La société québécoise s’est fortement sécularisée à partir de la Révolution tranquille (1960-1970). C’est-à-dire qu’elle s’est à la fois laïcisée (en séparant davantage l’État de l’Église) et déconfessionnalisée (en effaçant le caractère religieux des institutions).
La question de la laïcité continue néanmoins de faire débat. L’adoption de la Loi sur la laïcité de l’État au Québec en juin 2019, en particulier, a relancé les discussions autour de la place de la religion dans l’espace public.
La croix du mont Royal
La croix du mont Royal, de l'artiste Pierre Ayot, en octobre 2016.
(avec la permission de Wikimedia Commons)
Avant la Révolution tranquille
Lorsque la Confédération se forme en 1867, la Constitution canadienne laisse aux provinces les champs de compétence de la culture et des affaires sociales. Cependant, l’influence de l’État québécois est limitée par ses faibles moyens financiers et par une idéologie libérale qui tend à minimiser le rôle de l’État. Animée par la doctrine ultramontaine, l’Église catholique entend pour sa part jouer un rôle important dans les domaines culturel et social.
Ailleurs au Canada et aux États-Unis, les populations adhèrent à des croyances diverses. Les regroupements sociaux ou politiques qu’elles forment sont donc souvent interconfessionnels ou neutres. En revanche, au Québec, la quasi-totalité des Canadiens français sont de confession catholique et, par conséquent, leurs regroupements sont plus facilement confessionnels. Les coopératives, les syndicats et autres organismes affichent davantage leur appartenance religieuse. L’Union catholique des cultivateurs (aujourd’hui l’Union des producteurs agricoles), la Confédération des travailleurs catholiques du Canada (aujourd’hui la Confédération des syndicats nationaux) en sont des exemples. L’Église catholique en profite donc pour encadrer institutionnellement et symboliquement la communauté canadienne-française.
En effet, l’Église prend en charge le cadre de vie des Canadiens français. Elle dirige, entre autres, les paroisses, les cercles d’études, les écoles, les hôpitaux, plusieurs périodiques et les loisirs. L’église constitue le cœur des villages, lesquels portent d’ailleurs à peu près tous le nom de saintes et de saints. Montréal est connu comme étant « la ville aux cent clochers ».
L’appartenance à la religion catholique définit également l’identité des Canadiens français. L’historien, journaliste et homme politique Thomas Chapais affirme en 1905 : « Un Canadien-français qui n’est pas catholique constitue une anomalie. Un Canadien [français] qui n’est plus catholique après l’avoir été, constitue une monstruosité. »
L’emprise de l’Église sur la vie des Canadiens français du Québec entraîne un important essor des vocations religieuses. Ainsi, en 1951, il y a au Québec 90 catholiques pour un religieux (prêtres, frères et sœurs; ce ratio est de 400 pour 1 en 2006). Au Canada anglais, à cette époque, on traite couramment le Québec de priest-ridden province (province dominée par les prêtres).
Révolution tranquille
La Révolution tranquille (1960-1970) correspond à un moment de déconfessionnalisation de la société québécoise.
Le Concile Vatican II (1962-1965) entérine cette évolution en ne faisant plus de l’État confessionnel un article de la doctrine catholique.
La déconfessionnalisation est le fruit, d’une part, d’une révolution des mœurs. L’émancipation des femmes, en particulier, bouscule l’ordre ancien. La contestation de l’autorité patriarcale, la banalisation du divorce et l’entrée des femmes sur le marché du travail provoquent une remise en question de la place de la religion dans la société. Les religions monothéistes sont de plus en plus suspectes de misogynie. (Voir Femmes et Révolution tranquille.)
La déconfessionnalisation est, d’autre part, la conséquence de l’avènement de l’État providence au Québec. Les tâches autrefois assumées par l’Église sont désormais prises en charge par un État qui ne cesse de croître. Un événement symbolise cet essor de l’État providence. C’est le dépôt, entre 1963 et 1966, du rapport Parent (issu des travaux de la Commission royale d’enquête sur l’enseignement dans la province de Québec). Ce rapport entraîne la création du ministère de l’Éducation en 1964. Le Québec cesse de structurer le système scolaire en fonction des attentes de l’Église catholique. Ce sont plutôt les exigences d’une société démocratique, pluraliste et technologique qui guident désormais les politiques en matière d’éducation.
Dès la fin des années 1960, la pratique religieuse est en chute libre. La parole des prêtres est sujet de moquerie chez la génération des « baby-boomers ». La population n’est pas forcément moins croyante, mais elle choisit les croyances auxquelles elle adhère et ses choix se font souvent en dehors des cadres des religions instituées.
Période contemporaine (depuis 2000)
Entre 1970 et 2000, la société québécoise continue de se séculariser. À la fin des années 1990, les commissions scolaires sont regroupées sur une base linguistique et non plus confessionnelle. En 2000, une réforme du système d’éducation étend ce changement aux écoles.
Les Québécois d’origine canadienne-française ne cessent pas pour autant d’entretenir un certain attachement à la religion catholique sur le plan personnel. Par ailleurs, nombreux sont ceux qui ont du mal à accepter la présence de religions non chrétiennes dans l’espace privé et public, y voyant une atteinte à leurs traditions.
L’exemple du crucifix placé au-dessus du siège du président de l’Assemblée nationale au Salon bleu, où siègent les députés, illustre ce rapport persistant à la religion catholique. Certains en défendent la présence parce qu’il incarne un pan de l’histoire de la nation française en Amérique. À leurs yeux, le crucifix fait partie du « patrimoine immatériel » du Québec. En 2019, l’Assemblée nationale adopte une motion visant à le retirer du Salon bleu, tout en le mettant en valeur ailleurs dans l’enceinte du Parlement.
En 2006 éclate la « crise » des accommodements raisonnables. Elle est provoquée par les demandes de certains groupes de se soustraire à certaines règles au nom de leurs croyances religieuses. Ainsi, un jeune sikh montréalais réclame le droit de porter un kirpan (dague cérémoniale) à l’école au nom de sa foi. Comme la commission scolaire dont son école fait partie interdit le port d’une arme blanche, la cause se retrouve devant les tribunaux. La Cour supérieure du Québec autorise le port du kirpan, mais la Cour d’appel du Québec donne raison à la commission scolaire. Enfin, la Cour suprême du Canada annule cette décision et accorde à l’élève le droit de porter son kirpan.
Commission Bouchard-Taylor
La controverse s’intensifie, amplifiée par des reportages sensationnalistes dans les médias. En 2007, le gouvernement du Québec annonce la mise sur pied de la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles. La consultation est connue sous le nom de « commission Bouchard-Taylor » d’après ses coprésidents, Gérard Bouchard et Charles Taylor. Parmi les recommandations du rapport, on trouve l’interdiction du port de signes religieux par certains agents de l’État. Ces agents comprennent les magistrats et les procureurs de la Couronne, les policiers, les gardiens de prison, ainsi que le président et les vice-présidents de l’Assemblée nationale.
Certains estiment que la Commission va trop loin. La sécularisation du Québec exige, selon eux, la pleine reconnaissance du pluralisme religieux. Un État sécularisé est un État qui assure un traitement équitable aux personnes, en prenant en considération les demandes « raisonnables » qui découlent des croyances religieuses.
D’autres, par ailleurs, pensent que la Commission ne va pas assez loin. Pour eux, un État sécularisé ne doit en aucun cas prendre en compte les convictions religieuses des personnes. Il doit, au contraire, s’assurer que la religion est le moins possible visible dans l’espace public. Selon ce mode de pensée, la religion est non seulement source de divisions sociales (c’est-à-dire de « communautarismes »), mais aussi d’obscurantisme. (On entend par obscurantisme la dévalorisation des savoirs scientifiques et des droits de la personne, notamment le principe de l’égalité des genres.)
Charte des valeurs québécoises
Le 7 novembre 2013, le Parti québécois dépose un projet de loi à l’Assemblée nationale du Québec sous le nom de Charte affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité religieuse de l’État ainsi que d’égalité entre les femmes et les hommes et encadrant les demandes d’accommodement. Cette Charte des valeurs québécoises s’évanouit avec la victoire du Parti libéral aux élections du 7 avril 2014, parti opposé à ce projet qui « sème inutilement la discorde ».
Loi 21
En juin 2019, alors que la Coalition Avenir Québec est au pouvoir, l’Assemblée nationale du Québec adopte la Loi sur la laïcité de l’État (loi 21). Cette loi est la première à stipuler que « L’État du Québec est laïque » (article 1). Comme le recommandait le rapport Bouchard-Taylor, la Loi interdit le port de signes religieux aux employés de l’État en position d’autorité coercitive (par ex., un policier ou un juge). Elle étend toutefois cette interdiction aux enseignants du réseau scolaire public. La Loi reconnait par ailleurs un droit acquis de porter des signes religieux aux personnes déjà en poste avant la présentation du projet de loi.
Les critiques fusent dès l’adoption de la loi 21. Plusieurs observateurs (entre autres, Charles Taylor) sont d’avis que les exigences de la Loi entraînent des effets exactement contraires à ses intentions, et le déplorent. Ils affirment que la Loi nuit au vivre ensemble, stigmatise certaines populations déjà marginalisées et vulnérables et contribue à la ségrégation de certains groupes.
Le gouvernement est prêt à recourir à la clause dérogatoire dès l’adoption du projet de loi. Cette clause permet de passer outre à certains droits inscrits dans la Charte canadienne des droits et libertés. Malgré cette mesure, la Loi sur la laïcité de l’État est immédiatement contestée devant les tribunaux. En avril 2021, un jugement de la Cour supérieure du Québec accorde une exemption à la Loi aux commissions scolaires anglophones du Québec ainsi qu'aux députés de l'Assemblée nationale.