John Christie Holland, pasteur, dirigeant communautaire, militant et employé en voiture Pullman (né le 25 décembre 1882 à Hamilton, en Ontario; décédé le 22 juin 1954 à Hamilton). John Holland a été le premier Noir à se voir décerner le titre de citoyen émérite de l’année par une grande ville canadienne.
Histoire familiale et chemin de fer clandestin
Les récits familiaux font remonter les origines de John Christie Holland aux côtes de l’Afrique de l’Ouest en 1792. Ils parlent de marchands d’esclaves hollandais capturant son arrière-grand-père pour en faire un esclave lors d’une descente au « village des géants ». Confiné, avec des centaines d’autres captifs, dans la cale d’un navire, il est amené de force aux États-Unis où il est vendu comme esclave, sous le nom de William, à un planteur du Maryland. William et sa femme, Chloe, donnent naissance à plusieurs enfants, dont William Augustus Holland appelé habituellement Augustus ou Gustus.
Augustus est ensuite vendu à la plantation Howard à Sandy Spring dans le Maryland. Il épouse Leatha. Trois filles et deux garçons, William et Thomas (le père de John), naissent de ce mariage. Conformément aux usages de l’époque, ils prennent comme patronyme le nom du propriétaire de la plantation, Howard.
William, le fils aîné, réussit à s’enfuir au Canada alors qu’il est âgé de 18 ou 19 ans. Thomas le rejoint peu après. En 1860, il n’a que 15 ans lorsqu’il réussit à emprunter le chemin de fer clandestin à destination du Canada. Selon la légende familiale, c’est en traversant à la nage la rivière Niagara qu’il pénètre au pays. Au terme de son périple, il s’installe à Hamilton en Ontario. En l’honneur de leur père et pour échapper aux chasseurs de primes en provenance des États-Unis, Thomas et son frère adoptent « Holland » comme patronyme (voir également l’article Loi des esclaves fugitifs de 1850).
Après quelques années comme agriculteur, Thomas Holland crée à Hamilton un petit commerce prospère de farine et de provende. Comme la plupart des esclaves en fuite, il est très croyant et va régulièrement à l’église. Il se rend également souvent dans une petite mission située sur l’escarpement surplombant Hamilton où il rencontre Henrietta Shortts qu’il épouse en 1875. Cette dernière, contrairement à son mari, est née libre à Hamilton. Tandis que Thomas Holland est analphabète, elle sait lire et écrire. Elle tient à ce que d’éventuels enfants à naître reçoivent une éducation formelle. Le couple achète, à cet effet, une maison en ville d’où les enfants pourront se rendre facilement à l’école à pied.
Jeunesse et influences
Henrietta donne naissance à 13 enfants dont 9 seulement survivront jusqu’à l’âge adulte. (Quatre décèdent très jeunes, respectivement, de la coqueluche, de la tuberculose, de diarrhées et de graves brûlures provoquées par un tragique accident.) Le cinquième enfant naît le jour de Noël 1882. Il reçoit le nom de John Christie (pour « Christmas », Noël en anglais) Holland.
Les Holland participent activement à la vie de l’église locale. Thomas est responsable de l’entretien de l’église africaine méthodiste épiscopale Saint-Paul à Hamilton, la seule église de la ville s’adressant à la communauté noire. Il occupe également les fonctions de chef de chœur et c’est autour de sa voix de basse, qui résonne puissamment, que le chœur de l’église s’articule. Sa femme, Henrietta, fait également partie des dirigeants de l’église et la famille entière assiste régulièrement aux offices et à l’école du dimanche.
C’est auprès de ses parents que John Holland se pénètre de la valeur d’un dur labeur. Son père, Thomas, s’occupe du magasin et effectue des tournées au Canada et aux États-Unis comme membre du célèbre O’Bannyan Jubilee Singers (qui deviendra plus tard le Canadian Jubilee Singers). Pour améliorer les revenus de la famille, sa mère, Henrietta, se rend au marché local des producteurs pour vendre de la paille à rembourrer les matelas ainsi que des confitures et des conserves maison. L’argent ainsi gagné est investi dans des cours de musique et dans la scolarité des enfants.
Les garçons aident à la boutique et occupent des emplois à temps partiel après l’école. À 11 ans, le petit John décroche un emploi de vendeur du journal local, le Hamilton Spectator. C’est en vendant ses journaux qu’il est parfois victime des railleries de brutes vociférant des insultes racistes.
À l’école secondaire Central Collegiate de Hamilton, il travaille dur, espérant étudier la théologie pour devenir prédicateur. Bien qu’une enseignante, mademoiselle Burrow, informe les parents du jeune John Holland, Thomas et Henrietta, des capacités intellectuelles de leur fils, la famille ne dispose pas des ressources financières pour envoyer le jeune homme étudier à l’université.
Formation et emplois
Ne disposant pas des moyens d’aller au collège, John Holland se met en quête d’un emploi. Au début des années 1900, un Noir dispose d’un nombre restreint de possibilités d’emploi. C’est dans ce contexte qu’il commence à travailler comme préposé aux soins et masseur à l’hôpital privé Miss Brown’s à Oakville. Il y rencontre Josephine Idenia Johnson, qu’il épouse en 1901. Le couple aura cinq enfants : Gilbert, Gladys, Thomas, qui décède malheureusement à quatre mois, Alfreda et Oliver.
Plus tard, John Holland trouve un emploi de jour comme ouvrier dans une tannerie locale tout en continuant à travailler le soir et les fins de semaine à l’hôpital. Il doit non seulement faire face aux commentaires racistes désobligeants de ses collègues blancs, mais il est aussi découragé par les refus de son employeur de le promouvoir en raison de son appartenance ethnique. Cependant, il se doit de conserver ses emplois qui représentent, au-delà d’un moyen de subsistance, la possibilité d’effectuer des études supérieures. En 1912, John Holland est embauché comme concierge à l’usine Westinghouse de Hamilton. Il achète des livres et se met à étudier pendant ses heures de travail afin de pouvoir occuper des fonctions ecclésiastiques et suit, à cet effet, les cours par correspondance du Wilberforce College en Ohio.
In 1916, il commence à travailler comme porteur à la gare de Hamilton sur la ligne Toronto, Hamilton and Buffalo (TH&B). Il est rapidement promu en tant qu’employé en voiture Pullman essentiellement au service des passagers voyageant en voitures-lits. Cet emploi l’éloigne régulièrement de son domicile pendant plusieurs jours de suite. Peu après, il est affecté à la voiture « Hamilton », un wagon de première classe également utilisé comme wagon privé par le président de la ligne de chemin de fer, H. T. Malcolmson, par d’autres cadres supérieurs de la compagnie ou d’autres lignes appartenant au même groupe ainsi que par des hommes d’affaires de premier plan de Hamilton. Le professionnalisme, la discrétion et l’intelligence de John Holland lui valent le respect et l’admiration de nombreuses personnes influentes, tandis que les passagers et ses collègues apprécient tout particulièrement sa générosité et son altruisme. Ces bonnes relations professionnelles lui permettent de gagner le respect des Noirs comme des Blancs.
Pasteur
Alors qu’il travaille pour les chemins de fer, John Holland poursuit ses études au Wilberforce College en vue d’embrasser une carrière dans le ministère. Il intervient également si souvent comme bénévole à l’église africaine méthodiste épiscopale Saint-Paul que son pasteur, le révérend Claude Stewart, le choisit comme assistant. À quarante-deux ans, John Holland termine ses études et est ordonné ministre de l’Église africaine méthodiste épiscopale. Il poursuit toutefois son travail auprès de la compagnie de chemin de fer.
Avant son décès en 1937, le pasteur Claude Stewart insiste pour que John Holland soit son successeur. Une fois nommé, John Holland continue à travailler comme porteur à la TH&B afin de disposer d’une source de revenus, sa charge pastorale n’étant pas rémunérée; cependant, la compagnie lui accorde le dimanche comme jour de congé. John Holland devient un prédicateur de premier plan à Hamilton et est souvent invité comme conférencier vedette. Il se produit également, avec son fils Oliver, au sein du chœur de l’église qui fait de nombreuses apparitions publiques à Hamilton.
Lorsque John Holland accepte le poste de pasteur de Saint-Paul, la situation économique est encore précaire après la Grande dépression. En raison de pratiques d’embauche discriminatoires, les Noirs sont beaucoup plus touchés par le chômage, la pauvreté et l’itinérance. Les dons au denier du culte diminuent fortement dans un contexte où les membres de la congrégation vivent des temps difficiles. Victime d’un endettement trop lourd et de son délabrement, l’église est désignée pour être vendue pour défaut de paiement des impôts. John Holland cherche à obtenir l’aide du maire de l’époque, William Morrison, et du commissaire aux finances de la Ville, Éric R. C. Bower. Ces contacts débouchent sur l’organisation d’un jour de collecte au cours duquel chaque donateur reçoit un insigne indiquant qu’il a participé à la campagne. Cette journée permet de collecter suffisamment d’argent pour payer non seulement les arriérés d’impôts et les intérêts hypothécaires en retard, mais également pour financer les premières réparations. Un comité gérant des fonds en fidéicommis et comprenant plusieurs citoyens influents de Hamilton est ultérieurement mis en place pour superviser les affaires financières de l’église. Afin de conserver le soutien des nombreuses personnes blanches ayant contribué à éviter que l’église Saint-Paul ne fasse l’objet d’une saisie immobilière, l’appellation « africaine méthodiste épiscopale » est supprimée. L’église devient non-confessionnelle pour prendre le nom, en 1937, de Stewart Memorial Church en hommage au prédécesseur de John Holland, le révérend Claude Stewart.
Militant communautaire
John Holland se dévoue pleinement à son église, à sa congrégation et à sa communauté. Wilma Morrison, membre de l’église, qui connaît bien le révérend John Holland, raconte comment, au début des années 1940, ayant appris qu’un restaurant de la ville refusait de servir les clients noirs, il lui avait donné, ainsi qu’à quelques autres amis, 25 cents pour aller s’asseoir dans ce restaurant en refusant d’en sortir tant qu’elle ne serait pas servie. Elle se souvient également d’une époque où, avec deux autres femmes noires, elle s’était rendue au service des emplois de la Ville pour obtenir un travail. Arrivées peu après l’ouverture du bureau, élégamment vêtues, elles avaient rempli tous les formulaires nécessaires. Pendant plus de trois heures, en dépit des rappels adressés au personnel pour signaler leur présence, de nombreux autres demandeurs d’emploi blancs avaient été appelés par les employés du service des emplois en passant devant elles et envoyés à des entretiens d’embauche. Elles avaient demandé de l’aide au révérend John Holland qui était immédiatement intervenu auprès de la personne responsable, cette dernière fournissant alors aux trois femmes, en quelques minutes, les papiers nécessaires à un emploi.
John Holland intervient également, à titre bénévole, comme intermédiaire entre le ministère canadien de l’Immigration et le Service national de placement afin de faciliter la résolution des problèmes d’incompréhension entre employeurs et employés trouvant leur origine dans des différences ethniques. En outre, il collabore avec l’Université McMaster dans le but de trouver des solutions d’hébergement abordables pour les étudiants étrangers éprouvant des difficultés à se loger en raison de la discrimination raciale.
Citoyen de l’année
En 1953, John Holland est nommé citoyen émérite de l’année par la Ville de Hamilton, devenant ainsi le premier Noir à recevoir un tel honneur au Canada. Des témoignages de reconnaissance et des félicitations, émanant des nombreuses personnes qu’il a servies dans le cadre de ses fonctions ecclésiastiques et de son emploi dans les chemins de fer, affluent du monde entier. Sa modestie souffrant de tous ces honneurs qu’on lui adresse, il s’oblige à travailler jusqu’à l’épuisement, convaincu qu’il doit en faire encore plus pour tenter de s’en montrer digne.
En dépit de problèmes de santé, John Holland poursuit son travail philanthropique. En mars 1954, alors qu’il rend visite à des collègues à Boston, il subit une hémorragie cérébrale. Il décède le 22 juin et est enterré au cimetière Woodland à Hamilton. Josephine, sa première épouse, décède le 18 décembre 1944, tandis que sa deuxième femme, une amie proche de Josephine, lui survit. Malheureusement, deux de ses filles décèdent avant lui : Gladys, qui meurt de la tuberculose au Mountain Sanatorium en 1925, et Alfreda (surnommée Freda), qui est emportée en 1932 des suites d’une opération chirurgicale pour des polypes nasaux.
Réalisations familiales
John Holland n’est pas le seul membre de sa famille déterminé et talentueux.
La musique et la littérature sont incontournables dans la maison de son enfance et plusieurs de ses frères et sœurs se distinguent dans ces domaines. Grace, la plus jeune, devient spécialiste de l’élocution et conteuse. William, le frère aîné, poursuit des études vocales et intègre l’ensemble Canadian Jubilee Singers; ultérieurement, il déménage à New York et se produit à Broadway. Sa sœur, Kathleen, membre de l’American Guild of Organists (AAGO), se fait connaître comme l’une des plus prestigieuses organistes en Amérique du Nord, accompagnant des chanteurs renommés comme Roland Hayes. Adam Clayton Powell, un Afro-Américain, membre éminent du congrès des États-Unis et pasteur baptiste, l’invite à jouer dans la célèbre Abyssinian Baptist Church, l’église qu’il dirige à Harlem. Kathleen donne également des récitals au Canada, aux États-Unis et dans les Caraïbes.
Les enfants de John Holland se montrent également talentueux. Pour lui et pour sa femme Josephine, l’éducation et la formation musicale sont prioritaires et ils s’évertuent sans relâche à offrir à leurs enfants des occasions en la matière. L’un d’entre eux, Gilbert, particulièrement doué pour le chant, déménage, à l’instar de son oncle William, à New York pour faire carrière dans ce domaine. Il se produit aussi à l’international. Gilbert est également un sportif accompli : spécialiste des courses de haies en athlétisme et boxeur, il aurait participé aux Jeux olympiques de Paris en 1924.
Gladys et Alfreda étudient toutes deux le piano et l’orgue au Conservatoire de musique de Hamilton tandis qu’Oliver y suit des cours de chant. En 1936, Oliver obtient un diplôme à l’Université McMaster et poursuit des études de droit au Osgoode Hall de Toronto, devenant l’un des premiers Noirs canadiens diplômés de cette école. En 1940, il ouvre son propre cabinet d’avocat, ce qui constitue une première pour un Afro-Canadien à Hamilton.
Héritage
John Holland est le premier Noir à être nommé citoyen émérite de l’année par une ville canadienne. On lui attribue également le sauvetage, sur le plan financier comme sur le plan matériel, de la Stewart Memorial Church, anciennement appelée église africaine méthodiste épiscopale Saint-Paul. Cette église revêt, en elle-même, une importance historique. Avant qu’elle ne soit officiellement intégrée et renommée en 1937, l’église africaine méthodiste épiscopale Saint-Paul était la seule église de la ville s’adressant à la communauté noire de Hamilton. Elle est désignée « site patrimonial de l’Ontario » en raison de ses liens importants avec l’histoire des esclaves fugitifs et avec le chemin de fer clandestin.
En 1996, la Ville de Hamilton crée le prix John C. Holland dans le cadre des manifestations organisées pour le 150e anniversaire de sa fondation. À l’occasion d’un dîner qui se tient chaque année en février, désigné Mois de l’histoire des Noirs, la Ville honore la mémoire et les réalisations de John Holland en mettant l’accent sur la diversité et en distinguant des citoyens éminents pour leurs contributions civiques exceptionnelles, pour leurs réalisations professionnelles et pour leurs résultats universitaires.
En 2003, John Holland est intronisé au Temple de la renommée de Hamilton.