Cet article est un extrait abrégé de Unheard Of: Memoirs of a Canadian Composer, de John Beckwith (Wilfrid Laurier University Press, Waterloo, Ontario, février 2012).
Lorsque l’ouvrage d’Helmut Kallmann, A History of Music in Canada 1534-1914, a paru en 1960, rien d’aussi complet ou d’aussi finement documenté n’avait alors jamais été produit, que ce soit en anglais ou en français, sur le sujet. Lorsque je lui ai demandé ce qu’il comptait faire pour la suite, il m’a confié qu’il croyait que ses découvertes suggéraient deux directions potentielles : un dictionnaire organisé par ordre alphabétique sur la musique et la vie musicale au Canada; ou une édition savante, probablement en plusieurs volumes, préservant la musique publiée la plus significative du passé du pays. Cette suggestion, il en retourne, allait jeter les bases de son travail sur l’Encyclopédie de la musique au Canada.
Un de mes articles déplorant la faible présence des compositeurs canadiens dans les dictionnaires musicaux internationaux a attiré l’attention de l’éditeur et philanthrope culturel Floyd Chalmers. En 1971, Keith MacMillan, secrétaire exécutif du Centre de musique canadienne, et moi-même avons rencontré Chalmers pour connaître son avis sur l’idée de créer un ouvrage de référence sur la musique canadienne. Mon article concernait le manque de ressources sur les compositeurs d’ici. Au cours de notre discussion, toutefois, nous avons identifié un besoin plus large pour une encyclopédie générale couvrant toutes les phases de la musique du pays — passée et présente. La personne la mieux placée pour développer une telle entreprise était Helmut Kallmann.
À l’époque, Helmut Kallmann venait tout juste de s’installer à Ottawa pour diriger la nouvelle division de la musique à la Bibliothèque nationale du Canada (maintenant Bibliothèque et Archives Canada). Malgré ce nouveau mandat, il était impatient de se charger de l’encyclopédie, et la BNC a accepté de libérer une partie de son temps. Au cours des mois suivants, Michael Koerner est devenu président du conseil d’administration. Gilles Potvin et Kenneth Winters ont été recrutés comme corédacteurs. Chalmers, MacMillan et moi-même, ainsi qu’une demi-douzaine d’autres de partout au pays, nous sommes inscrits au conseil d’administration. Mabel Laine et Claire Versailles se sont jointes à l’équipe en tant que rédactrices en chef, respectivement pour les éditions anglaise et française. (Nous avons insisté pour que, en tant qu’encyclopédie canadienne, elle paraisse simultanément dans les deux langues nationales.) Floyd Chalmers s’est également engagé à verser une somme importante de son propre argent. Lors de réunions avec des organismes subventionnaires à Toronto, Montréal et Ottawa, il a fait valoir l’importance du financement requis. Des listes de sujets et de sous-thèmes ont été diffusées pour recueillir des avis et des suggestions. Les bureaux de Toronto et de Montréal ont recruté des chercheurs et des traducteurs. Les rédacteurs ont commencé à tenir des réunions périodiques en « triangle » pour faire le point sur les progrès réalisés.
Et les progrès? Ils se sont avérés plus lents que prévu. Je n’ai cessé de répéter, à partir de 1975, que l’encyclopédie serait publiée « l’année prochaine » ou « dans un an ou deux ». L’édition anglaise, l’Encyclopedia of Music in Canada, a paru à la fin de 1981; l’édition française, l’Encyclopédie de la musique au Canada, au début de 1983. Comme Winters aimait à le souligner, bon nombre des articles portaient sur des sujets qui n’avaient jamais fait l’objet de recherches auparavant. Les collaborateurs avaient des compétences variables. Certains d’entre eux, qui avaient la réputation d’être des journalistes et critiques de talent (et qui étaient donc vraisemblablement des écrivains compétents), se heurtaient à des difficultés dans l’accomplissement de leurs tâches — une indication supplémentaire que la publication était grandement nécessaire. J’ai moi-même signé plusieurs articles et aidé à la révision des textes, ainsi qu’à la tâche délicate de la vérification des traductions.
Le temps de préparation plus long que prévu a entraîné une augmentation constante du budget. Lorsqu’un découvert bancaire à six chiffres a menacé de tout arrêter, Floyd Chalmers nous a dit de nous détendre; il téléphonerait à « Bill » ou à « Frank », quel que soit le nom du président de la banque. Il a fini par apporter lui-même près d’un demi-million de dollars — un don exceptionnel à l’époque pour un tel projet. Il a assisté à presque toutes les réunions du conseil d’administration. Il nous incitait constamment à compléter l’ouvrage, mais s’abstenait de faire des suggestions éditoriales.
Les encyclopédies vieillissent rapidement. Dans les années 1980 et 1990, nous nous concentrions sur la deuxième édition de l’EMC, puis sur des discussions en vue d’une troisième. La première édition de l’EMC avait été la plus grande publication unique entreprise jusqu’alors par l’University of Toronto Press. La deuxième édition serait inévitablement encore plus importante. L’édition française a été publiée dans un coffret de trois volumes au lieu de la brique anglaise de neuf livres. Ken Winters avait alors quitté son poste; Robin Elliott est entré en fonction comme associé de Helmut Kallmann et Gilles Potvin.
Le processus d’édition s’est considérablement appuyé sur les nouvelles technologies. La première édition était remarquable (et en avance sur son temps) parmi les ouvrages de référence musicaux par son traitement généreux de la musique populaire et commerciale. Le rôle de Mark Miller en tant qu’éditeur « jazz et pop » a été encore plus mis en avant dans la deuxième édition.
Un aspect rare de l’EMC était son orientation nationale. Contrairement à la plupart des dictionnaires musicaux, il se concentrait sur la musique et la vie musicale d’un seul pays. Il n’a pas toujours été facile de maintenir cette orientation. Dans les années 1980, de nouveaux membres du conseil d’administration ont pensé que l’on pouvait se passer de l’idée d’éditions en deux langues, et du travail de traduction correspondant. En guise de solution, un membre, un homme d’affaires au fait des nouvelles technologies, pensait que la traduction pouvait être gérée par un programme informatique; il a fallu le persuader qu’en raison du vocabulaire particulier de la musique, ce serait un désastre. Il est à noter que notre campagne de financement a reçu une réponse plus généreuse du gouvernement du Québec (alors sous l’égide du Parti Québécois) que de celui de l’Ontario.
Il semblait que la troisième édition, comme tant d’autres entreprises similaires, abandonnerait l’impression papier en faveur de la mise sur pied d’un ouvrage de référence continu en ligne. La Bibliothèque nationale avait, depuis l’époque de Helmut Kallmann, été un partenaire proche de la recherche sur l’EMC. Elle est devenue un centre de mise à jour des entrées. Au début des années 2000, le conseil d’administration a confié le travail à la Fondation Historica du Canada (maintenant Historica Canada). L’EMC est ainsi devenue une publication sœur de l’Encyclopédie canadienne sous la direction de James H. Marsh. En 2002, l’EMC a été intégrée à la version en ligne de l’Encyclopédie canadienne.
Après 30 ans, l’Encyclopédie de la musique au Canada demeure un ouvrage de référence fréquemment cité. Elle a fait l’objet de révisions et de modifications, reflétant les changements marqués de l’époque dans la signification même de la musique. Son ampleur et son niveau de détail, cependant, restent remarquables. Une autorité américaine éminente, le musicologue Robert W. Stevenson, a fait référence à ses « deux éditions incomparables » et l’a déclaré « supérieure à tous égards à tout autre dictionnaire national publié en Amérique du Sud et en Amérique du Nord ».