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Dorothy Livesay

Dorothy Kathleen May Livesay, poète, journaliste, éducatrice, activiste (née le 12 octobre 1909 à Winnipeg au Manitoba; décédée le 29 décembre 1996 à Victoria en Colombie-Britannique). Dorothy Livesay était l’une des poètes modernistes les plus influentes du Canada. Dans les années 1930, elle était une activiste communiste, et elle a fait carrière comme travailleuse sociale, enseignante, chargée de cours à l’université, journaliste, critique littéraire et rédactrice. Elle s’est également portée à la défense de la justice sociale et de l’égalité des droits.

Dorothy Livesay

Enfance et éducation

Dorothy Livesay est l’aînée des deux filles des journalistes Florence Randal Livesay et J.F.B. (John Frederick Bligh) Livesay. Sa sœur, Sophie, a trois ans de moins qu’elle. Ses deux parents encouragent Dorothy Livesay à apprendre à lire et à écrire dès son plus jeune âge. Sa mère, qui écrit elle-même de la poésie et tient une chronique dans le Winnipeg Free Press, publie les questions et les histoires enjouées enfantines de Dorothy avant même que celle-ci ne sache écrire. Son père, qui est un défenseur des femmes artistes, lui fournit des livres (dont plusieurs sont écrits par des femmes) et il soutient plus tard sa carrière.

En 1921, la famille déménage dans la région de Toronto, où J.F.B. Livesay devient directeur général de la Presse canadienne. Dorothy Livesay fréquente la Glen Mawr School, une école privée pour jeunes filles qui est centrée sur les arts. Dorothy Livesay est une bonne élève, et elle s’intéresse à la musique, au théâtre et à la littérature. À Glen Mawr, elle commence également à écrire de la poésie. Son premier poème est publié alors qu’elle est au début de son adolescence; il est soumis à un journal par sa mère à l’insu de Dorothy. Elle remporte également un prix scolaire pour une nouvelle.

À l’école secondaire, Dorothy Livesay noue une étroite amitié avec Jean Watts (qui figure en bonne place dans ses mémoires sous le nom de Gina ou Jim); Jean Watts est la seule personne à lire la plupart de ses premiers poèmes. Les deux jeunes femmes commencent à s’intéresser aux idées féministes après avoir assisté à une série de conférences de l’anarchiste russe Emma Goldman.

Jean Watts

Années d’université et premières publications

En 1927, Dorothy Livesay entre au Trinity College de l’Université de Toronto pour étudier le français et l’italien. Un an plus tard, alors qu’elle a 18 ans, son premier recueil de poésie parait sous le titre Green Pitcher. Selon Dorothy Livesay, c’est l’initiative de sa mère qui est à l’origine de cette publication. Mais Dorothy Livesay commence également à soumettre elle-même ses propres écrits. En janvier 1929, elle publie une nouvelle intitulée Heat dans la revue littéraire moderniste Canadian Mercury. Environ à la même époque, son poème « City Wife » remporte le prix Jardine Memorial Prize for English Verse décerné par l’Université de Toronto. Elle commence également à jouer et à mettre en scène des productions théâtrales étudiantes.

Au cours de sa troisième année d’études (1929-1930), Dorothy Livesay passe huit mois à Aix-en-Provence en France, pour étudier intensivement la langue. Durant cette période, elle écrit des nouvelles ainsi qu’un court roman intitulé Pavane, qui n’est jamais publié. De retour à Toronto pour sa dernière année, Dorothy Livesay se joint au cercle d’amis d’Otto van der Sprenkel, un jeune professeur d’économie néerlandais qui organise des séminaires sur le communisme. Après l’obtention de son baccalauréat, Dorothy Livesay part pour Paris pendant un an (1931-1932) pour obtenir un diplôme d’études supérieures à la Sorbonne. Son deuxième recueil de poèmes, Signpost, est publié après son retour en 1932.

Activisme communiste

À Paris, l’intérêt de Dorothy Livesay pour le communisme s’approfondit, tout comme celui de son cercle d’étudiants étrangers. (Notamment Stanley Ryerson, qui est son petit ami et vit avec elle pendant une partie de l’année. Il figure également dans ses mémoires Journey with My Selves, sous le nom de Tony). Dorothy Livesay est témoin de brutalités policières lors d’un rassemblement d’ouvriers, elle assiste à des réunions communistes et elle lit Marx et Engels. En septembre 1931, elle écrit à une amie : « L’Europe est dans un foutu chaos. Je ne vois pas d’autre issue que la mort et l’enterrement du capitalisme. » Et en juillet 1932 : « Je ne veux pas penser ni appartenir au prolétariat, ni travailler pour lui (…). » Elle se distancie de la poésie lyrique de ses deux premiers livres, estimant désormais que la poésie doit se rattacher aux luttes sociales et à la vie quotidienne. Ce point de vue inspire à la fois l’argumentation de sa thèse pour la Sorbonne, qui porte sur un examen critique de T.S. Eliot, et la poésie qu’elle publie dans des revues canadiennes de culture communiste au cours des années suivantes.

À son retour à Toronto à l’été 1932, Dorothy Livesay a hâte de transformer la théorie communiste en pratique activiste. « Mes convictions politiques sont devenues l’obsession dominante de ma vie », écrit-elle dans ses mémoires Right Hand Left Hand. Elle s’inscrit à la School of Social Work (maintenant la Factor-Inwentash Faculty of Social Work) de l’Université de Toronto pour effectuer un programme de deux ans. En même temps, elle s’implique dans des groupes communistes sur le campus, comme la Ligue des jeunesses communistes et le Progressive Arts Club (PAC), et elle devient éventuellement membre du Parti communiste du Canada (PCC) en 1934.

Pour la deuxième année de son programme en travail social (1933-1934), Dorothy Livesay effectue son stage pratique au Bureau des services familiaux de Montréal. C’est là qu’elle vit des expériences directes avec la pauvreté au sein des familles de la classe ouvrière, ce qui renforce son engagement d’activiste. Elle se joint à un groupe communiste local, elle participe à des rassemblements, organise des réunions et écrit des tracts, des chants et des pièces de théâtre de propagande. Après l’obtention de son diplôme, elle devient intervenante sociale à Englewood dans le New Jersey, dans une agence de loisirs qui est au service de la population noire de la ville; c’est sa première expérience de la ségrégation raciale. (Voir aussi Ségrégation raciale des Noirs au Canada.)

Des problèmes de santé mentale forcent Dorothy Livesay à revenir au Canada à l’automne 1935 et à vivre avec ses parents. Elle retrouve ses camarades de Toronto et elle se consacre de nouveau à l’écriture, développant sa poésie au-delà de la propagande prolétarienne pour adopter une voix plus humaniste et holistique. Ce changement est guidé par ses propres expériences et également, probablement, par un changement dans le dogme culturel du PCC vers l’acceptation des influences « bourgeoises ».

Parti communiste du Canada

Déménagement vers l’Ouest et mariage

Au printemps 1936, Dorothy Livesay part en tournée de lecture dans les provinces de l’Ouest. Elle vient d’être nommée rédactrice en chef du nouveau journal littéraire communiste New Frontier, lancé par son amie Jean Watts et le mari de cette dernière, William Lawson; il est décidé que Dorothy Livesay demeure à Vancouver et devient rédactrice en chef du journal pour l’Ouest. Elle fait alors la connaissance de Duncan Macnair, un comptable écossais et un socialiste comme elle, alors qu’elle travaille à promouvoir l’augmentation du lectorat. Elle l’épouse en août 1937.

Dorothy Livesay trouve un emploi au BC Welfare Field Service, mais elle doit quitter son emploi après son mariage. À l’époque, un emploi est considéré comme étant incompatible avec les devoirs d’une épouse et mère. De nombreux employeurs, y compris des fournisseurs de services fédéraux et provinciaux, obligent les femmes qui se marient à démissionner. Cela provoque un épisode de dépression chez Dorothy Livesay, mais elle se tourne éventuellement vers le bénévolat. Elle entre en contact avec des créateurs et des activistes locaux pour construire un centre communautaire, où elle organise un groupe d’écriture.

Les enfants de Dorothy Livesay, Peter et Marcia, naissent respectivement en 1940 et 1942. Par nécessité financière, elle continue d’écrire. Elle écrit de la poésie, des articles de journaux, et des scénarios radiophoniques pour la CBC. Entre-temps, son mariage souffre de conflits, dont un incident de violence conjugale.

Succès nationaux

En 1941, Dorothy Livesay et les poètes Anne Marriott, Floris McLaren et Doris Ferne de Victoria fondent le magazine de poésie Contemporary Verse, l’un des premiers magazines littéraires de l’Ouest, avec Alan Crawley comme rédacteur en chef. Ce magazine devient un média important pour les poètes établis et pour les jeunes poètes, en particulier les femmes, jusqu’à la fin de sa publication en 1952. En 1944, Dorothy Livesay publie ses poèmes écrits durant la fin des années 1930 dans le recueil Day and Night, qui remporte le Prix littéraire du Gouverneur général. Sa publication suivante, Poems for People, remporte le même prix en 1947. Cette année-là, elle reçoit également la médaille Lorne Pierce décernée par la Société royale du Canada pour sa contribution remarquable à la littérature canadienne.

Bien qu’elle ne soit plus une communiste active, Dorothy Livesay continue de s’impliquer dans les événements mondiaux et la justice sociale. Ses écrits reflètent ces préoccupations. Elle aborde des sujets comme la lutte contre le fascisme durant la guerre civile espagnole (Catalonia, 1939) et les souffrances des Canadiens d’origine japonaise qui sont détenus dans des camps d’internement après l’attaque de Pearl Harbor (Call My People Home, un poème documentaire diffusé sur la CBC en 1949 et publié en 1950). Elle travaille également comme correspondante d’après-guerre, et elle passe plusieurs mois en Angleterre et en Allemagne à l’automne 1946 pour faire des reportages pour le Toronto Star.

Carrière en enseignement

Au début des années 1950, Dorothy Livesay est embauchée à l’Université de la Colombie-Britannique comme professeure de création littéraire. Plus tard, alors que ses enfants vont à l’école, elle décide de faire de l’enseignement son gagne-pain et elle obtient un certificat en enseignement à l’Université de la Colombie-Britannique en 1956. Elle enseigne dans une école secondaire de Vancouver pendant deux ans avant de faire une demande de bourse et de l’obtenir pour aller étudier en enseignement de l’anglais à l’Université de Londres en Angleterre. C’est alors qu’elle est là-bas, en février 1959, qu’elle apprend la nouvelle du décès de son mari. Selon ses mémoires, Journey with My Selves, sa première pensée est « je suis libre ».

Plus tard cette année-là, Dorothy Livesay se rend à Paris pour travailler avec l’UNESCO. Elle accepte une affectation sur le terrain en Rhodésie du Nord (qui obtient son indépendance de la couronne britannique et se nomme République de Zambie en 1964) et elle enseigne l’anglais dans les écoles normales de Kitwe et de Lusaka, de 1960 à 1963. De retour à Vancouver, elle retourne à l’Université de la Colombie-Britannique pour faire sa maitrise en éducation en 1966. À partir de cette date et jusqu’en 1984, elle est chargée de cours et écrivaine en résidence dans diverses universités canadiennes, dont l’Université du Nouveau-Brunswick, l’Université de l’Alberta, l’Université du Manitoba, l’Université de Toronto et plusieurs universités en Colombie-Britannique.

Œuvres ultérieures et reconnaissance

Après son retour d’Afrique, Dorothy Livesay entame une nouvelle phase de sa carrière d’écrivaine. La poésie de son recueil The Unquiet Bed (1967) s’inspire de ses expériences en Zambie, et Plainsongs (1969) traite ouvertement de la sensualité et de la sexualité féminines. Sa poésie ultérieure, à commencer par Ice Age (1975), s’étend aux thèmes de la communauté féminine, de la vieillesse et de la mort, soit l’ensemble de la vie des femmes.

En 1975, Dorothy Livesay fonde le magazine de poésie CV/II, successeur de Contemporary Verse. Elle est également affiliée à d’autres publications littéraires, contribuant de manière significative à la critique littéraire au Canada et à la définition d’une poésie spécifiquement canadienne. De plus, elle est active au sein de la League of Canadian Poets, d’Amnistie internationale et d’autres organismes littéraires et humanistes. En 1977, Dorothy Livesay reçoit la médaille du jubilé d’argent de la reine, suivie du Prix du Gouverneur général en commémoration de l’affaire « personne » pour sa contribution exceptionnelle à l’égalité des genres en 1984. Elle est nommée Officière de l’Ordre du Canada en 1987 et elle est intronisée à l’Ordre de la Colombie-Britannique en 1992. Elle reçoit également de nombreux doctorats honorifiques d’universités canadiennes, dont l’Université de la Colombie-Britannique, l’Université de Waterloo, l’Université de Toronto et d’autres.

Dorothy Livesay s’installe sur l’île Galiano en Colombie-Britannique pour y vivre durant les dernières années de sa vie. Elle y meurt le 29 décembre 1996, à l’âge de 87 ans.

Dorothy Livesay

Legs

Dorothy Livesay est largement considérée comme l’une des poètes modernes les plus influentes et les plus reconnues du Canada, ainsi que comme une voix de premier plan pour la justice, la paix et les droits des femmes. Son œuvre, de poésie et de prose, est en grande partie autobiographique et elle s’étend sur six décennies, abordant de nombreux événements sociaux et politiques du 20e siècle. En partant d’un style imagiste précoce sous l’influence d’Amy Lowell, d’Emily Dickinson ou d’Ezra Pound jusqu’à la poésie polémique et influencée par le réalisme social de ses années communistes actives, son écriture évolue vers une voix franche et puissante qui explore les nombreuses facettes de la féminité.

L’écriture de Dorothy Livesay fait l’objet d’un vaste corpus de travaux universitaires. Certaines de ses poésies sont mises en musique par des compositeurs canadiens, dont Violet Archer et Barbara Pentland. Le BC Book Prize pour la poésie, créé en 1986, est renommé le Dorothy Livesay Poetry Prize en 1989 en son honneur.

Tout au long de sa vie, Dorothy Livesay concilie les idées traditionnelles du mariage et de la maternité avec l’indépendance et l’expression de soi, en pratiquant le contrôle des naissances lorsqu’elle est jeune femme jusqu’à la lecture de sa poésie sexuellement explicite dans des résidences pour personnes âgées à l’âge de 80 ans. Un article du Vancouver Sun de 2017 la qualifie de « symbole du mouvement féministe malgré son refus d’être qualifiée de féministe ».

Prix et distinctions

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