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The Provincial Freeman

En 1959, un article du Journal of Negro History annonce la découverte d’exemplaires d’un journal hebdomadaire qui aurait été considéré comme longtemps perdu dans l’histoire. Un tirage considérable d’un volume relié et couvert de poussière du journal Provincial Freeman, qui avait été publié de 1853 à 1860, se trouvait dans la tour de la bibliothèque de l’Université de Pennsylvanie depuis le début des années 1900. Ce qui rendait ce journal si unique n’était pas le simple fait qu’il était le deuxième journal publié par et destiné à des Canadiens d’origine africaine. Ce journal était entré dans l’histoire en tant que premier journal de l’Amérique du Nord à être publié et dirigé par une femme noire, Mary Ann Shadd.

Mary Ann Shadd Cary, c. 1845-55.

Fondation

Mary Ann Shadd, l’abolitionniste et enseignante au franc-parler, déménage au Canada à l’automne de 1851 pour établir une école à Windsor, dans le Canada-Ouest (maintenant l’Ontario) pour les enfants autrefois asservis. Toutefois, elle se trouve rapidement en conflit public avec ses commanditaires Henry et Mary Bibb ainsi que leurs alliés, et le financement pour son école est retiré.

Après la fermeture de l’école, Mary Ann Shadd élabore rapidement un nouveau projet ambitieux. Elle lance un journal dans lequel elle peut diffuser ses opinions selon ses propres conditions. Peu après, la première édition du Provincial Freeman est publiée, le 24 mars 1853. (Voir aussi Journaux au Canada : de 1800 aux années 1900.) L’introduction du journal déclare que :

« Le Provincial Freeman se consacrera à l’édification des personnes de couleur; et en aspirant à réaliser ce projet, il fera la promotion de la TEMPÉRANCE, dans l’acceptation la plus stricte et la plus radicale de ce terme. En partie, parce que tels sont les sentiments bien connus de l’éditrice, mais en partie parce qu’il n’existe pas d’édification d’un peuple sans cela. Pour ces raisons, le Freeman doit être un journal ANTI-ESCLAVAGISTE direct et franc. » – Provincial Freeman (le 24 mars 1853).

Initialement, Mary Ann Shadd demande à Samuel Ringgold Ward de prêter son nom et son expertise en tant que rédacteur en chef. Samuel Ringgold Ward est un pasteur de la congrégation et un agent respecté de la Société anti-esclavagiste du Canada. De plus, il a dirigé son propre journal auparavant, le Impartial Citizen (de 1849 à 1851), à partir de Boston et de Syracuse, ce qui lui a donné une expérience cruciale dans la gestion d’un journal. Le révérend Alexander McArthur, un pasteur blanc et un ami et allié de Mary Ann Shadd, est nommé rédacteur correspondant. Bien que le journal soit nettement l’initiative de Mary Ann Shadd, celle-ci est consciente que son nom en titre du journal pourrait aliéner le lectorat qui préfère les codes de sexes stricts de la société du 19e siècle. Ironiquement, Samuel Ringgold Ward part pour l’Angleterre 25 jours plus tard, et Alexander McArthur a depuis longtemps quitté Windsor, et n’a donc que peu ou pas de réelle implication avec le journal. Mary Ann Shadd entreprend ensuite un circuit de conférences pour générer de l’intérêt et des abonnements pour son journal. Un an plus tard, le 25 mars 1854, le Provincial Freeman commence à être publié chaque semaine à partir du No 5 City Buildings, sur la rue King East à Toronto.

Page du journal The Provincial Freeman. Ce journal a été publié pour la première fois en 1853.

Contenu

Le journal Provincial Freeman est un journal anti-asservissement, mais en tant que chef de file de l’émigration, Mary Ann Shadd recommande fortement le Canada-Ouest aux Afro-Américains comme endroit où les Noirs peuvent s’établir (voir Émigration). Le journal s’attaque au racisme, même au sein du mouvement abolitionniste lui-même, et il critique la pratique de la « mendicité », une forme de collecte de fonds exercée par les agents qui voyagent de ville en ville pour amasser de l’argent pour les « fugitifs pauvres, démunis, et affamés » dont la condition est grossièrement exagérée ou carrément fausse. (Voir aussi Loi des esclaves fugitifs de 1850.) Mary Ann Shadd s’engage également dans le journalisme d’enquête et de dénonciation (une forme de journalisme d’exposé), et elle n’a pas peur d’attaquer les institutions vénérables comme l’Église noire, les dirigeants noirs et blancs, ou quiconque qu’elle croit engagé dans des actes répréhensibles.

La devise du journal est « l’autonomie est la véritable voie vers l’indépendance ». L’importance de l’autosuffisance et de l’intégration des Noirs dans la société canadienne est un autre élément clé de la philosophie du Provincial Freeman. On conseille aux Noirs d’insister sur un traitement équitable, et d’entamer une démarche judiciaire si tout le reste échoue. Le Provincial Freeman souligne continuellement que l’égalité juridique dont bénéficient les Noirs au Canada est l’un des aspects les plus importants de la vie en sol britannique et qu’il faut en tirer pleinement parti (voir Communautés noires au Canada).

Le journal défend également implicitement le droit des femmes, documentant les conférences d’activistes américaines de renom, comme la féministe Lucy Stone et l’abolitionniste Lucretia Mott. (Voir aussi Mouvements de femmes au Canada.) De plus, il offre un forum pour les femmes noires, où elles peuvent présenter leurs talents et leurs réalisations. Le journal chante les louanges de femmes afro-américaines comme la chanteuse d’opéra Eliza T. Greenfield, et la poète et oratrice Frances Ellen Watkins (devenue plus tard Harper). Il imprime également des lettres à l’éditeur écrites par des femmes noires canadiennes, et reconnait publiquement leurs activités littéraires et bénévoles.

Années ultérieures (1855 à 1857)

En 1855, le journal Provincial Freeman déménage à Chatham, car il existe à cet endroit et dans les environs une vaste population noire. Certains des principaux dirigeants noirs sont impliqués dans le journal en tant que rédacteurs ou contributeurs. Le pasteur baptiste William P. Newman, et l’activiste de l’Ohio, H. Ford Douglas, maintenant à Chatham, agissent en tant que rédacteurs à un moment ou un autre. D’autres abolitionnistes reconnus qui déménagent à Chatham ou dans la région, comme William H. Day et le docteur Martin Delany, apportent de précieuses contributions. Le frère de Mary Ann Shadd, Isaac, prend le rôle d’agent d’édition et il est plus tard promu au poste de rédacteur en chef, aux côtés de sa sœur. Amélia, la sœur de Mary Ann Shadd, qui avait occupé le poste de rédactrice intérimaire pendant un certain temps, contribue à la rédaction d’articles, comme le fait également la belle-sœur de Mary Ann Shadd, Amelia Freeman Shadd. Mary Ann Shadd effectue souvent des tournées au Canada et aux États-Unis pour vendre des abonnements du journal, et pour se porter à la défense de l’émigration canadienne et de la lutte contre l’asservissement. Toutefois, elle demeure la force motrice du journal tout au long du mandat.

Fermeture

Après un vaillant effort pour maintenir le journal en activité, il succombe à la pression financière et cesse d’être publié en 1860. Cependant, une publication d’une durée de sept ans est tout un exploit dans de telles circonstances et, selon la biographe Jane Rhodes, le journal se place parmi un petit groupe de publications noires influentes, aux côtés des journaux de Frederick Douglass, un Afro-Américain abolitionniste de renom.

Legs

Le journal Provincial Freeman exprime les points de vue et raconte les expériences des Noirs canadiens, et il présente également leurs réalisations. (Voir aussi L’histoire des Noirs au Canada jusqu’en 1900.) Il promeut la cause canadienne auprès des partisans de l’émigration qui ont souvent fait la promotion de l’Haïti, de l’Afrique de l’Ouest, et d’autres endroits (voir Émigration). Le journal rend également compte de l’état de l’éducation dans les colonies canadiennes. En tant que source historique, le Provincial Freeman fournit un trésor d’informations sur le statut des Afro-Américains autrefois asservis qui se sont échappés au Canada, sur les dirigeants et dirigeants des colonies canadiennes, sur les organismes clé, sur les réunions et conventions importantes, et sur les disputes et tensions qui règnent au sein des diverses factions de la communauté canadienne d’origine africaine. L’historien Jason Silverman soutient, dans son livre Unwelcome Guests : Canada West’s Response to American Fugitive Slaves, 1800–1865 (1985), que « la presse noire […] a engendré un sens de fierté raciale qui était crucial pour le bien-être des réfugiés dans le Canada-Ouest. » C’est peut-être là la plus grande réussite du journal Provincial Freeman.

Coupure du journal The Provincial Freeman, vers les années 1850.