Histoire autochtone
Les archéologues estiment que le site de La Fourche est habité depuis au moins 6 000 ans. Une série de fouilles archéologiques menées entre 1989 et 1994 ont mis au jour un ancien foyer, indiquant que des chasseurs de bisons y étaient actifs environ 4 000 ans avant notre ère.
La Fourche et la ville de Winnipeg se situent sur le territoire traditionnel des Cris, des Ojibwés, des Oji‑Cris, des Assiniboines et des Dakotas. Selon la tradition orale des Cris, Winnipeg signifie « eaux boueuses » en raison de l’aspect trouble des eaux là où se rencontrent les rivières Rouge et Assiniboine. La Fourche est également connue comme le berceau de la nation métisse (voir également Métis; Conseil national des Métis).
Les aînés disent que pendant des générations, ce site a joué un rôle dans l’histoire des Autochtones. C’est là que de nombreuses nations se rencontraient, non seulement pour commercer, mais également pour conduire des activités de guérison traditionnelle ou des activités politiques, voire belliqueuses. Aucune nation n’avait un droit exclusif sur La Fourche qui était considérée comme un lieu de rencontre, le site ayant été témoin, au fil des siècles, d’un nombre incalculable d’échanges commerciaux, de célébrations et de conflits entre nations autochtones. Différentes nations ont également utilisé La Fourche comme centre militaire. Selon Clarence Nepinak, de la Première Nation de Pine Creek, la rivière Rouge, ou Miskosipi, a été ainsi surnommée en raison des nombreux morts au combat dont le sang avait teinté ses eaux.
Traite des fourrures
Les deux premiers Européens à atteindre La Fourche en 1734 sont des employés du négociant en fourrure et explorateur Pierre Gaultier de Varennes et de La Vérendrye. Quatre ans plus tard, ce dernier commande la construction de Fort Rouge au confluent des rivières. Toutefois, Fort Rouge est rapidement abandonné pour être remplacé par d’autres forts et des postes de traite. Jusqu’à sa mort en 1749, Pierre La Vérendrye élargira ses activités de traite des fourrures dans les Prairies et, avec son plus jeune fils, Louis‑Joseph, entreprendra de rechercher une route terrestre vers l’océan Pacifique.
Pendant la guerre de Sept Ans, de 1756 à 1763, les Français mobilisent leurs ressources pour combattre les Britanniques au détriment de la traite des fourrures. Cependant, au cours de la seconde moitié du 18e siècle, les voyageurs recommencent à commercer dans l’Ouest. Ce sont des négociants montréalais qui ont alors la mainmise sur la majeure partie de cette activité. C’est également durant cette période que les Métis migrent des Grands Lacs du Nord pour s’établir autour de La Fourche, plusieurs d’entre eux fournissant du pemmican à la Compagnie du Nord‑Ouest (CNO).
Site du conflit entre la CBH et la CNO
La CNO est le résultat de l’association de neuf négociants en fourrure s’opposant aux droits exclusifs que le roi Charles II avait, en 1670, accordés à la Compagnie de la Baie d’Hudson (CBH) sur la Terre de Rupert, un immense territoire où se trouve notamment La Fourche. Dans les années 1770, la CBH commence à étendre ses activités vers l’intérieur des terres à partir de la baie d’Hudson. Cette expansion va donner naissance à une rivalité entre la CBH et la CNO qui durera plusieurs décennies. En 1811, la Compagnie de la Baie d’Hudson concède à Thomas Douglas, comte de Selkirk, une superficie de 116 000 milles carrés (300 439 km2) le long des rivières Rouge et Assiniboine où il fonde une colonie d’immigrants écossais et irlandais que l’on appellera la colonie de la rivière Rouge ou Assiniboia.
La Fourche se trouve sur cette concession. C’est également à cette époque, vers 1806‑1810, que la CNO construit Fort Gibraltar en remplacement de campements commerciaux temporaires. Non loin de là en aval, la colonie de la rivière Rouge érige son propre quartier général, Fort Douglas, en 1815. Dans un contexte où la CNO et la CBH, implantées à un jet de pierre l’une de l’autre, se disputent le contrôle de la lucrative traite des fourrures, il est inévitable que de violents conflits éclatent entre les « Nor'Westers », en grande partie des Canadiens français et des Métis, et les nouveaux arrivants écossais et irlandais de la CBH. Les tensions culminent en 1816 avec la destruction de Fort Gibraltar par la colonie de la rivière Rouge et avec la bataille de la Grenouillère qui s’ensuit le 19 juin.
En 1821, alors que la CBH éprouve les pires difficultés pour rester rentable et que le gouvernement britannique fait pression sur les deux parties pour trouver une solution pacifique, la Compagnie de la Baie d’Hudson et la Compagnie du Nord‑Ouest fusionnent sous la bannière de la CBH (voir La Compagnie du Nord‑Ouest : 1779‑1821). L’année suivante, Fort Gibraltar est renommé Fort Garry; toutefois, les inondations de 1826 et les dommages qui s’ensuivent incitent la CBH à construire Lower Fort Garry environ 30 km au nord sur la rivière Rouge. En 1835, la CBH reconstruit son fort à La Fourche sous le nom de Upper Fort Garry; l’année suivante, elle prend officiellement en charge l’administration de la colonie de la rivière Rouge.
Après la fusion, de nombreux négociants métis s’installent dans la colonie, qui, au milieu du 19e siècle, s’est transformée en une société multiculturelle. Les Métis exercent de fortes pressions sur la CBH sur des enjeux liés au commerce et au gouvernement dans la colonie de la rivière Rouge.
Rébellion de la rivière Rouge
En 1869, la CBH convient de transférer la Terre de Rupert au Canada qui venait d’être créé deux ans auparavant sur la base de la Confédération des colonies de l’Amérique du Nord britannique dans l’Est. Les Métis de la rivière Rouge n’ont pas été consultés sur ce transfert et, face aux empiétements des colons anglophones protestants provenant de l’Ontario, beaucoup craignent que leurs droits religieux, culturels et fonciers ne soient ignorés par le nouveau gouvernement.
Sous la houlette de Louis Riel, les Métis organisent une rébellion et forment un gouvernement provisoire dans le but de contraindre le Canada à s’asseoir à la table des négociations. Les rebelles prennent Upper Fort Garry, implanté à La Fourche, en novembre 1869, et y emprisonnent plusieurs colons de l’Ontario qui s’opposaient à la rébellion. En mars 1870, ils traduisent en cour martiale, condamnent à mort et exécutent, sous le feu d’un peloton d’exécution dans la cour du fort, l’un de ces prisonniers, Thomas Scott. Le Canada négocie finalement avec les Métis de la rivière Rouge et la province du Manitoba est créée en vertu de la Loi sur le Manitoba de 1870.
Immigration et carrefour ferroviaire
La ville de Winnipeg, constituée en 1873, devient une plaque tournante pour les immigrants qui se déplacent et une porte d’entrée vers l’Ouest. En 1872‑1873, on construit deux « hangars de l’immigration » à La Fourche pour accueillir les colons arrivant par bateau fluvial des États‑Unis. Ces bâtiments peuvent recevoir simultanément plusieurs centaines d’immigrants. À leur arrivée, on octroie des terres à ces gens avant qu’ils ne reprennent la route vers leur destination finale.
À la fin du 19e siècle, le gouvernement canadien promeut activement l’immigration dans l’Ouest canadien (voir Histoire de la colonisation des prairies canadiennes). À compter de 1886, La Fourche connaît une période d’intense activité ferroviaire, devenant l’un des lieux cruciaux de l’avènement de ce nouveau moyen de transport. Dans ce cadre, la région se voit méthodiquement rognée pour se retrouver cantonnée à une petite superficie le long des rives. On construit des gares et des gares de triage pour répondre aux besoins de quatre compagnies de chemin de fer : la Northern Pacific and Manitoba Railway Company, les Chemins de fer nationaux du Canada, le Chemin de fer Canadien du Nord et le Grand Trunk Pacific Railway. Ces deux dernières s’associent au Chemin de fer National Transcontinental et au gouvernement fédéral pour construire la gare Union de Winnipeg, achevée en 1911 et toujours en service aujourd’hui, sur des terrains adjacents à La Fourche.
Sites historiques
En 1974, le gouvernement fédéral désigne les terres publiques situées sur les rives nord et sud de la rivière Assiniboine et sur la rive ouest de la rivière Rouge comme lieu historique national du Canada de La Fourche. La Fourche abrite plusieurs autres sites historiques, notamment le site historique national du Canada Forts Rouge Garry et Gibraltar créé en souvenir des différents postes de traite des fourrures érigés au confluent des rivières. Bien que les archéologues aient trouvé des preuves de l’existence des premiers forts, Upper Fort Garry est le seul dont il reste des vestiges dans le paysage.
Destination touristique
La Fourche devient une destination touristique à la fin des années 1980. Une société de développement communautaire, Forks North Portage Partnership, contribue à façonner cette identité relativement récente. Ce partenariat, constitué à partir de la fusion de deux sociétés créées dans les années 1980 pour réaménager le quartier, promeut le rôle de La Fourche en tant que lieu de rencontre à usages multiples.
Les bâtiments de l’époque du chemin de fer sont préservés et réaménagés à de nouvelles fins. Le marché Forks occupe, par exemple, les anciennes écuries du Grand Trunk Pacific Railway et du Great Northern Railway. Le Johnston Terminal, autrefois entrepôt ferroviaire, abrite aujourd’hui des boutiques, des bureaux ainsi que des services hôteliers et de restauration. Le Manitoba Children’s Museum occupe un ancien atelier de réparation de trains construit en 1889.
Lieu de rencontre
On fait désormais souvent référence à La Fourche comme Territoire du Traité 1, en référence à l’accord de 1871 entre la Couronne et les Premières Nations (voir Traités no 1 et 2). En dépit des bouleversements qu’elle a connus au cours des deux derniers siècles, la région est restée fidèle à son passé de site ayant joué un rôle important en matière de dialogue et d’échanges.
Aujourd’hui, La Fourche est un lieu partagé entre les Autochtones, les Winnipegois, les Manitobains et les Canadiens de toutes origines, les nouveaux arrivants et les touristes du monde entier. Le Scotiabank Stage, un amphithéâtre en plein air, accueille de nombreuses manifestations durant l’été, notamment, tous les ans, le Pride Winnipeg Festival et la Journée des Autochtones en direct du Réseau de télévision des peuples autochtones (APTN). Au centre de La Fourche se trouve l’Oodena Celebration Circle, un amphithéâtre extérieur au sein duquel de nombreuses activités sacrées traditionnelles se déroulent tout au long de l’année. C’est là qu’a lieu le lancement du Manito Ahbee Festival et que des pow‑wow sont organisés pendant l’été. La Fourche accueille également des visites guidées (en juillet) ainsi que des enseignements de tipi destinés aux écoles et au grand public, intégrant des activités traditionnelles telles que la fabrication de banniques et des récits. Les responsables qui supervisent actuellement La Fourche ont promis de maintenir une relation avec les gardiens du savoir afin de continuer à favoriser le transfert des connaissances historiques aux futures générations de tous les horizons.
Monuments et musées
Les monuments présents sur le site de La Fourche commémorent divers aspects de l’histoire de la région. Le Mur du temps, construit en 1990‑1991, illustre l’histoire de La Fourche au moyen de plaques montées sur un mur de briques courbe. Cette construction longe un important site archéologique, composé d’un campement et d’un centre de négoce autochtones vieux de 3 000 ans, à proximité de la rivière Assiniboine. The Path of Time, une sculpture de Marcel Gosselin datant de 1991, est formée d’une coquille de bronze entourant un bloc de calcairepoli. Dans cette coquille, l’artiste a découpé les contours des outils utilisés pour façonner l’histoire des Prairies. Lorsque la lumière du soleil parcourt la sculpture, elle projette les images de ces outils sur le calcaire.
Un monument en hommage à la vie des femmes et des filles autochtones disparues et assassinées a été dévoilé à La Fourche le 12 août 2014. Quelques jours plus tard, à environ un kilomètre au nord, le corps de Tina Fontaine, âgée de 15 ans, a été repêché dans la rivière Rouge. Le décès de cette adolescente de la Première Nation de Sagkeeng a ouvert les yeux d’une grande partie de la population canadienne sur la question des femmes et des filles autochtones disparues et assassinées et a suscité de nouveaux appels en faveur d’une enquête nationale sur cette crise. Dans la soirée du 19 août 2014, des centaines de personnes se sont rassemblées pour une veillée en hommage à Tina Fontaine à l’Oodena Circle.
musées. Le Winnipeg Railway Museum, installé dans la gare Union, présente des wagons de chemin de fer et du matériel d’époque et donne à voir des expositions liées à l’histoire ferroviaire de la ville. Le Manitoba Children’s Museum comprend douze galeries permanentes ainsi que des expositions itinérantes temporaires, toutes conçues pour faire participer les enfants à des activités favorisant l’apprentissage, la créativité et la croissance. Le Musée canadien pour les droits de la personne a ouvert ses portes en 2014. Ses porte-paroles expliquent qu’il a été construit comme un phare montrant le chemin de la réconciliation et d’un changement positif au sein de la société canadienne. C’est là que les survivants des pensionnats indiens se sont rassemblés pour faire part de leur expérience lors de la réunion initiale de la Commission de vérité et réconciliation du Canada en 2009.