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Le Fugitive Slave Act de 1850

Le Fugitive Slave Act de 1850 (la loi des esclaves fugitifs) a été adopté par le Congrès des États-Unis le 18 septembre 1850. Il a étendu la portée de l’institution de l’asservissement dans les États libres du nord en stipulant que les réfugiés de l’asservissement qui s’y trouvaient pouvaient être retournés en asservissement dans le sud, une fois capturés. Cette loi a conduit des chercheurs de liberté à se réfugier au Canada. Elle a été abrogée le 28 juin 1864.

Contexte

Le Fugitive Slave Act, adopté d’abord par le gouvernement fédéral le 4 février 1793, donne le droit aux propriétaires de personnes réduites en asservissement de récupérer leurs personnes asservies qui sont en fuite. Alors que les autorités fédérales peuvent assurer l’exécution de la loi, les États n’en ont pas l’obligation. Plusieurs États du nord l’ignorent donc. Les abolitionnistes du nord contournent la loi par le biais du chemin de fer clandestin. Certains États mettent en œuvre des lois sur la liberté individuelle (Personal Liberty Laws) pour entraver l’application de la loi, et pour donner aux fugitifs le droit à un procès devant jury pour faire appel des décisions rendues à leur égard. Dans certains États, les fugitifs subissant un procès sont représentés par des avocats. La nouvelle loi de 1850 renforce les mesures d’application de la version de la loi de 1793 afin d’apaiser les propriétaires de personnes asservies qui menacent de faire sécession des États-Unis pour protéger leurs intérêts placés en asservissement. La loi autorise la poursuite et la capture de personnes asservies partout aux États-Unis, y compris dans les États du nord où l’asservissement a été aboli.

La loi interdit aux individus de venir en aide aux personnes asservies en fuite avec de la nourriture, de l’hébergement, de l’argent, ou de toute autre forme d’assistance, au risque d’une peine pouvant aller jusqu’à six mois d’emprisonnement et d’une amende de 1 000 $. Toute personne qui empêche les agents fédéraux ou les citoyens délégués de récupérer des fugitifs peut également être inculpée. La loi fédérale exige que tous les citoyens doivent aider les propriétaires de personnes asservies à capturer leurs fugitifs.

Les présumés fugitifs se voient refuser le droit de défendre leur cause par un procès devant jury. Des commissaires fédéraux spéciaux sont nommés pour traiter les dossiers. La loi fait en sorte que davantage d’agents fédéraux soient disponibles pour son application, et ceux-ci sont contraints d’arrêter les présumés fugitifs sous peine d’une amende de 1 000 $. Pour inciter les agents à faire respecter la loi, ils ont droit à des frais de recouvrement, ce qui pousse plusieurs d’entre eux à enlever, par tous les moyens possibles, des Noirs (qu’ils soient libres ou non) et à les vendre aux marchands et propriétaires de personnes asservies. Les Noirs libres vivent sous la menace d’être kidnappés et vendus comme personnes asservies dans le sud des États-Unis sans recours possible. Par conséquent, plusieurs chercheurs de liberté risquent leur vie pour atteindre la liberté au Canada, où l’asservissement a été aboli en 1834 par la Loi sur l’abolition de l’esclavage.

Impact

À partir de données de recensements et de témoignages documentés disponibles, les historiens ont tenté de calculer le nombre d’Afro-Américains qui entrent au Canada. Bien que les estimations varient, l’historien Fred Landon estime qu’entre 1850 et 1860, un nombre approximatif de 15 000 à 20 000 Afro-Américains s’installent au Canada, faisant ainsi grimper la population noire à environ 60 000 personnes. Plusieurs fugitifs font le dangereux périple par leurs propres moyens, alors que d’autres reçoivent l’aide du chemin de fer clandestin.

Plusieurs affaires importantes qui sont déposées devant les tribunaux en vertu du Fugitive Slave Act se terminent au Canada. Anthony Burns, un fugitif de la Virginie vivant à Boston, au Massachusetts, est arrêté puis reconnu coupable en vertu du Fugitive Slave Act en mai 1854. Il est condamné à retourner chez son maître en Virginie, un jugement qui est contesté par les abolitionnistes noirs et blancs de la ville. Après son retour en Virginie, il est vendu à un autre propriétaire de personnes asservies de la Caroline du Nord. Mais en l’espace d’un an, sa liberté est achetée grâce à de l’argent amassé par une église noire qu’il avait fréquentée à Boston. Anthony Burns déménage en Ohio, et il étudie au Oberlin College. En 1861, il déménage à St. Catharines, au Canada-Ouest, où il devient pasteur pour la Zion Baptist Church, jusqu’à sa mort en 1862. Anthony Burns est la dernière personne à être jugée en vertu du Fugitive Slave Act au Massachusetts.

Shadrach Minkins échappe également à l’asservissement et il arrive à Boston en 1850. Le 15 février 1851, il est arrêté puis détenu en vertu du Fugitive Slave Act après avoir été arrêté par des agents fédéraux se faisant passer pour des clients dans le café où il travaille. Lors de son procès, des abolitionnistes noirs et blancs du Boston Vigilance Committee enlèvent Shadrach Minkins de force au tribunal et l’emmènent à Montréal par le chemin de fer clandestin.

En 1852, Joshua Glover, un chercheur de liberté, trouve asile à Racine dans le Wisconsin, mais il est rapidement retrouvé par son propriétaire. Alors qu’il est détenu, un groupe d’abolitionnistes prend d’assaut la prison, et aide Joshua Glover à s’enfuir au Canada par le chemin de fer clandestin. Il s’installe dans la région de Toronto après s’être trouvé un emploi chez Thomas et William Montgomery, dans le village de Lambton Mills, comté de York (Etobicoke).

Établissement des communautés dans le Canada-Ouest

Des communautés noires se développent à Niagara Falls, à Buxton, à Chatham, à Owen Sound, à Windsor, à Sandwich (qui fait maintenant partie de Windsor), à Hamilton, à London, et à Toronto, ainsi que dans d’autres régions de l’Amérique du Nord britannique, notamment au Nouveau-Brunswick et au Québec. Tous ces endroits servent de terminaux au chemin de fer clandestin.

De nombreux immigrants afro-américains désirent vivre à proximité les uns des autres pour pouvoir se soutenir et se protéger des chasseurs de personnes asservies. Le Chatham Vigilance Committee est formé par des résidents noirs inquiets afin de protéger les fugitifs contre le retour forcé en asservissement aux États-Unis. Le Fugitive Slave Act donne lieu à plusieurs tentatives d’enlèvements illégaux de réfugiés au Canada pour les retourner à leurs anciens maîtres dans les États du sud. Comme le rapporte Mary Ann Shadd Cary dans le journal The Provincial Freeman en septembre 1858, plus de 100 hommes et femmes noirs vont au secours d’un adolescent appelé Sylvanus Demarest lorsqu’un homme prétendant être son propriétaire l’embarque dans un train pour l’emmener aux États-Unis. Ils sont repérés à London, au Canada-Ouest, par Elijah Leonard, l’ancien maire de la ville, qui demande alors à un porteur noir d’envoyer à l’avance un télégraphe à Chatham afin que les membres du Vigilance Committee puissent intervenir à temps. Sylvanus Demarest est sauvé. Il vit ensuite avec la famille Shadd pendant une brève période avant de déménager à Windsor.

Héritage

Le Fugitive Slave Act a déclenché la plus importante migration d’Afro-Américains vers le Canada au 19e siècle. Les hommes et les femmes affranchis qui s’installent au Canada continuent de lutter contre l’asservissement aux États-Unis après leur fuite réussie, et ils s’engagent dans une variété d’activités abolitionnistes. Plusieurs viennent en aide aux fugitifs qui arrivent, en leur fournissant de la nourriture, de l’hébergement, des vêtements, et du travail. Les Noirs récemment libérés forment et se joignent à des organismes de bienfaisance et à des sociétés anti-asservissement. Certains d’entre eux se rendent en mission de l’autre côté de la frontière pour secourir des personnes asservies et les emmener au Canada.

Deux journaux anti-asservissement sont publiés dans le Canada-Ouest. L’abolitionniste Henry Bibb, abolitionniste réduit en asservissement au Kentucky, fonde le journal Voice of the Fugitive à Sandwich (aujourd’hui une banlieue de Windsor) en 1851, le premier journal noir au Canada. Le journal The Provincial Freeman est fondé en 1853 par Samuel Ringgold Ward, un autre fugitif devenu abolitionniste, en compagnie de Mary Ann Shadd, qui prend en charge la fonction éditoriale l’année suivante. Les deux journaux font état des arrivées en toute sécurité des fugitifs ayant transité par le chemin de fer clandestin, ils rendent compte de ce qui se passe aux États-Unis en matière d’asservissement, et ils informent la communauté des menaces potentielles qui pèsent sur leur liberté. La presse noire est également utilisée pour mobiliser le public contre la pratique de l’asservissement, et elle encourage l’activisme politique et les initiatives de renforcement de la communauté.

En septembre 1851, des membres de la communauté noire du Canada-Ouest organisent la North American Convention of Coloured People au St. Lawrence Hall. Un groupe composé de 53 délégués en provenance des États-Unis, de l’Angleterre, et du Canada, se réunit à Toronto, car il est déterminé qu’il s’agit de l’endroit le plus sécuritaire pour tenir une grande réunion où les principales discussions portent sur l’abolition de l’asservissement des Afro-Américains, l’amélioration de la qualité de vie des Noirs en Amérique du Nord, et les moyens d’encourager les personnes asservies à s’enfuir. Le congrès de trois jours est présidé par Henry Bibb, J. J. Fisher, Thomas Smallwood, et Josiah Henson, tous des chercheurs de libertés vivant dans le Canada-Ouest. Le congrès se conclut avec la décision que le meilleur endroit où vivre pour les personnes d’origine africaine (celles qui désirent fuir l’asservissement, et les Noirs libres) en Amérique du Nord est le Canada, en raison de sa sécurité et de ses promesses de libertés et de possibilités d’avenir.

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