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Loi 21 (Loi sur la laïcité de l'État)

La Loi 21 (également appelée « Loi sur la laïcité de l’État ») a été adoptée le 16 juin 2019 par l’Assemblée nationale du Québec. Cette loi vise à confirmer le statut laïque de la province et, du même souffle, interdit le port de signes religieux aux membres de l'État en position d'autorité, ainsi qu'aux enseignantes et enseignants du réseau public. La loi ne s’applique pas aux étudiantes et étudiants en enseignement. Elle prévoit par ailleurs une clause d'antériorité (communément appelée « clause grand-père ») pour ceux et celles en poste avant l’adoption de la nouvelle législation. (Voir Laïcité au Québec.)

Historique

La société québécoise se sécularise graduellement à partir de la Révolution tranquille. Au fil du temps, l’État prend de plus en plus de place sur l’Église catholique. Vers la fin des années 1990, l’éducation se déconfessionnalise. Les écoles québécoises ne sont plus rattachées aux églises catholiques ou protestantes.

L’adoption de la loi 21 au Québec s’inscrit dans un contexte plus récent de débat sur la laïcité qui s’étale sur plus d’une décennie. Du débat sur les accommodements raisonnables en 2007 (voir Commission Bouchard-Taylor) à la loi 62, en passant par la Charte des valeurs québécoises, le sujet de la pratique religieuse dans l’espace public a fait couler beaucoup d’encre.

Quebec Values Charter
Quebec Values Charter

Si la plupart s’entendent sur l’importance d’un État laïque, c’est-à-dire de l’indépendance de l’État et des religions, la définition du concept de laïcité diffère selon les groupes. Certains parlent ainsi de laïcité dite ouverte, c’est-à-dire un modèle de laïcité qui permet la présence de la religion dans l'espace public, dans les limites du respect des droits et libertés des autres citoyens. À l’opposé, la laïcité dite fermée valorise la stricte neutralité religieuse dans l'espace public.

Une loi controversée

La loi 21 découle d’une recommandation du rapport Bouchard-Taylor en 2008 (voir Commission Bouchard-Taylor). Dans un premier temps, elle vise à affirmer la laïcité du Québec. Elle officialise l’interdiction des signes religieux portés par le personnel de l'État en position d'autorité comme les membres de la police et les juges. Le gouvernement décide d’aller plus loin en incluant également les enseignants et enseignantes du réseau public. Le personnel déjà en poste avant l’adoption de la loi bénéficie d’un droit acquis.

La loi 21 n’a pas été adoptée sans heurt. Dans un premier temps, le projet de loi est critiqué par les partis d’opposition comme le Parti libéral du Québec et Québec solidaire. Les groupes religieux affectés par le projet de loi sont également peu consultés. La loi est finalement adoptée sous bâillon — en restreignant le débat. Le projet de loi récolte 73 votes favorables de la part des députées et députés de la Coalition Avenir Québec et du Parti québécois, tandis que les 35 membres du Parti libéral et de Québec solidaire votent contre.

Les deux anciens commissaires à l’origine du rapport Bouchard-Taylor se sont par ailleurs dissociés de cette législation. Gérard Bouchard affirme entre autres que le projet est « radical » et injustifié. Plusieurs universitaires dénoncent également la nouvelle loi (voir aussi Universités au Canada). De plus, des organisations humanitaires comme Amnistie internationale se positionnent publiquement contre la loi 21.

La critique de la loi s’est même invitée dans la campagne électorale fédérale en 2021, lors du débat des chefs en anglais. La présidente de l'Institut Angus Reid et modératrice du débat, Shachi Kurl, provoque tout un tollé en demandant au chef bloquiste Yves-François Blanchet pourquoi sa formation soutient des lois « discriminatoires », comme la loi 21 sur la laïcité de l'État.

La population semble toutefois généralement favorable à cette nouvelle loi. Un sondage réalisé quelques jours avant le dépôt du projet de loi 21 sur la laïcité par le gouvernement du Québec démontre qu’une majorité de la population est en faveur de l’interdiction des signes religieux chez les employés de l’État en position d’autorité.

Poursuites judiciaires

L’utilisation de la clause nonobstant (clause dérogatoire d’exception permettant d’ignorer certains articles de la Charte canadienne des droits et libertés) est un point de contestation important. Ni la charte québécoise ni la charte canadienne ne précisent les conditions dans lesquelles le recours aux dispositifs de dérogation peut être utilisé. La loi vient par ailleurs amender la Charte québécoise des droits et libertés de la personne en ajoutant, au sein de son préambule, l’alinéa suivant : « Considérant l’importance fondamentale que la nation québécoise accorde à la laïcité de l’État ».

Le gouvernement a choisi d’utiliser la clause dérogatoire « pour éviter de longues batailles juridiques ». Si telle était l’intention, le résultat est tout autre. Aussitôt adoptée, la loi est contestée en cour. D’une part, Ichrak Nourel Hak, une étudiante musulmane en enseignement portant le hijab, conteste la loi. Elle est soutenue par le Conseil national des musulmans canadiens et l'Association canadienne des libertés civiles (voir aussi Libertés civiles). D’autre part, la Commission scolaire English-Montréal (CSEM) décide elle aussi de contester la Loi 21 devant les tribunaux. Selon elle, la loi 21 enfreint l'article 23 de la Charte canadienne qui protège le droit à l'enseignement dans la langue de la minorité linguistique. La CSEM considère que l’article 23 l’accorde des droits dans la gestion des écoles notamment en ce qui concerne le recrutement et la rétention du personnel — des droits limités par la Loi 21. (Voir aussi Article 23 et éducation francophone hors Québec.) Plus tard, la Fédération autonome de l'enseignement, un syndicat regroupant des enseignantes et enseignants, dépose également une requête pour faire invalider plusieurs articles de la Loi 21. En 2022, le gouvernement fédéral annonce qu’il participera à la contestation judiciaire contre la loi 21 si celle-ci se rend à la Cour suprême du Canada.

En avril 2021, la Cour supérieure du Québec maintient l'application de la Loi sur la laïcité de l’état. Toutefois, le juge déclare que celle-ci ne devrait pas s’appliquer aux commissions scolaires anglophones ni aux membres de l’Assemblée nationale. Cette décision est portée en appel par les deux côtés. Le premier ministre François Legault déclare que le jugement est « illogique ».


La clause dérogatoire de la loi doit être renouvelée tous les cinq ans : la contestation judiciaire et politique est donc loin d’être terminée.