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La Commission d’enquête sur la situation de la langue française et sur les droits linguistiques au Québec (Commission Gendron)

La Commission d'enquête sur la situation de la langue française et des droits linguistiques au Québec (1969-1973) est une commission royale d'enquête établie par le gouvernement de  Jean-Jacques Bertrand. Constatant l’inégalité des langues française et anglaise et l’hésitation de l’État fédéral à prendre des mesures pour favoriser l’autonomie de la population canadienne-française et son développement global, les travaux de la Commission (appelée commission Gendron) déboucheront sur une série de recommandations qui ouvriront la voie à l’adoption des lois linguistiques de 1974 et de 1977 (voir Politiques linguistiques du Québec).

L’émergence de l’État comme acteur en matière de langue

Certains intellectuels commencent à lier le sort des Canadiens français à celui des sujets colonisés des pays du Sud et cherchent des voies en vue de leur libération. Plus nombreux sont ceux qui croient que l’État doit intervenir et renverser la tendance vers l’anglicisation. Au Québec, la classe politique croit que c’est en défendant «la position spéciale du Québec dans la fédération canadienne» qu’on justifiera des exceptions. Le Parti libéral du Québec, élu en juin 1960, procède à la consolidation de la société d’État Hydro-Québec puis à la nationalisation de l’électricité, à l’inauguration de la Délégation générale du Québec à Paris et du Service du Canada français d’outre-frontières, ainsi qu’à la création de l’Office de la langue française (OLF). Les mesures s’inscrivent dans la volonté de faire du Québec un État interventionniste en matière de langue.

En février 1968, Lester B. Pearson, premier ministre du Canada, convoque une conférence constitutionnelle fédérale-provinciale. Les premiers ministres provinciaux semblent alors prêts à amorcer un virage qui permettrait de reconnaître un statut particulier au Québec et le caractère biculturel du Canada. Pourtant, le ministre de la Justice, Pierre Elliott Trudeau, monte à la tribune pour défendre le point de vue selon lequel le besoin de reconnaître un statut particulier au Québec ainsi qu’une dualité nationale s’évaporera dès que sera réalisée l’égalité entre les personnes; toute forme d’asymétrie ou de décentralisation ne ferait que donner des «privilèges» aux Québécois leur permettant, selon lui, de poursuivre sur la pente glissante vers l’indépendance. La ligne dure adoptée par Trudeau apporte de nouveaux arguments à ceux qui sont contrariés à l’idée de faire des compromis avec le Québec.


La crise de Saint-Léonard

La situation s’envenime dans un quartier du nord de Montréal, où la volonté de nombreux Québécois de vivre en français entre en conflit avec celle de nombreux résidents concernant l’éducation de leurs enfants. À Saint-Léonard, 40% de la population est composée d’immigrants d’origine italienne et la situation y devient explosive. En effet, leurs enfants fréquentent en majorité l’école de langue anglaise et les francophones constatent l’anglicisation de leur quartier. Ce sera l’événement déclencheur de la crise linguistique.

Cette tendance est d’ailleurs répandue au Québec où neuf immigrants sur dix envoient leurs enfants à l’école anglaise. La réalité qui apparaît dans le quartier est un microcosme d’une tendance – voire d’une menace, dans l’esprit des nationalistes – plus large. Pour contrer le phénomène, des parents francophones, avec à leur tête l’avocat Raymond Lemieux du Mouvement pour l’intégration scolaire, exigent que le français soit reconnu comme seule langue d’enseignement. La commission scolaire souscrit à cette position le 27 juin 1968: à la rentrée scolaire, les classes bilingues, instaurées en 1963, seront abolies et les nouveaux élèves du primaire devront s’inscrire à l’école française. Plusieurs parents de la communauté italienne protestent en ouvrant des écoles clandestines dans des domiciles privés. De leur côté, les anglophones veulent faire de l’école secondaire Aimé-Renaud, la seule du quartier, une école de langue anglaise. En septembre 1968, des élèves francophones réagissent en occupant l’école pendant 10 jours. Les médias diffusent l’événement et le conflit s’étend à tout le Québec où des manifestations viennent appuyer tant le côté anglophone que le côté francophone. La crise linguistique est déclenchée et le gouvernement devra agir.

La crise porte à l'avant-scène la question de l'intégration des immigrants. Malgré le fait que le français est la langue de la majorité, il semble manquer de la force sociale, politique et économique nécessaire pour séduire les nouveaux arrivants. La crise de Saint-Léonard marque le début d’une reconquête linguistique. Le 3 septembre 1969, 5000 manifestants anglophones, francophones et allophones, se font face dans les rues de Saint-Léonard. C’est cette crise qui amène le gouvernement de l’Union nationale, dirigé par le premier ministre Jean-Jacques Bertrand, à adopter la Loi pour promouvoir la langue française au Québec (le «Bill 63»). La Loi confie à l’Office de la langue française le mandat de recommander au gouvernement, entre autres, des mesures visant à faire du français la langue d’usage dans les entreprises publiques et privées et à rendre le français prioritaire dans l’affichage public. Par ailleurs, la Loi confirme la liberté des parents quant au choix de la langue d’enseignement et elle est perçue comme étant trop timide aux yeux de nombreux électeurs. Cette mesure accroît la colère des francophones et provoque des manifestations qui rassemblent plus de 30 000 personnes à Montréal et à Québec.

La formation de la Commission Gendron

Le 9 décembre 1968, le gouvernement crée la Commission d’enquête sur la situation de la langue française et sur les droits linguistiques au Québec pour:

[F]aire enquête et rapport sur la situation du français comme langue d’usage au Québec et recommander les mesures propres à assurer:

a) les droits linguistiques de la majorité aussi bien que la protection des droits de la minorité;

b) le plein épanouissement et la diffusion de la langue française au Québec dans tous les secteurs d’activité, à la fois sur les plans éducatif, culturel, social et économique.

La Commission est présidée par Jean-Denis Gendron, linguiste et vice-doyen de la Faculté des lettres de l’Université Laval, auquel se joignent l’ethnologue Madeleine Doyon-Ferland, le constitutionnaliste Edward McWhinney, le juriste Nicolas Mateesco-Matte et le relationniste Aimé Gagné. Les commissaires auront pour tâche d’éclairer la question complexe liée à l’infériorité du français et le rôle que l’État québécois peut jouer dans l’épanouissement des Canadiens français.

Les travaux de la Commission Gendron

Élu en avril 1970, le gouvernement libéral de Robert Bourassa modifie le mandat de la Commission pour qu’elle s’attaque «d’abord et en priorité aux questions du français langue de travail, de l’intégration des nouveaux Québécois à la communauté francophone du Québec et des droits linguistiques de nos concitoyens».

Avec une équipe de juristes, de sociologues, d’historiens, d’économistes et de sociolinguistes, la Commission lance un chantier de recherches dont l’ampleur et les 28 études qui en résultent sont sans précédent. Son regard plus attentif porté au recensement de 1961 révèle que, malgré leur statut de deuxième contingent démographique au pays, les Québécois d’origine canadienne-française se trouvent au 12e rang quant aux revenus moyens des salariés masculins au Québec. Les revenus des Québécois d’origine britannique sont de 42% plus élevés que le salaire moyen au Québec. Les revenus des Scandinaves, Hollandais, Juifs, Russes, Allemands, Polonais, Asiatiques, Ukrainiens et Hongrois sont également supérieurs à ceux des Canadiens français. On apprend aussi que seuls 46% des Canadiens français et 14% des allophones travaillent exclusivement en français à Montréal, une réalité qui pousse 74% des allophones à maîtriser l’anglais pour favoriser leur mobilité socioéconomique. Si rien n’est fait, la baisse du taux de natalité chez les francophones, jointe à l’augmentation des transferts linguistiques, risque de diminuer leur poids démographique au pays; ils passeraient en effet de 82% à 78% au Québec, puis de 63% à 58% à Montréal, avant 1986.

Ces révélations confirment l’urgence de contrer la dépossession socioéconomique des francophones et d’assurer une répartition plus juste des ressources parmi les citoyens.

Au cours des huit audiences de la Commission, les intervenants sont plus nombreux et plus actifs que prévu et 120 mémoires lui sont présentés. Il en résulte qu’au lieu de canaliser la parole et de pacifier la situation, la Commission accroît le mécontentement des citoyens et les incite à explorer des solutions radicales.

Le Rapport de la Commission

Le Rapport de la Commission compte 1423 pages et présente 179 recommandations. Remis au gouvernement le 31 décembre 1972, il est rendu public le 13 février 1973.

Le Rapport brosse un portrait détaillé de la situation dans les entreprises et dans l’administration publique, des droits linguistiques existants et de la langue chez les groupes ethniques. La commission Gendron constate que l’intégration grandissante de la province à l’économie nord-américaine accroît l’attractivité de l’anglais chez les allophones, mais aussi dans les entreprises québécoises.

Puisque le bilinguisme est perçu comme un fardeau à faire porter aux francophones et constitue un frein à la promotion sociale des francophones unilingues, la Commission recommande au gouvernement de «faire du français la langue commune des Québécois, c’est-à-dire une langue qui, étant connue de tous, puisse servir d’instrument de communication dans les situations de contact entre francophones et non francophones»; l’anglais deviendrait l’une des deux «langues nationales» du Québec. La Commission propose que le français devienne, par étapes, la langue des communications internes dans les entreprises, ce qui permettrait d’augmenter le nombre des francophones aux échelons moyens et supérieurs.

Concernant la langue française chez les immigrants, la Commission recommande que le français soit reconnu «comme langue commune des Québécois» dans l’espace public et les espaces de travail, qu’elle agisse comme «instrument de communication dans les situations de contact entre Québécois francophones et non francophones» (voir Politique d’immigration du Québec). Si le rapport reste silencieux sur l’accès à l’école de langue anglaise, il propose à la province d’intervenir, tantôt par la persuasion, tantôt par la coercition, pour renverser la tendance des parents immigrants à inscrire leurs enfants dans les écoles de langue anglaise, surtout à Montréal.

Les retombées

Les recommandations de la commission Gendron seront au cœur de la Loi sur la langue officielle (Loi 22, 1974) et de la Charte de la langue française (Loi 101, 1977).