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Interculturalisme

L’interculturalisme est un modèle de vivre-ensemble qui se développe dans les années 1980 au Québec. Il s’agit de l’approche québécoise en matière d’intégration des nouveaux arrivants et des groupes minoritaires. (Voir Immigration au Canada.) Celle-ci constitue une réponse au modèle du gouvernement fédéral : le multiculturalisme canadien. La philosophie de l’interculturalisme repose sur l’idée selon laquelle l’égalité entre les cultures au Québec nécessite une francisation et une laïcisation de l’espace public. L’interculturalisme est devenu une notion incontournable en raison des controverses et des débats entourant les politiques d’accommodements raisonnables. Le rapport de la Commission Bouchard-Taylor (2007-2008) demeure aujourd’hui l’effort de consultation en matière d’interculturalisme le plus important. La Charte de la langue française constitue l’un des piliers majeurs de l’approche interculturelle. Cependant, il n’existe à ce jour aucune loi visant à encadrer ce modèle d’intégration des minorités. (Voir aussi Politique d’immigration québécoise.)

Diversité et identité nationale

Un modèle d’intégration vise à définir les attentes d’une société envers les groupes minoritaires. Il permet d’établir les mesures d’inclusion des minorités ainsi que de régir les relations entre le groupe majoritaire et les groupes minoritaires. Chaque État aborde la gestion de la diversité différemment en fonction de leurs particularités culturelles et nationales. Or, le modèle de vivre-ensemble témoigne notamment de la vision d’une société d’accueil quant à l’intégration culturelle des immigrant(e)s. (Voir Immigration au Canada.)

Au Canada, l’approche préconisée en matière d’intégration est le multiculturalisme. Ce modèle de vivre-ensemble est souvent décrit comme une « mosaïque » de cultures égales qui coexistent. Le multiculturalisme canadien fait la promotion de la diversité ethnique et culturelle, tout en s’appuyant sur le bilinguisme institutionnel. (Voir Loi sur les langues officielles.) Il s’agit d’une approche inclusive qui fait l’unanimité dans l’ensemble du pays, à l’exception du Québec.

Dans le cas du Québec, la notion de l’interculturalisme se développe en réponse au multiculturalisme canadien qui, pour certains, nie le caractère binational du Canada. (Voir Biculturalisme.) Historiquement, le multiculturalisme est perçu par certains comme une tentative d’effacer le statut particulier du Québec au sein du Canada. On accuse entre autres le multiculturalisme de mettre la culture québécoise francophone sur le même pied d’égalité que toutes les autres cultures. D’ailleurs, une déclaration de l’ancien premier ministre Pierre Elliott Trudeau sème alors la controverse. Dans un discours prononcé à la Chambre des communes en avril 1971, celui-ci affirme que « bien qu’il y ait deux langues officielles [au Canada], il n’y a aucune culture officielle ». Il s’agit alors d’un moment charnière qui contribue à la popularisation de l’interculturalisme.

Pourtant, le Québec forme lui-même une minorité linguistique et culturelle dans le Canada. Le modèle interculturel témoigne donc du désir d’affirmation de la population francophone du Québec. Or, l’interculturalisme découle en grande partie des tensions sociales et les luttes qui ont marqué l’histoire de la province. (Voir Nationalisme francophone au Québec.) La Charte de la langue française est un des piliers sur lesquels repose l’interculturalisme. Celle-ci reconnait l’usage du français comme langue officielle de l’État et des tribunaux. (Voir aussi Système judiciaire canadien.) La Charte fait aussi du français la langue normale et habituelle dans les milieux de travail, dans l’enseignement et dans l’affichage au Québec. Communément nommée la Loi 101, elle contribue aussi à l’effort de francisation des nouveaux(-elles) arrivant(e)s et vise à assurer la pérennité du français. Le modèle québécois s’oppose donc au principe d’égalité des cultures propre au multiculturalisme. Le Québec a toujours craint que cela ne nuise à la reconnaissance du français et à la protection du caractère distinctif de la nation québécoise.

Le sociologue Gérard Bouchard est un des grands penseurs de l’interculturalisme. Selon lui, l’approche québécoise se distingue des autres modèles d’intégration par la prise en compte de la dynamique entre le groupe majoritaire et les groupes minoritaires (minorités racisées, religieuses, ethnoculturelles, etc.). L’interculturalisme vise l’intégration des groupes minoritaires au sein de la nation québécoise. À l’inverse, le modèle multiculturel canadien suggère plutôt que la présence de multiples cultures constitue en soi l’identité nationale. Selon Gérard Bouchard, l’interculturalisme ne cherche pas à effacer les identités de chacun et chacune. Le modèle souhaite plutôt permettre une intégration sociale et économique via des échanges interculturels entre le groupe majoritaire et les communautés issues de la diversité. Enfin, une importance particulière est accordée à la question linguistique en immigration et à la francisation des nouveaux(-elles) arrivant(e)s. En principe, cela doit favoriser une intégration complète à la société québécoise.

Contexte historique

Les tensions entre le modèle de vivre-ensemble des gouvernements fédéral et provincial remontent à plusieurs décennies. Dans les années 1950, avant l’adoption du multiculturalisme au Canada, on parle encore de biculturalisme. Cette idée repose sur la reconnaissance de deux peuples « fondateurs » aux langues distinctes : les Canadien(ne)s anglais(es) et les Canadien(ne)s français(es). (Voir aussi Nationalisme canadien-français.) En juillet 1963, une Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme est mise en place. Elle est instiguée par le premier ministre Lester B. Pearson afin de faire le point sur la question. Toutefois, ce concept est vite éclipsé par le désir d’une politique multiculturelle à la suite d’événements historiques majeurs : la décolonisation de l’Empire britannique, le retrait de mesures racistes en immigration dans les années 1960 et l’accroissement des flux migratoires dû à la Guerre froide. (Voir Politique d’immigration au Canada.) C’est aussi devant la montée du sentiment nationaliste québécois que le biculturalisme est finalement remplacé. (Voir Nationalisme francophone au Québec.)

La Commission royale sur le bilinguisme et le biculturalisme

En octobre 1971, la première politique officielle du multiculturalisme est adoptée sous Pierre Elliott Trudeau. Celle-ci est vite perçue par la classe politique québécoise comme une attaque ciblant le mouvement souverainiste. Qu’ils soient souverainistes ou fédéralistes, les politicien(ne)s québécois(es) se sont généralement opposés à l’idéal multiculturel. Ils rejettent également l’existence d’une identité pancanadienne, plus précisément l’idée qu’elle soit homogène d’un bout à l’autre du pays. (Voir Langue et identité canadienne.)

Dans une lettre de Robert Bourassa à Pierre-Elliott Trudeau, envoyée le 11 novembre 1971 :
« Le Québec n’adopte pas, au niveau du principe du multiculturalisme, l’approche de votre gouvernement […]. Le Québec doit assumer le rôle de premier responsable sur son territoire de la permanence de la langue et de la culture française ».


Les années 1970 sont aussi marquées par la popularisation du terme « interculturel » dans les milieux communautaires de Montréal. Dès la fin de cette décennie, son emploi se généralise parmi d’autres sphères de la société québécoise comme les milieux culturels, politiques et administratifs. Toutefois, c’est le gouvernement de René Lévesque qui publie en 1981 une politique intitulée Autant de façons d’être Québécois. C’est le premier plan d’action qui rejette explicitement les principes du multiculturalisme canadien. On doit donc la naissance du modèle québécois à cette tension avec le gouvernement fédéral. Ce modèle se caractérise plutôt par une volonté de promouvoir une société pluraliste, mais dans laquelle la culture francophone prédomine.

C’est à la suite d’événements marquants tels que le premier référendum sur la souveraineté du Québec et le rapatriement de la Constitution que la Loi sur le multiculturalisme canadien entre en vigueur en 1988. (Voir aussi Séparatisme au Canada.) Celle-ci vise à faire la promotion de la diversité et du pluralisme comme étant des valeurs fondamentales de la société canadienne et de l’identité nationale. (Voir Identité canadienne.) Ce n’est vraiment qu’après cet événement que les politicien(ne)s et intellectuel(le)s québécois(es) commencent à parler « d’interculturalisme » comme alternative.

Entre 2006 et 2007, le Québec devient la scène d’une série de controverses par rapport à l’intégration des personnes issues de la diversité culturelle. Il s’agit d’une période où presque toutes les manchettes liées à l’immigration portent l’étiquette « d’accommodement raisonnable » . La Commission Bouchard-Taylor tenue en 2007 et 2008 est en fait le premier moment où l’interculturalisme est étudié comme un choix alternatif au multiculturalisme en tant que politique publique. Le rapport final conclut que l’approche de l’interculturalisme est privilégiée par la majorité des intervenant(e)s québécois(es) qui se sont prononcé(e)s en commission. Ceux-ci/celles-ci rejettent le multiculturalisme en raison de sa vision souvent simplifiée et peu adaptée à la réalité du Québec.

Bilan du modèle québécois

Plus d’une décennie plus tard, on ne peut toujours pas observer de consensus quant au concept d’interculturalisme au Québec. Il s’agit d’un modèle qui n’est pas inscrit officiellement dans la loi. L’héritage des débats de société sur l’approche québécoise en intégration et en inclusion de la diversité est toutefois plus net : on constate un engouement pour le concept d’interculturalisme dans la vie communautaire ainsi que dans les politiques publiques au Québec . À la suite de la « crise » des accommodements raisonnables, on observe une demande populaire pour des politiques identitaires au Québec. C’est le cas notamment de la Charte des valeurs québécoises (2013-2014), de la Loi 62 sur le service à visage découvert (2017) ou encore de la Loi sur la laïcité de l’État (2019).

Charte des valeurs québécoises

La question de la laïcité au Québec ne fait pas autant l’unanimité que celle de l’importance du français. Entrée en vigueur le 16 juin 2019, la Loi sur la laïcité de l’État (Loi 21) change alors le paysage des relations interculturelles au Québec. Cette loi interdit le port de signes religieux pour les personnes en situation d’autorité coercitive. Il en va de même pour les enseignants(es) du réseau scolaire public francophone. Bien qu’un consensus règne au Québec quant à l’importance de la neutralité religieuse de l’État, il en va tout autrement du port de symboles religieux. Il s’agit effectivement d’un enjeu délicat qui est fortement dénoncé comme pouvant porter atteinte à la liberté de religion.

Enfin, il existe une différence fondamentale entre l’approche québécoise et canadienne. Le multiculturalisme canadien fait l’objet d’une politique fédérale et est inscrit officiellement dans la Loi sur le multiculturalisme. Au contraire, l’interculturalisme québécois ne fait pas l’objet d’une politique ou d’une loi officielle à proprement parler.

On constate cependant une volonté au sein de la classe politique québécoise d’officialiser l’interculturalisme. Plusieurs politicien(ne)s désirent un projet de loi ou un énoncé politique qui définirait mieux le modèle d’intégration québécois. En mars 2015, avant l’entrée au pouvoir de la Coalition Avenir Québec, son chef François Legault présente un « plan [qui] vise à doter le Québec d’une loi sur l’interculturalisme québécois ». Deux ans plus tard, le Parti libéral du Québec présente quant à lui la Politique d’affirmation du Québec et de relations canadiennes (2017). Celle-ci demande entre autres qu’on adopte une politique officielle sur la question pour reconnaître l’interculturalisme.

En somme, les gouvernements québécois et canadien adoptent souvent deux discours différents sur la diversité et l’inclusion depuis quelques décennies. Rien n'indique cependant qu’ils poursuivent des objectifs contradictoires. En revanche, force est de constater qu’ils préfèrent nommer de façons distinctes une seule et même réalité. Ceci témoigne des visions divergentes du Québec et du Canada en matière d’intégration, qui reposent en grande partie sur le contexte linguistique différencié.