisance et les communautés religieuses et ethniques. Malgré tout, les modèles sociaux et institutionnels au sein desquels ces modifications ont eu cours sont toujours ceux du compromis anglo-américain, à la base de la société canadienne.

Pour un traitement de thèmes particuliers de l'histoire sociale, voir Histoire de l'enfance; Maladie; Épidémies; Crise des années 30; Contestation politique; Doctrine sociale de l'Église catholique; Mouvement Social Gospel; Mouvement pour la tempérance.