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Le Canada et la guerre des gaz

Des gaz toxiques ont été utilisés au cours de la Première Guerre mondiale par presque toutes les armées. Leur utilisation répandue était une première dans l’histoire de la guerre. Les différents types de gaz, distribués à l’aide de bonbonnes, de projecteurs ou d’obus, faisaient des morts et des blessés, et sapaient le moral. En 1918, les soldats de toutes les armées essuyaient régulièrement des attaques de gaz sur le front de l’Ouest. Les soldats canadiens ont été parmi les premiers à faire l’expérience des nuages toxiques à la deuxième bataille d’Ypres, en avril 1915. Au moins 11 572 soldats canadiens ont été tués ou blessés par des gaz toxiques, même si nombre d’entre eux se voient refuser une pension après la guerre. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, les armes chimiques ne sont pas utilisées sur le champ de bataille; toutefois, la station expérimentale Suffield, en Alberta, met au point et teste des armes chimiques et biologiques dès 1941. À partir environ du milieu du 20e siècle, des responsables canadiens interviennent sur la scène internationale en faveur de l’interdiction des armes chimiques. À la fin des années 1990, le Canada signe la Convention sur les armes chimiques (voir Contrôle des armes et désarmement).

Soldat canadien non identifié présentant des brûlures causées par de l'ypérite, vers 1917-1918.

Enlisement et quête de succès

Tôt pendant la Première Guerre mondiale, sur le front de l’Ouest, les généraux s’attendent à mener une campagne de mouvements de troupes, de poussées de cavalerie et d’actions rapides. C’est bien ce qui se produit pendant les premières semaines de combat, où les troupes allemandes traversent la Belgique, puis descendent pour pénétrer en France, conformément au plan Schlieffen. Mais le prix est élevé. L’artillerie à tir rapide, les fusils modernes et les mitraillettes entraînent des pertes dévastatrices lors des avancées en terrain découvert (voir Armements).

Le front se stabilise dès la fin de 1914, les soldats creusant de profonds fossés pour échapper à la pluie de balles et d’obus. Les fossés deviennent des tranchées, puis forment des systèmes de tranchées, qui finiront par s’étendre sur 700 km, de la Suisse à la mer du Nord. (Voir Guerre de tranchées.) Les armées ennemies se font face le long du front de l’Ouest, ne sachant comment avancer face à ces orages d’acier.

La division canadienne arrive en France en février 1915 et échappe donc à ces premières batailles. Cependant, elle fait rapidement face à la réalité de la guerre de tranchées. Des dizaines de Canadiens sont tués ou blessés, la plupart du temps par des tirs isolés alors qu’ils rampent dans la boue de tranchées superficielles. En avril, les Canadiens sont déplacés sur le front d’Ypres, en Belgique, à l’est de la ville en ruines, dans le grand saillant qui s’avance au milieu des lignes ennemies.

À la mi-avril 1915, le haut commandement britannique est averti par ses espions que les Allemands se préparent à lancer des gaz toxiques. (Voir Renseignement et espionnage.) Plus tôt pendant la guerre, les Allemands avaient employé des gaz lacrymogènes sur les fronts de l’Ouest et de l’Est, mais sans grand succès. Avant l’attaque, personne ne sait exactement quel nouveau gaz sera utilisé ou comment il affectera les soldats, donc peu de mesures de défense sont prises contre cette attaque.

En face des troupes britanniques, françaises et canadiennes, les Allemands attendent des conditions météorologiques appropriées pour lancer leur gaz, le dichlore, espérant que cela leur permettra de sortir de l’impasse. Ce gaz, transporté dans des bonbonnes d’acier, serait diffusé par des soldats spécialement entraînés afin de créer un nuage de dichlore qui serait poussé vers les lignes ennemies par des vents forts.

A.Y. Jackson, Attaque au gaz, Liévin, 1918

Deuxième bataille d’Ypres

Le 22 avril 1915, par une journée ensoleillée, les Allemands libèrent un nuage de gaz, d’une longueur de 10 km et d’une profondeur de près de 1 km. Les inquiétantes volutes vert-jaune semblent ramper sur le champ de bataille, remplissant les creux, les cratères et les tranchées, avant de traverser deux divisions territoriales et coloniales françaises (algériennes) au nord de la division canadienne. Le gaz, au contact des liquides dans les yeux, le nez et les poumons des soldats, se transforme en acide. Il rend des hommes aveugles et détruit leurs tissus pulmonaires. Plusieurs meurent dans d’affreuses souffrances. Étouffant et haletant de terreur, les soldats survivants quittent le front. Les troupes allemandes, pas moins effrayées par le nuage toxique, s’avancent avec hésitation dans l’ouverture.

Les Canadiens ont la chance d’échapper au plus gros du nuage, mais ceux qui se trouvent sur la gauche de la Division canadienne ont les poumons en feu et tirent sur l’ennemi avec des yeux pleins de larmes. Les Canadiens réussissent même à contre-attaquer le 22 et le 23 avril, et à arrêter l’avancée allemande. À mesure qu’ils progressent, ils voient des Français morts et agonisants, suffoquant dans leurs propres fluides, vomissant de la bile et du sang. Un survivant canadien écrit : « Il est impossible pour moi de donner une véritable idée de la terreur et de l’horreur suscitée parmi nous par cette puanteur immonde, répugnante. »

Le 24 avril, les Allemands libèrent un deuxième nuage, plus petit mais plus dense, directement en face des Canadiens. Certains soldats canadiens ayant une formation en chimie ont reconnu le dichlore deux jours plus tôt, et ont conseillé aux autres de mouiller des tissus avec de l’eau ou de l’urine, ce qui procure une certaine protection (minimale). Comme le nuage se déplace vers les Canadiens, les soldats se précipitent hors des tranchées, tirant de leurs fusils Ross, quand ils ne sont pas bloqués par une culasse surchauffée ou de mauvaises munitions, pour échapper au gaz qui s’accumule dans les tranchées peu profondes. Les blessés ou ceux qui sont incapables de grimper sont les plus touchés par les effets du dichlore. Dans ces conditions, les lignes canadiennes se voient débordées, bien que la plupart des unités du front parviennent à battre en retraite vers une ligne de tranchées secondaire, et que l’avancée allemande demeure minime.

« Il m’est impossible de décrire fidèlement la terreur et l’horreur que suscitait chez nous cette pestilence odieuse et immonde. Nous n’avions pas, je crois, peur de la mort ou de quoi que ce soit de surnaturel, mais nous redoutions terriblement de ne pouvoir supporter cette terrifiante asphyxie suffisamment longtemps pour demeurer tous à notre poste afin d’offrir une résistance à l’intense attaque qui suivrait certainement, et il nous fallait donc demeurer à tout prix dans les tranchées où l’on nous avait ordonné de rester. »

– Major Harold Mathews


Usés, la plupart des Canadiens sont retirés du front le 25 avril, après que les forces canadiennes ont subi plus de 6 000 pertes. Beaucoup de blessés étant restés sur le champ de bataille, il est difficile de savoir combien ont été tués par le gaz, mais leur nombre s’élève vraisemblablement à plusieurs centaines. Un plus grand nombre ont subi des dommages permanents aux poumons et devront se battre après leur service pour survivre, dans les années d’après-guerre, et pour recevoir des pensions convenables. « Imaginez l’enfer sous sa pire forme », dit un sergent canadien au sujet du dichlore et du chaos.

Le gaz toxique ne permet pas de percée, mais montre son efficacité dans une guerre qui s’enlise. Les alliés s’empressent de fabriquer des masques à gaz efficaces pour leurs soldats, puis de les distribuer et de leur apprendre à s’en servir. Plusieurs autres attaques chimiques par nuage sont lancées en mai 1915 contre les Britanniques. Elles font des centaines de victimes et répandent la terreur. Mais ces attaques par nuage sont difficiles à organiser puisqu’il faut du temps pour porter près de l’ennemi des milliers de bonbonnes et attendre des vents favorables. Les Britanniques lancent leur première attaque par nuage en septembre 1915 à la bataille de Loos, mais le vent tourne et renvoie une grande partie du nuage mortel sur les troupes britanniques, déclenchant une panique et perturbant l’offensive. C’est un échec coûteux. Des deux côtés, on note le caractère imprévisible de ces nuages, qui sont presque aussi dangereux pour ceux qui les utilisent que pour l’ennemi qui est visé.

En 1916, les Français et les Allemands essaient des obus à gaz pendant la bataille de Verdun, qui dure presque 10 mois. Les obus peuvent être dirigés vers des cibles avec davantage de précision, mais il faut une grande concentration de feu pour mettre en place les nuages létaux. On met aussi au point des gaz plus meurtriers : le dichlore est surpassé par le phosgène et le diphosgène, plus dangereux et difficiles à identifier à leur odeur. Comparativement au dichlore, qui brûle immédiatement les poumons, le phosgène est plus insidieux, car il est invisible et met un certain temps à affecter le corps. Le phosgène et les gaz semblables provoquent une accumulation de fluides dans les poumons. En quelques heures, les poumons de la victime se remplissent, et les hommes gazés peuvent étouffer sous deux litres de liquides à l’heure, et finissent par se noyer dans leurs propres fluides.

Des années après la guerre, un sergent britannique raconte : « c’est une sensation détestable et terrible d’être étouffé, suffoqué, incapable de respirer : une personne blessée par arme à feu peut mourir de ses blessures, mais cela ne lui donne pas la sensation que sa vie est pressée hors de lui par strangulation. »

Masques à gaz et respirateurs

Après la première attaque au dichlore, les officiers supérieurs s’activent pour trouver au plus vite un moyen de protéger leurs hommes contre ce nouvel agent chimique. Le développement de la doctrine de défense est désordonné, et place les soldats dans une situation très inconfortable, alors qu’ils reçoivent des messages contradictoires et des séries de masques à l’apparence bizarre. La cagoule Hypo, par exemple, est un sac en toile traité par des produits chimiques et se portant sur la tête. Conçu par le capitaine Cluny MacPherson du Newfoundland Regiment, il est distribué aux troupes britanniques et canadiennes en France le 6 juin 1915. Son apparence est vite modifiée, par contre, ce qui mène à l’apparition des casques P, PH et PHG. Les respirateurs deviennent plus efficaces en 1916, la plupart étant équipés d’un filtre à charbon qui enlève la plus grande partie des substances létales. Avec l’introduction du respirateur à petite boîte, en août 1916, les pertes britanniques et canadiennes sont considérablement réduites.

Malgré tout, il se trouve toujours des hommes qui ne mettent pas leurs respirateurs assez rapidement ou qui se les font arracher du visage par le souffle des obus. Porter le respirateur, avec ses yeux d’insecte, sape aussi le moral. Les respirateurs isolent les soldats et les forcent à affronter leurs peurs seuls, loin de la présence sympathique de leurs camarades, et n’entendant rien d’autre que le sifflement de leur propre respiration. Ces facteurs et bien d’autres continuent à faire du gaz toxique une arme efficace, qui entraîne des pertes et détruit le moral.

Quand les obus à gaz sont introduits en grand nombre, en 1917, la pratique la plus commune est de les lancer contre les batteries d’artillerie ennemies, pour forcer les artilleurs à porter leurs masques et, par conséquent, à ralentir leur rythme de tir. Ce type de tirs contre les positions d’artillerie est adopté par les artilleurs alliés, particulièrement Andrew McNaughton, premier officier supérieur de contrebatterie du Corps expéditionnaire canadien, qui s’élève dans la hiérarchie pendant la guerre.

L’utilisation du gaz étant si courante, il devient nécessaire de former des spécialistes pour enseigner aux soldats à se protéger des agents chimiques. À partir de mai 1916, le Service du gaz, nouvellement formé, recrute quelques dizaines d’hommes ayant une solide formation en chimie. Ces nouveaux officiers du gaz assurent la formation au sein du Corps canadien, dont le nombre de soldats a atteint 100 000 au début de 1917. Ils présentent habituellement, devant un grand nombre d’officiers et de sous-officiers de plusieurs unités, des exposés sur les derniers gaz, l’évolution des tactiques ennemies (par exemple, dissimuler des obus de gaz dans des bombardements fortement explosifs ou tirer pendant la nuit), ainsi que la manière de nettoyer les respirateurs. Ces soldats retournent ensuite à leurs bataillons, batteries ou compagnies pour, à leur tour, instruire leurs camarades. Plus tard au cours de la guerre, certains officiers de brigade et de bataillons ainsi que des sous-officiers seront davantage spécialisés en formation sur le gaz. Les soldats sont également obligés à marcher, à s’entraîner et même à faire du sport avec des respirateurs. Des photos montrant des hommes équipés de respirateurs qui frappent un ballon de soccer représentent un des signes les plus sûrs que la Grande Guerre ne ressemble à rien de ce qu’on a connu auparavant.

Gaz moutarde

La guerre des gaz se transforme radicalement pendant l’été 1917, lorsque les Allemands introduisent le gaz moutarde sur les champs de bataille. Lancé dans des obus marqués de croix jaunes (on l’appelle au début le gaz de la croix jaune), le gaz moutarde brûle les poumons comme les gaz conventionnels, mais laisse aussi de grandes ampoules sur la peau et provoque la cécité. Dans les trois premières semaines d’utilisation, le gaz moutarde fait plus de 14 000 victimes uniquement parmi les Forces britanniques. On a dit aux soldats que les respirateurs les protégeraient, mais le gaz moutarde brûle la peau et, pire encore, contamine la boue où il demeure actif pendant des semaines. Puisque les soldats se retranchent dans la boue, n’importe quel trou d’obus ou tranchée est désormais susceptible d’être contaminé.

Le Corps canadien fait face pour la première fois au gaz moutarde pendant la bataille de la côte 70, en août 1917. Les Allemands harcèlent les attaquants durant les préparatifs de l’offensive, le 15 août, puis tout au long de la sanglante bataille. Ils lancent un déluge de gaz moutarde sur l’artillerie canadienne le 17 et le 18 août, entraînant des centaines de pertes. En tout, 1 122 Canadiens seront blessés par le gaz sur la Côte 70, presque tous par le gaz moutarde. La situation est presque aussi difficile en octobre et novembre 1917 à Passchendaele, où les Canadiens subissent les effets d’un environnement contaminé par le gaz.

Derrière les lignes, les services médicaux luttent contre cette épidémie chimique. Le gaz moutarde contaminant les uniformes, des médecins et des infirmières sont touchés à la fin de l’été en traitant des patients. À partir de la fin de l’année, quand l’odeur du gaz est décelée, on découpe les uniformes des hommes dès le début des procédures médicales. On administre de l’oxygène à ceux dont les poumons sont attaqués, mais il n’y en a jamais assez pour soigner tous les blessés. On lave les yeux de ceux qui ont été aveuglés par le gaz moutarde. La plupart d’entre eux retrouvent la vue en quelques semaines, mais dans certains cas plus graves, les victimes demeurent aveugles.

Armes chimiques en 1918

En 1918, toutes les armées ont ajouté des obus de gaz à leur arsenal. On les utilise avant, pendant et après les batailles. Les gaz n’ont permis aucune percée stratégique, mais les chars, les mitraillettes et l’artillerie non plus. Les armes chimiques se sont montrées efficaces surtout pour réaliser des missions tactiques, dans le cadre de la doctrine d’assaut interarmes, et comme arme clé contribuant à la stratégie globale d’attrition.

Durant la dernière année de la guerre, le gaz est utilisé le plus souvent contre les batteries d’artillerie ennemies et les lignes de communication. Les chevaux et les mules peuvent être gazés, ou ralentis parce qu’ils doivent porter des respirateurs, ce qui permet de perturber les offensives en préparation ou la résistance défensive. À cause de la boue contaminée, les chevaux et mules ciblés subissent au bas des pattes et au ventre des brûlures et des cloques qui s’infectent souvent, obligeant à les retirer du combat et à les euthanasier. (Voir aussi Animaux qui ont servi à la Première Guerre mondiale.)

En 1918, les obus chimiques représentent entre 20 et 40 % des obus d’artillerie. Les obus de gaz sont utilisés aussi pour isoler les défenseurs et établir des barrières chimiques afin de traverser des zones de résistance. Les Allemands utilisent ce type de tirs chimiques pendant leurs offensives de mars 1918, et les Alliés font de même dans leurs nombreuses campagnes de juillet.

En tant que troupes de choc lancées bataille après bataille, le Corps canadien utilise considérablement le gaz pour toutes sortes de missions pendant la campagne des cent jours, la série de batailles qui se déroulent du 8 août à Amiens jusqu’à la fin de la guerre, le 11 novembre 1918. Le commandant du Corps, sir Arthur Currie, déclare après la guerre : « Nous tentions de rendre sa vie misérable […] Nous n’avons jamais oublié ce gaz, à la deuxième bataille d’Ypres, et nous ne lui avons jamais permis de l’oublier non plus. Nous l’avons gazé à chaque occasion concevable, et si nous avions pu tuer l’ensemble de l’armée allemande par le gaz, nous aurions été heureux de le faire. »

Pendant les combats des cent jours, les soldats canadiens subissent des attaques au gaz presque quotidiennement. Les Allemands tirent de fortes concentrations, visant à tuer ou blesser, mais aussi des concentrations plus légères pour forcer les soldats à enfiler leurs respirateurs. La difficulté d’avancer sous le feu est accrue de manière exponentielle lorsqu’on doit le faire presque à l’aveuglette, seul et en respirant difficilement, et la terreur est inimaginable lorsqu’il faut défendre des tranchées sous un orage d’acier et d’armes chimiques.

Alexander McClintock, un Américain ayant combattu dans le 87th Canadian Infantry Battalion, écrit : « La chose que nous craignions constamment était une attaque au gaz. Je me réveillais souvent au milieu de la nuit, en sueurs froides, ayant rêvé que j’entendais le long des lignes le claquement et le sifflement indiquant que le gaz arrivait. »

La guerre se termine le 11 novembre 1918 sur le front de l’Ouest. Les cent jours ont permis une victoire surprenante, bien que difficile. Les hauts commandements, de part et d’autre, s’attendaient à ce que la guerre se poursuive en 1919. Les Alliés avaient alors prévu lancer des nuages de gaz toxiques denses qui, le croyaient-ils, outrepasseraient la capacité des respirateurs allemands, de moins en moins efficaces en raison de la pénurie de matériaux clés résultant du blocus allié. Fritz Haber, un important scientifique allemand, pensait que « si la guerre s’était poursuivie jusqu’en 1919, [les Alliés] l’auraient gagnée, uniquement grâce au gaz. »

Des Canadiens testent leurs masques à gaz après avoir trimé dans les tranchées, septembre 1917.

Anciens combattants

Le gaz fait plus d’un million de morts et de blessés dans toutes les armées pendant la Première Guerre mondiale. Toutefois, son taux de mortalité est bas et, donc, une majorité survit. Après la Guerre, la Section historique de l’Armée estime que le nombre de victimes canadiennes du gaz s’élève à 11 572. Il s’agit du nombre de soldats qui ont pu consulter un médecin et dont les blessures ont été consignées dans leur dossier personnel. Des millions d’autres Canadiens qui ont été gazés n’ont pas été dénombrés, ayant été touchés au front ou étant morts dans les tranchées ou dans le no man’s land.

Après la guerre, les anciens combattants souffrant des effets permanents des gaz doivent lutter pour obtenir une pension du gouvernement. Les responsables à Ottawa se fient aux dossiers personnels et médicaux des soldats qui, souvent, ne mentionnent pas le gaz. Même lorsque les effets du gaz sont documentés, les demandes de pension des hommes sont parfois rejetées, au motif que les symptômes relèvent de la tuberculose ou d’autres maladies qui ne sont pas attribuables aux combats. Beaucoup de ces gens qui ont combattu avec tant d’ardeur sur le front de l’Ouest, au milieu des nuages de gaz toxiques, doivent mener des batailles bureaucratiques longues et frustrantes pour que leurs blessures soient reconnues.

Les armes chimiques depuis la Grande Guerre

Le Protocole de Genève (1925) interdit l’utilisation des armes chimiques (et biologiques) en temps de guerre. Cependant, il n’empêche pas les pays d’en concevoir et d’en fabriquer. (Voir Contrôle des armes et désarmement.) Pendant la Deuxième Guerre mondiale, on s’attend à ce que les gaz soient utilisés. Dans les années 1930, la crainte que des bombardiers ennemis transportent des bombes à gaz pour asphyxier les habitants des villes est très répandue en Grande-Bretagne. Des dizaines de millions de respirateurs sont alors distribués, incluant des modèles spéciaux pour les bébés. Les peurs ne sont pas calmées par le déclenchement de la guerre, les soldats et les civils recevant des respirateurs, des capes anti-gaz et des crèmes spéciales.

Cependant, les armes chimiques ne sont pas utilisées en raison de l’incertitude quant à ce dont dispose l’ennemi, et de la difficulté de les répandre sur les champs de bataille. Ainsi, à l’insu des Alliés, les Allemands ont développé dans les années 1930 le gaz nerveux, infiniment plus dangereux que ceux dont disposent les Alliés, mais trop difficile à envoyer et disperser. Les Allemands, toutefois, pensent que les alliés pourraient disposer de gaz mortels. Néanmoins, si les Allemands avaient réussi à envahir la Grande-Bretagne à la fin de 1940, après la chute de la France, les Britanniques prévoyaient relâcher des armes chimiques pour saturer les zones de débarquement sur les plages, afin de ralentir et blesser les Allemands. En outre, vers la fin de la guerre, il a fallu dissuader Winston Churchill d’utiliser des gaz dispersés par des avions contre des villes allemandes, et Hitler a menacé à plusieurs reprises d’utiliser des gaz pendant le conflit. Des agents chimiques toxiques ont été utilisés sous forme concentrée contre des Juifs et autres civils sans défense destinés à l’extermination dans les camps de la mort (voir Le Canada et l’Holocauste).

Le Canada n’a produit aucune arme chimique pendant la Grande Guerre, mais les laboratoires se sont mis au travail pendant la Deuxième Guerre mondiale. La Station expérimentale de Suffield, en Alberta, a été financée à parts égales par les armées britannique et canadienne de 1941 à 1946. À la fin de la guerre, près de 600 employés travaillaient à la fabrication et à l’essai d’armes chimiques et biologiques (voir Recherches pour la défense).

Entre 1941 et 1970, des armes chimiques ont été testées sur approximativement 2 000 à 3 000 soldats canadiens, avec des effets allant de brûlures mineures sur la peau provoquées par le gaz moutarde, à des dommages permanents aux poumons. Ce n’est qu’en 1988 que le gouvernement fédéral a admis avoir utilisé des soldats pour tester des armes chimiques, ce qui a été fait au moins jusqu’en 1970, et ce n’est qu’en 2004 que des anciens combattants ont reçu des compensations financières pour les dommages subis.

Signification et postérité

L’utilisation répandue des armes chimiques pendant la Grande Guerre est unique dans l’histoire de la guerre. Elles sont utilisées lors d’autres guerres, notamment par les Italiens contre les Abyssiniens (Éthiopiens) en 1935-1936, dans la guerre opposant l’Iran et l’Irak dans les années 1980 et, plus récemment, par le régime syrien contre son propre peuple au 21e siècle. Cependant, elles ne sont jamais déployées de façon plus intense ou concentrée que sur le front de l’Ouest lors de la Première Guerre mondiale.

Le Canada a une longue histoire en matière d’utilisation, de défense et de fabrication d’armes chimiques. Dans la deuxième moitié du 20e siècle, des responsables canadiens interviennent sur la scène internationale en faveur de l’interdiction des armes chimiques. Le Canada signe ainsi la Convention sur les armes chimiques, qui entre en vigueur en 1997. En vertu de cette convention, les pays ne peuvent pas mettre au point, fabriquer, stocker ou employer des armes chimiques. Cependant, plusieurs nations en possèdent des stocks, et elles demeurent une menace dans de nombreux champs de bataille de par le monde.

Un masque à gaz nouveau pris aux Allemands par les Canadiens à Lens. Il n’y pas de protection pour les yeux, juste un embout pour la bouche.  Septembre 1917.

Collection: Première Guerre mondiale