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Bora Laskin

Bora Raphael Laskin, C.C., FRSC, C.P., juriste, éducateur, juge à la Cour suprême du Canada (1970-1984), juge en chef du Canada (1973-1984) (né le 5 octobre 1912 à Fort William [aujourd’hui Thunder Bay] en Ontario; décédé le 26 mars 1984 à Ottawa en Ontario). Bora Laskin est généralement considéré comme étant le premier grand juriste du Canada et l’un des plus grands juristes de l’histoire du pays. Un grand intellectuel, Bora Laskin a surmonté l’antisémitisme omniprésent dans la profession juridique pour devenir le 14e juge en chef de la Cour suprême du Canada. Il a également joué un rôle essentiel dans la modernisation de la faculté de droit de l’Université de Toronto. Ses décisions et ses dissidences ont contribué à façonner une nouvelle ère des libertés civiles au Canada, dont une grande partie a abouti à la Charte des droits et libertés en 1982. Bora Laskin était un ardent fédéraliste canadien. Il s’est rangé du côté de Pierre Elliot Trudeau sur les questions constitutionnelles et il a plaidé en faveur d’un fédéralisme fort par l’intermédiaire d’une Cour suprême puissante et publique.

Jeunesse et famille

Bora Laskin naît à Fort William (aujourd’hui Thunder Bay) en 1912. Ses parents n’utilisent jamais son nom hébreu, Raphael. L’origine de son nom anglais n’est pas claire, mais il pourrait s’agir d’un hommage au sénateur américain William E. Borah, reconnu pour ses opinions pro-juives. Les parents de Bora Laskin, Mendel (Max) Laskin et Bluma Zingel (ou Singel), sont des immigrants russes. Max Laskin possède un magasin de meubles à Port Arthur.

Bora a deux frères : Saul et Charles. Saul est le dernier maire de Port Arthur et le premier maire de Thunder Bay (formé par la fusion de Port Arthur et Fort William). Charles travaille dans l’industrie du vêtement. Le jeune Bora Laskin fréquente l’école publique et il va à l’école hébraïque l’après-midi. Il devient ainsi trilingue en anglais, hébreu et yiddish. Il devient président du club Young Judaea de Fort William et enseigne pendant deux ans au Talmud Torah de Fort William. Dans sa jeunesse, il est décrit comme étant un brillant orateur public, et il remporte la coupe du Toronto Star au cours de sa dernière année d’école secondaire. Avant de commencer l’université, il fréquente le Fort William Collegiate Institute.

Éducation et début de carrière

Bora Laskin arrive à Toronto en 1930 pour commencer ses études de premier cycle à l’Université de Toronto. C’est un sacrifice majeur pour sa famille compte tenu des conditions économiques qui sont causées par le début de la crise des années 1930 au cours de l’année précédente. Par exemple, son frère Saul ne peut pas fréquenter l’université en raison des difficultés financières de la famille. Heureusement, les notes de Bora Laskin sont suffisamment élevées pour qu’il puisse entrer directement en deuxième année du cours de droit spécialisé de W.P.M. Kennedy. Bora Laskin s’immerge dans la vie du campus et il s’implique dans la politique étudiante, les débats et les sports, en particulier l’athlétisme et l’aviron. Il se joint également à une fraternité juive, Sigma Alpha Mu.

Après avoir obtenu son diplôme en 1933, Bora Laskin s’inscrit à la Osgoode Hall Law School. Le programme de Osgoode Hall combine des cours magistraux et des stages. Cependant, avant d’être autorisé à s’inscrire, Bora Laskin doit trouver quelqu’un qui lui offre un emploi et signe ses stages. Il a de la difficulté à trouver un cabinet d’avocats qui accepte de l’embaucher en raison de l’antisémitisme répandu dans la profession juridique. Au cours de sa première année à Osgoode, Bora Laskin travaille pour son frère de fraternité, Samuel Gotfrid.

Osgoode Hall

Bora Laskin obtient son diplôme et il se classe parmi les meilleurs de son année à Osgoode. Il fait son stage de 1933 à 1936. Il obtient une maitrise à l’Université de Toronto en 1935 et une licence en droit en 1936. Il fréquente ensuite la Harvard Law School grâce à une bourse. Il y étudie avec certains des plus grands juristes de l’époque, dont Felix Frankfurter, Roscoe Pound et Zechariah Chafee. Felix Frankfurter devient plus tard juge à la Cour suprême des États-Unis.

Sur les 17 étudiants de son programme à Harvard, Bora Laskin est l’un des deux seuls à obtenir son diplôme avec mention. Il obtient une maitrise en droit de la Harvard Law School en 1937. Il est admis au barreau la même année, mais il n’arrive pas à commencer sa carrière dans un cabinet d’avocats de Toronto. Au lieu d’exercer le droit, Bora Laskin commence sa carrière en rédigeant des notes de synthèse pour le Canadian Abridgment. Pour joindre les deux bouts, il coédite les Lois refondues de l’Ontario.

Vie personnelle et carrière en enseignement

En 1938, Bora Laskin épouse Peggy Tenenbaum. Ils ont deux enfants. Leur fils, John I. Laskin, est juge à la Cour d’appel de l’Ontario durant de longues années. Son neveu, John B. Laskin, est nommé juge à la Cour d’appel fédérale et enseigne le droit à l’Université de Toronto.

Lorsque la Deuxième Guerre mondiale éclate en septembre 1939, Bora Laskin ne s’enrôle pas. Les raisons de son choix ne sont jamais claires, mais la question est soulevée des années plus tard lorsqu’il est nommé à la Cour suprême. La décision de Bora Laskin de ne pas s’enrôler est peut-être liée au fait qu’il vient de se marier et que ses parents ont fait de grands sacrifices pour qu’il puisse aller à l’université.

En 1940, toujours incapable de trouver du travail comme avocat à Toronto, Bora Laskin accepte un poste que lui offre W.P.M. Kennedy pour enseigner le droit à l’Université de Toronto. Il enseigne pendant le quart de siècle suivant, presque exclusivement à l’Université de Toronto (sauf de 1945 à 1949, où il enseigne à Osgoode Hall). En 1945, Bora Laskin décide de se joindre à Osgoode Hall avec le projet à long terme de se joindre ensuite à la faculté de droit de l’Université de Toronto une fois celle-ci restructurée. Son objectif est de créer la première faculté de droit au Canada, affiliée à une université et non à la société de droit.

University College

Au cours de cette période, Bora Laskin rédige de nombreux textes juridiques, dont le Canadian Constitutional Law (1951), qui devient le manuel de référence des facultés de droit canadiennes durant une génération. Il est également rédacteur en chef adjoint des Dominion Law Reports et des Canadian Criminal Cases pendant 23 ans. Ses étudiants l’appellent affectueusement « Moses the Law Giver » (Moïse le législateur). Il acquiert la réputation d’être un érudit brillant et un professeur inspirant.

En 1964, Bora Laskin est élu membre de la Société royale du Canada. Il contribue à la création de l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université et il en est le président de 1964 à 1965. À cette époque, il se joint au Comité des affaires juridiques du Congrès juif canadien, et il en devient éventuellement le président. À ce titre, il rédige des mémoires et des projets de loi qui jouent un rôle déterminant dans l’élaboration des lois canadiennes sur les droits de la personne.

Débuts de carrière juridique

Bora Laskin est nommé à la Cour d’appel de l’Ontario en 1965, devenant ainsi le premier juge juif de la Cour. L’année suivante, il préside le conseil d’administration de l’Institut d’études pédagogiques de l’Ontario. En 1967, il se joint au conseil d’administration de l’Université York.

Bora Laskin est un ardent défenseur des libertés civiles lorsqu’il siège à la Cour d’appel de l’Ontario. Il s’oppose souvent à la majorité des juges de la Cour. Son courage et son intégrité attirent l’attention du premier ministre Pierre Elliot Trudeau. En 1970, Pierre Elliot Trudeau fait de Bora Laskin sa première nomination à la Cour suprême du Canada (CSC). Bora Laskin est le premier juif à être nommé à la Cour. Il est également le premier Canadien nommé à ne pas appartenir aux groupes ethnolinguistiques français ou anglais, et il est également le plus jeune juge de la Cour. Pendant son mandat à la Cour, Bora Laskin est surnommé le « grand dissident » parce qu’il s’oppose souvent aux opinions majoritairement conservatrices de la Cour.

En 1971, Bora Laskin devient chancelier de l’Université Lakehead à Thunder Bay. Il occupe ce poste jusqu’en 1980.

Juge en chef du Canada (1973–1984)

Ayant déjà acquis une réputation de réformateur progressiste, Bora Laskin est nommé juge en chef de la Cour suprême du Canada le 27 décembre 1973. Il devient le premier Canadien juif à occuper ce poste, ainsi que le plus jeune juge. Cette décision suscite une vive controverse, car la convention veut que le juge le plus ancien soit nommé au poste de juge en chef.

Cour suprême du Canada

Affaires juridiques notables

  • Drummond Wren (1945). Bora Laskin travaille dans les coulisses pour aider le plaignant au nom du Congrès juif canadien. La Haute Cour de justice de l’Ontario décide que les conventions limitant la vente de terres à des personnes spécifiques (dans ce cas, les Juifs) sont invalides. Cette affaire est citée plus tard dans des affaires similaires concernant des conventions prohibitives fondées sur des préjugés raciaux ou culturels.
  • Noble et Wolf c. Alley (1950). Comme dans l’affaire Drummond Wren, Bora Laskin conseille les plaignants dans leur appel réussi devant la Cour suprême.
  • Murdoch c. Murdoch (1973). Bora Laskin est le seul juge dissident. La majorité de la cour décide qu’Irene Murdoch ne détient aucune partie du ranch qu’elle exploite avec son mari. La décision majoritaire indique que le travail d’Irene Murdoch « était le travail effectué par n’importe quelle épouse de ranch ». Dans son opinion dissidente, Bora Laskin soutient qu’une fiducie constructive fondée sur l’équité peut être conclue (c’est-à-dire que les deux Murdoch ont contribué au ranch de manière égale ou équitable). L’affaire Murdoch est défendue par les féministes du Canada et mène éventuellement à des réformes du droit des biens
  • Procureur général du Canada c. Lavell (1974). Bora Laskin exprime son désaccord avec l’opinion majoritaire de la Cour qui maintient que les femmes autochtones doivent perdre leur statut si elles épousent des hommes non autochtones. Bora Laskin fait valoir que cela aggrave la discrimination raciale et la discrimination fondée sur le sexe.
  • Morgentaler c. La Reine (1975). Il s’agit de la première des trois affaires portées devant la CSC par le docteur Henry Morgentaler pour contester l’interdiction à l’avortement. Bora Laskin exprime sa dissidence à l’encontre de la décision de la CSC selon laquelle la loi sur l’avortement a été adoptée à juste titre par le Parlement. Henry Morgentaler réussit à décriminaliser l’avortement en 1988, grâce à la Charte.
  • Renvoi sur le rapatriement (1981). Il s’agit possiblement de la décision de droit constitutionnel la plus importante de l’histoire du Canada. La CSC conclut qu’il n’existe aucun obstacle juridique à ce que le gouvernement fédéral cherche à obtenir un amendement constitutionnel sans le consentement des provinces. Bora Laskin appuie cette décision. Cependant, la CSC décide également qu’il existe une convention constitutionnelle non écrite selon laquelle l’approbation d’une majorité des provinces est requise pour les modifications constitutionnelles.

Distinctions

Bora Laskin est nommé Compagnon de l’Ordre du Canada « pour son service à notre pays, notamment en tant que juge en chef de la Cour suprême du Canada » le 13 mars 1984. Il meurt moins de deux semaines plus tard. Pierre Elliot Trudeau qualifie Bora Laskin de « grand Canadien, un brillant juriste qui a présidé la Cour suprême pendant une période très importante de la quête de l’identité canadienne ». (Voir aussi Identité canadienne.)

Au cours de sa carrière, Bora Laskin écrit six livres, sept rapports de commission et des dizaines d’articles juridiques. Il reçoit 27 diplômes honorifiques d’universités du Canada, de Grande-Bretagne, des États-Unis, d’Israël et d’Italie. L’Université Lakehead dans Thunder Bay, la ville natale de Bora Laskin, nomme un bâtiment en son honneur, ainsi que sa faculté de droit. La principale bibliothèque de droit de l’Université de Toronto porte le nom de Bora Laskin en hommage au rôle qu’il a joué dans la refonte de la faculté de droit et de la faculté de droit de l’université pour en faire le premier programme de droit professionnel et universitaire en Ontario. La Bora Laskin Law Society d’Ottawa est nommée en son honneur, tout comme The Laskin (un concours annuel de plaidoirie bilingue auquel participent la plupart des facultés de droit du Canada).

Legs

Avec Pierre Elliot Trudeau, Bora Laskin est surnommé « la sage femme de la “société juste” ». Selon le juge Lorne Sossin de la Cour supérieure de l’Ontario, Bora Laskin a été « le porte-étendard d’une ère juridique intellectuellement rigoureuse, moderne et progressiste au Canada ». Au cours de sa carrière à la Cour d’appel de l’Ontario et à la Cour suprême du Canada (CSC), Bora Laskin est décrit comme ayant « entrepris une quête pour rendre le système judiciaire plus sensible aux attentes canadiennes modernes en matière de justice et de droits fondamentaux ». Selon Ian Binnie, ancien juge de la CSC, Bora Laskin joue un rôle déterminant dans la création d’une faculté de droit distincte de la profession juridique et il enseigne probablement le premier cours sur les libertés civiles dans une faculté de droit canadienne. Premier universitaire à siéger à la Cour suprême du Canada, Bora Laskin est reconnu comme étant un défenseur des libertés civiles et un éducateur innovateur qui a contribué à faire entrer l’éducation juridique dans l’ère moderne.

(Voir aussi Magistrature du Canada; Système judiciaire canadien.)

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