Internet et musique
Conçu au début des années 1970, Internet est à l'origine un « réseau de réseaux » qui nécessite l'utilisation de plusieurs différents systèmes informatiques universitaires et gouvernementaux des États-Unis. Il prend rapidement de l'expansion et englobe des réseaux informatiques d'autres pays, dont le Canada. À la fin des années 1970 et au début des années 1980, des discussions sur la musique commencent à apparaître au moyen de systèmes de babillard électronique (BBS) accessibles par modems locaux. Cette formule se généralise plus tard pour inclure des services ayant une plus grande portée géographique. À l'origine, le système BBS canadien le plus important est Canada Remote Systems (CRS, 1979-1996), qui compte 10 000 membres payants. Les systèmes BBS sont souvent utilisés par des communautés d'adeptes (s'intéressant, par exemple, à des musiciens, aux ordinateurs, etc.) et par d'autres groupes (communautés ethniques, professionnels, etc.), ainsi que pour des coupures de presse et des petites annonces.
Formats et logiciels de fichiers de musique
Les fichiers de musique prennent beaucoup de place dans un ordinateur comparativement aux fichiers texte. Presque aucun ordinateur personnel ne comporte de disque dur avant 1987; à l'époque, la capacité de stockage est généralement limitée à 20 mégaoctets (Mo). Un format de fichier audio utile est créé en 1988 : l'AIFF (format d'échange de fichier audio) d'Apple (Macintosh). Le format WAV de Microsoft (Windows) fait son apparition en 1991, suivi, en 1992, du format MP3 (MPEG-1, niveau 3) du groupe MPEG (groupe d'experts pour le codage d'images animées). Le format rival RealAudio apparaît en 1995. Parmi les logiciels permettant la lecture de ces formats figurent QuickTime (Apple, 1991), Windows Media Player (Microsoft, 1991), RealPlayer (RealNetworks, 1995), WinAMP (1997), MusicMatch (1997) et iTunes (Apple, 2001). En 2001, un ordinateur de bureau grand public comporte généralement un disque dur d'environ 20 gigaoctets (Go). Ainsi, les systèmes peuvent contenir une quantité satisfaisante de musique. Il faut alors « ripper » les CD (en copier le contenu) pour en convertir les pistes en fichiers numériques qu'on ajoute à la bibliothèque lisible par l'ordinateur. Copier le contenu des CD était alors facile puisque les entreprises des médias ne les protégeaient pas contre la copie, comme c'était le cas pour les vidéocassettes de films.
Partage et copie de fichiers de musique
Grâce à la plus grande rapidité des modems au début des années 1990, les systèmes BBS de partage de logiciels (ces logiciels étant communément appelés « partagiciels » ou « gratuiciels ») commencent à permettre de partager des fichiers de données binaires d'enregistrements musicaux, qui contiennent souvent des œuvres protégées par le droit d'auteur. Une chanson décompressée peut être téléchargée en quelques heures au moyen d'une connexion par modem téléphonique. À peu près à la même époque, les groupes de discussion sur Usenet (utilisant le protocole NNTP) commencent à permettre d'accéder non seulement à des discussions sur la musique, mais aussi à de la musique enregistrée. Le premier usage relativement répandu (bien que non courant) d'Internet et des ordinateurs est donc le partage de chansons protégées par le droit d'auteur, sans l'autorisation des maisons de disques ni des artistes et sans paiement aux détenteurs du droit d'auteur. Le problème n'est cependant pas nouveau, puisque les disques et les cassettes sont déjà copiés depuis des décennies.
La solution au problème de la copie à domicile que suggère le Canada en 1997 (sans doute pour compenser les problèmes juridiques que posent les copies personnelles non autorisées) est la perception d'une redevance de 24 cents pour chaque cassette vierge de 40 minutes ou plus. Les fonds ainsi recueillis (qui s'élèvent à des dizaines de millions de dollars) sont versés par la Commission du droit d'auteur du Canada à la Société canadienne de perception de la copie privée; deux tiers en sont remis aux auteurs-compositeurs et aux éditeurs de musique, et de plus petites sommes, aux interprètes et aux maisons de disques. Toutefois, le partage de fichiers numériques sur Internet ne devient un problème relativement important qu'en 1999.
Le protocole de transfert de fichier (FTP) est aussi utilisé pour la distribution de fichiers de musique, mais cette méthode est plus transparente (et des litiges peuvent s'ensuivre) que l'utilisation de Usenet. Cependant, ce protocole permet à des artistes indépendants comme le Canadian Electronic Ensemble de présenter leur musique (notamment leurs spectacles) à des gens qui, autrement, ne pourraient pas entendre leurs interprétations. Pour les mêmes raisons, les listes de fichiers binaires contenues dans des forums sont parfois maintenues pour leur fonction principale, qui est la distribution d'enregistrements téléchargés par les utilisateurs.
Parmi les listes de forums concernant la musique canadienne en particulier, citons alt.fan.muchmusic, alt.music.canada, alt.music.celine-dion, alt.music.leonard-cohen, alt.music.ct-dummies, alt.music.s-mclachlan, alt.music.moxy-fruvous, alt.music.rush, alt.music.tragically-hip et alt.binaries.music.alanis-morissette.
Format MP3 et Internet haute vitesse
Le World Wide Web et le protocole de transfert hypertexte (HTTP), qui apparaît au début des années 1990, facilitent énormément la distribution d'information et le partage de fichiers, grâce à des programmes normalisés comme Netscape et Internet Explorer, et, par la suite, Safari et Firefox. Le format MP3 devient le format de fichiers audio le plus populaire autour de 1998, en partie parce que tous les programmes audio peuvent lire ces fichiers et aussi parce qu'il devient omniprésent dans l'utilisation du service de partage de fichiers pair à pair Napster (1999-2001), de plateformes logicielles pair à pair semi-centralisées ultérieures comme Kazaa, LimeWire et Morpheus, ainsi que de clients pair à pair décentralisés comme uTorrent (qui utilise des connexions BitTorrent entre utilisateurs anonymes). De nombreux audiophiles soutiennent et ont prouvé que les méthodes de compression utilisées pour produire les fichiers de musique MP3 donnent des copies dont le son n'est pas aussi bon que celui des enregistrements d'origine, mais la plupart des gens équipés de matériel audio grand public se contentent de cette qualité, qui est proche de celle des CD.
Redevances sur la copie
En 1997, une redevance de 21 cents par copie est mise en œuvre pour les CD vierges. Les lecteurs MP3 et les appareils similaires (comme les iPods) sont par la suite assujettis à un droit fixe par appareil, mais celui-ci est éliminé en 2004. En 2007, l'Association de l'industrie canadienne de l'enregistrement tente de faire abroger toutes les redevances de copie privée, étant d'avis qu'elles légalisent de façon implicite la copie, qu'elle juge illégale (bien que la Loi sur le droit d'auteur protège clairement le droit de faire des copies à usage privé). Toutefois, ces actions n'ont pas résolu les problèmes posés par le partage pair à pair de fichiers sur Internet.
Impact d'Internet sur les magasins de disques
La croissance commerciale d'Internet vers la fin des années 1990 et au début des années 2000 entraîne la fermeture de nombreux magasins de disques traditionnels. Ce phénomène touche nombre de petits magasins de disques, mais aussi la plus importante chaîne de magasins de disques du pays, Sam the Record Man (qui a existé de 1937 à 2001, avec 130 magasins), bien que son magasin phare, situé au centre-ville de Toronto, ait survécu jusqu'en 2007. Ce changement considérable intervenu dans le fonctionnement de l'industrie de la musique a plusieurs causes : un contrecoup aux prévisions de vente démesurées établies par les grandes maisons de disques (qui offrent des rééditions, des recompilations, des remastérisations, etc.) dans les années 1990, l'accent grandissant mis par les mêmes entreprises sur le marketing de vidéoclips, la consolidation, dans le marché canadien, de chaînes internationales de vente au détail comme HMV et, surtout, la disponibilité croissante de CD et de DVD à vendre sur Internet par des sites web comme Amazon.ca. Le partage de fichiers n'est qu'un facteur parmi tant d'autres qui ont contribué à la diminution des ventes traditionnelles d'enregistrements.
Index de recherche et outils de partage de fichiers
Nombre d'internautes utilisent le moteur de recherche isoHunt (créé en 2003 par le Canadien Gary Fung) pour le partage de fichiers BitTorrent. En mai 2009, l'index d'isoHunt répertorie plus de deux millions de torrents (éléments correspondant à de la musique, des vidéos, des émissions de télévision, des films, des logiciels, etc.), comprenant 56 millions de fichiers, soit près de deux millions de gigaoctets de données, pour plus de 24 millions d'utilisateurs, ce qui correspond environ au nombre d'utilisateurs de Napster à son apogée au début de 2001. D'autres services de fichiers MP3 sont souvent lancés dans d'autres pays, comme la Russie.
L'apparition, à la fin des années 1990, de services d'Internet haute vitesse (notamment au moyen d'infrastructures téléphoniques et de câblodistribution), fait qu'une chanson peut généralement être téléchargée au moyen d'un réseau pair à pair et d'une connexion Internet haute vitesse en quelques secondes ou en quelques minutes, la vitesse dépendant principalement du nombre d'utilisateurs permettant à d'autres personnes d'accéder simultanément au même fichier. Permettre à des personnes d'accéder à du contenu n'est pas la même chose que le distribuer de façon active. Ainsi, la question demeure : le dossier de partage d'un particulier constitue-t-il une copie ou une distribution privée? Les outils de partage de fichiers comme uTorrent et LimeWire contournent ce problème en utilisant le dossier de téléchargements par défaut des ordinateurs (qui peuvent contenir du contenu multimédia acheté ou d'autres téléchargements dont la légalité n'est pas ambiguë).
Décisions judiciaires
En 2000, le groupe rock américain Metallica réalise que sa chanson « I Disappear » circule sur Internet avant sa parution officielle. Le groupe entame une action en justice contre Napster et plusieurs universités soi-disant complices (puisqu'elles permettent aux étudiants d'utiliser Napster). Napster réagit en excluant 300 000 utilisateurs soupçonnés de partager les chansons de Metallica. Au Canada, en 2004, la Cour fédérale décide que le partage de fichiers de musique est légal, puisque la copie privée de musique est permise au pays, sauf si un particulier distribue des copies de ces fichiers ou fait la promotion de leur disponibilité. Cette décision est annulée par la Cour d'appel fédérale le 19 mai 2005, en grande partie parce que les fournisseurs d'accès Internet (FAI) canadiens ne peuvent être forcés (contrairement à ceux des États-Unis) à révéler les noms des personnes soupçonnées de distribuer illégalement de la musique. Ainsi, on en vient à conclure qu'il n'y a pas de preuves suffisantes d'un côté, ni de l'autre. (C'est là la différence avec les États-Unis, où 261 personnes ont été poursuivies en justice en 2004 et où une femme a reçu une amende de 1,92 million de dollars en 2009.) Les élections fédérales canadiennes de 2006 et de 2008 ont retardé la mise en place de modifications à la Loi sur le droit d'auteur visant à rendre le partage de fichiers illégal de façon plus ferme.
En 2009, certains, notamment l'Association des auteurs-compositeurs du Canada et d'autres membres de l'industrie de la musique canadienne, plaident en faveur de l'instauration d'une redevance pour la copie de musique et de contenu multimédia dans les frais de connexion Internet au Canada par l'entremise des FAI.
Solutions de partage légal de fichiers
Il existe diverses solutions de partage légal de fichiers, notamment le magasin d'iTunes ouvert depuis 2003 aux États-Unis et depuis 2004 au Canada, qui utilise le format MPEG-4 ACC, s'apparentant au format MP3; le service comparable offert par Amazon.com (qui utilise le format MP3, mais seulement aux États-Unis); le système par abonnement eMusic (lancé en 1998, qui utilise le format MP3 et qui est principalement axé sur de la musique moins commerciale); le système par abonnement Rhapsody (lancé en 2001 et pris en charge par RealNetworks depuis 2003); une nouvelle version par abonnement de Napster (2003); ainsi que des sites web de l'industrie comme getmusic.ca par Universal Music Canada. Les services par abonnement Rhapsody et Napster utilisent des formats de fichier de diffusion en continu qui ne permettent pas de télécharger des chansons sur plusieurs appareils, mais Napster offre l'option d'acheter des fichiers séparément pour les télécharger, ainsi qu'une option d'abonnement pour utiliser directement ses services à partir de certains appareils portatifs. Un fichier MP3 ou un fichier compressé de façon similaire peut habituellement être téléchargé ou écouté en continu en quelques secondes à partir d'un fournisseur légal au moyen d'une connexion Internet haute vitesse.
En 2006, plus d'un million d'albums numériques et près de 15 millions de simples numériques sont vendus au Canada. En 2008, le magasin d'iTunes devient le détaillant de musique le plus important aux États-Unis et, en 2009, il élimine son mécanisme de protection de copie qui rend difficile le déplacement de musique d'un ordinateur ou d'un appareil portatif à l'autre; par ailleurs, la qualité sonore de la majorité des millions de chansons disponibles est améliorée.
Appareils portatifs, capacité de stockage et logiciels d'édition
En 2009, les ordinateurs personnels comportent généralement un disque dur de 320 à 500 Go, et les ordinateurs portatifs, un disque dur de 160 à 320 Go. Les petits appareils portatifs (à mémoire flash) ont habituellement une capacité de stockage de 4 à 8 Go (ce qui équivaut à une collection de 100 à 200 CD). Les appareils portatifs contenant un disque dur (comme les nouveaux iPods « classiques ») peuvent stocker de 60 à 160 Go de données (ce qui permet de contenir de 1400 à 3800 CD). Certains appareils (comme les iPhones, les iPods avec fonctionnalité Internet et de nombreux cellulaires) peuvent télécharger de la musique directement sur Internet, mais bien des gens peuvent aussi synchroniser ces appareils avec la bibliothèque de leur ordinateur.
Les logiciels d'édition audio, comme SoundForge (1994) et Cool Edit Pro (1997), ainsi que les logiciels séquenceurs audio/MIDI, comme Cubase (depuis 1991) et Logic (depuis 1994), permettent de créer et d'éditer des fichiers de musique et de les sauvegarder sur des disques durs dans des formats accessibles, dont des formats permettant leur distribution sur Internet. D'autres programmes ultérieurs, y compris GarageBand (2002) et Audacity (2004, à l'origine appelé Cool Edit Pro), sont utilisés de la même façon pour produire de nouvelles versions (modification de certains aspects d'une chanson, notamment des percussions, de la mélodie ou des paroles), comme celle de la chanson Africa (1982) du groupe américain Toto qu'a sortie en 2008 le Canadien Karl Wolf, des mashups, ou fusions (combinaison de grandes parties de deux ou de plusieurs chansons en une nouvelle chanson), comme dans Annie Rush (2004) de Go Home Productions du Royaume-Uni, ainsi que des baladodiffusions. De nombreux musiciens canadiens se servent de ces outils pour créer de la musique et distribuer sur Internet les fichiers de musique ainsi produits. D'ailleurs, l'Alliance canadienne des créateurs de musique (formée en 2006) s'est opposée à la poursuite des amateurs de musique qui téléchargent de la musique à l'aide de services de partage de fichiers.
Utilité d'Internet pour la promotion de la musique canadienne
La grande majorité des musiciens canadiens (avec ou sans contrat d'enregistrement) ont un site web. Parmi les sites web d'interprètes importants, citons ceux de Céline Dion, Crash Test Dummies, Molly Johnson, Sarah McLachlan, Kardinal Offishall, Rush et The Tragically Hip. Certains artistes canadiens, comme les Barenaked Ladies et Avril Lavigne, offrent gratuitement des enregistrements partiels, des versions alternatives, des interprétations sur scène, des vidéos en continu et des vidéos en direct sur leur site web, mais les chansons enregistrées en studio et les albums complets doivent généralement être téléchargés à partir de sites web comme le magasin d'iTunes. La plupart des stations de radio canadiennes et d'autres diffuseurs du domaine de la musique ont un site web qui permet d'écouter de la musique, que ce soit en continu à partir de leurs diffusions, ou sous forme de balados téléchargeables qui peuvent être écoutés sur des appareils portatifs comme les iPods. De plus, depuis la fin des années 1990, Internet est utilisé pour la diffusion en continu de musique, comme la radio.
De 2003 à 2005, la production de musique canadienne a augmenté de 8,8 pour cent, jusqu'à représenter 21 pour cent des ventes totales de musique au Canada, alors que la quantité de musique étrangère parue au Canada a baissé de 5,6 pour cent. Malgré la diminution, depuis 1999, des ventes internationales de musique préenregistrée, les ventes d'albums de plusieurs centaines d'artistes canadiens les plus vendeurs ont augmenté en moyenne de 16 pour cent par an de 2001 à 2005, ce qui prouve que les Canadiens sont de plus en plus disposés à payer pour télécharger de la musique canadienne.
Voir aussi : Internet, le droit et
Bibliographie
« The download decade », Globe and Mail, diverses éditions
Christopher JONES, « Metallica rips Napster », Wired (13 avril 2000)
John NEWTON, « Canadian music creators speak out against file sharing lawsuits », TechNewsWorld, (26 avril 2006)
Carly WEEKS et Tony LOFARO, « Digital deterrents drive fans away, musicians' group tells politicians », Ottawa Citizen (9 mai 2006)
« Songwriters Association of Canada makes peer-to-peer proposal », Canadian Musician (mars-avril 2008)