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Jean Watts

Myrtle Eugenia « Jean » Watts (nom de mariage Lawson, alias Jim Watts), artiste de théâtre, écrivaine, activiste (née le 5 mars 1909 à Streetsville en Ontario; décédée le 23 mai 1968 à Saanich en Colombie-Britannique). Jean Watts était metteuse en scène de théâtre et journaliste, et membre active du Parti communiste du Canada. Pendant la guerre civile espagnole, elle a travaillé comme correspondante de guerre ainsi que comme conductrice d’ambulance et mécanicienne pour les Brigades internationales. Elle a été la seule femme à se joindre au bataillon Mackenzie-Papineau.

Jean Watts

Enfance et éducation

Myrtle Eugenia Watts, surtout connue sous le nom de Jean (ou Jim) Watts, est la cadette des deux enfants de Herbert Lanyon Watts et d’Edna Myrtle Watts (née Corcoran). Elle a un frère aîné, Herbert Leonard Watts. La documentation concernant ses parents est très limitée, mais des éléments suggèrent que le statut social et économique de la famille est aisé : Jean Watts reçoit un héritage considérable d’un grand-père riche lorsqu’elle devient majeure. Elle fait ses études à la Glen Mawr School, une école pour filles à Toronto.

À l’âge de 12 ans environ, Jean Watts rencontre Dorothy Livesay et elles se lient d’amitié. Cette dernière devient plus tard l’une des plus éminentes poétesses modernistes du Canada. Les deux jeunes filles sont camarades de classe à Glen Mawr, elles étudient ensuite à l’Université de Toronto et elles partagent une passion pour la poésie et la littérature. Leur profonde amitié se poursuit tout au long de leur vie, et Jean Watts occupe une place importante dans les écrits de Dorothy Livesay.

À l’Université de Toronto, Jean Watts s’inscrit d’abord à l’école préparatoire à la médecine, mais elle abandonne au bout de deux ans parce qu’elle trouve le programme épuisant. Elle suit ensuite des cours de psychologie, de philosophie, de littérature et d’allemand. Pendant les pauses de ses études universitaires, elle voyage en Europe, fait de la randonnée en Espagne ou visite la France, l’Allemagne, l’Angleterre ou l’Irlande avec des amis. Au printemps 1933, Jean Watts termine ses études avec un diplôme en psychologie.

Début d’activisme communiste

Dès l’adolescence, Jean Watts défie les conventions de son éducation bourgeoise. Elle porte des vêtements masculins, préfère le surnom de « Jim » à ses prénoms féminins, et elle lit les œuvres du dramaturge et activiste politique George Bernard Shaw et du socialiste révolutionnaire Friedrich Engels. En 1927, elle assiste à une série de conférences de l’anarchiste Emma Goldman qui portent, entre autres, sur les questions de l’émancipation des femmes et de la régulation des naissances.

Au cours de l’hiver 1931-1932, alors que Jean Watts étudie à l’université, elle se joint à la Ligue des jeunesses communistes et devient membre du Parti communiste du Canada peu après. Sa radicalisation est probablement accélérée par les mesures gouvernementales sévères contre le Parti communiste et par l’arrestation et la condamnation de Tim Buck et d’autres dirigeants du Parti en 1931; ces événements provoquent une montée d’intérêt, de soutien et d’adhésion au Parti communiste, en particulier chez les jeunes urbains de la classe moyenne. Dans les groupes du campus de l’Université de Toronto, Jean Watts rencontre d’autres étudiants activistes, comme Stanley Ryerson. Pendant et après ses études en psychologie, elle occupe des postes de direction au sein de la Ligue des jeunesses communistes, de la Student League of Canada, de la publication du parti The Young Worker et du Progressive Arts Club (PAC).

Le Workers’ Theatre et le Theatre of Action

Jean Watts, qui s’intéresse à la littérature et à la culture, se consacre au PAC. Elle devient l’une des chefs de file de la division théâtrale et en 1932, elle fonde le Workers’ Experimental Theatre (WET), plus tard connu sous le nom de Workers’ Theatre. En 1933, elle met en scène et dirige la production Eight Men Speak du WET, dans laquelle elle joue également, une pièce d’agitprop (propagande) coécrite par quatre membres éminents du Parti communiste du Canada. La production met moins l’accent sur le professionnalisme théâtral que sur l’activisme politique dans le cadre d’une campagne plus vaste du Parti communiste pour la libération de Tim Buck. La pièce Eight Men Speak joue en première à Toronto le 4 décembre 1933, et elle est immédiatement interdite par le premier ministre.

Le 29 mai 1934, Jean Watts épouse William Thomas (Lon) Lawson, écrivain et éditeur de publications du Parti communiste, qui s’implique également dans le Workers’ Theatre. Ensemble, ils s’installent à New York à l’automne 1934, où Jean Watts suit des cours de théâtre et de mise en scène à la Neighborhood Playhouse School of the Theatre et travaille avec le Workers’ Laboratory Theatre. Elle souhaite professionnaliser son travail théâtral et passer de l’agitprop à des formes plus sophistiquées de théâtre ouvrier. Cette démarche s’inscrit dans le cadre d’un changement général de la politique culturelle communiste au niveau international.

À son retour à Toronto en juin 1935, Jean Watts s’implique dans le nouveau Theatre of Action, le successeur du Workers’ Theatre. (Le remplacement des théâtres ouvriers par les Theatres of Action s’inscrit dans le cadre du changement de politique culturelle communiste.) Jean Watts fonde une école d’art dramatique en utilisant la méthode stanislavskienne qu’elle a étudiée à New York. Au début de 1936, elle met en scène la première représentation de la pièce Waiting for Lefty du Theatre of Action, une pièce en un acte de Clifford Odets, qu’elle a connu à New York. Bien que la pièce traite de thèmes communistes, Jean Watts choisit une version sans propagande communiste explicite. Cependant, en même temps, elle met en scène plusieurs spectacles d’agitprop avec le Theatre of Action, ce qui témoigne à la fois de son intérêt continu pour l’activisme révolutionnaire et de son désir de plaire à un public plus large.

Journalisme antifasciste au Canada

Jean Watts commence à publier dans des revues et magazines communistes au début de sa vingtaine. Alors qu’elle est encore étudiante en 1932 ou 1933, elle devient directrice commerciale du magazine mensuel The Young Worker (qui devient bimensuel en 1934) de Toronto. Elle écrit des articles, des éditoriaux ainsi que sa propre chronique. Dès 1933, elle met en garde contre la guerre en Europe, faisant appel à un front uni contre le fascisme. En décembre 1933, elle est arrêtée pour avoir vendu le journal dans la rue.

Jean Watts écrit également pour le journal Daily Clarion du Parti communiste du Canada, incluant une série d’articles au cours de l’hiver 1935-1936 sur le théâtre soviétique et sur les pièces qu’elle a vues lors d’un voyage à Moscou. Au printemps 1936, elle se joint à son mari William Lawson pour lancer une nouvelle revue littéraire communiste, le New Frontier. Elle utilise l’argent de son héritage pour financer la revue.

Au printemps 1936, Jean Watts se concentre sur la cause communiste, passant du théâtre à la situation en Espagne, où le gouvernement républicain de gauche élu est menacé par un coup d’État de la droite nationaliste, qui est soutenue par l’Italie fasciste et l’Allemagne nazie. À la fin de l’été 1936, Jean Watts démissionne de la direction du Theatre of Action et se joint à la campagne de l’Internationale communiste pour la République espagnole.

Dr Norman Bethune et Henning Sorenesen

Journalisme dans la guerre civile espagnole

En février 1937, Jean Watts se rend en Espagne en tant que correspondante de guerre pour le Daily Clarion, malgré son souhait de se joindre aux Brigades internationales. Elle est envoyée à Madrid pour faire un reportage sur le Blood Transfusion Institute fondé par Norman Bethune. Le Daily Clarion la présente de manière proéminente comme une « jeune journaliste » et « probablement la seule Canadienne à couvrir des nouvelles en Espagne ». Son rôle est également unique (tout comme celui de Ted Allan, qui fait également des reportages pour le Daily Clarion en direct de l’Espagne) dans la mesure où aucun autre journal canadien n’affecte de correspondants exclusivement à la couverture de la guerre civile.

Jean Watts agit comme « chargée des relations publiques » (comme elle le décrit plus tard) pour le Blood Transfusion Institute, mais elle est libre de couvrir également d’autres sujets. En plus de faire des reportages sur les soins médicaux prodigués par l’institut, elle couvre des sujets qui se déroulent derrière le front, comme la vie et les souffrances des civils, l’impact immédiat des bombardements à Madrid et la préservation des objets culturels. Elle fait également des émissions de radio et participe aux opérations quotidiennes du Blood Transfusion Institute. Cependant, elle n’apprécie pas d’être confinée à Madrid et elle quitte l’institut en juin 1937 pour un emploi de courte durée au bureau de censure du gouvernement républicain à Valence.

Bataillon Mackenzie-Papineau

Travail avec les Brigades internationales

À l’automne 1937, Jean Watts réussit à s’enrôler dans les Brigades internationales en postulant comme chauffeuse. Elle s’enrôle dans le bataillon Mackenzie-Papineau, la section canadienne des Brigades, et elle est la seule femme à le faire. Jean Watts est affectée à une unité médicale britannique comme conductrice d’ambulance et mécanicienne. Ses collègues chauffeurs la connaissent sous le nom de Jim et elle se sent à l’aise dans cet environnement exclusivement masculin.

En janvier 1938, Jean Watts retourne au Canada, mais elle continue à soutenir le bataillon et l’Espagne républicaine. Elle parcourt le pays pour prononcer des discours, elle organise des rassemblements de recrutement pour le bataillon et, lorsque les forces républicaines perdent la guerre au printemps 1939, elle recueille des fonds pour les anciens combattants et les réfugiés espagnols. Elle se rend également à Paris en avril 1939 pour assister à une conférence d’aide aux réfugiés et visiter des camps de réfugiés, et elle fait un reportage sur ces deux événements pour le Daily Clarion.

Années ultérieures et décès

Durant la Deuxième Guerre mondiale, le Parti communiste du Canada est banni et Jean Watts ne peut plus travailler en son nom en public. Elle se joint d’abord à son mari, William Lawson, qui travaille pour le parti de façon clandestine, mais en décembre 1941, elle s’enrôle dans le Service féminin de l’Armée canadienne et elle travaille au Canada comme chauffeuse et officière du personnel. En 1946, lorsque le Service est dissous, elle a atteint le grade de lieutenante. Après la guerre, elle s’installe avec William Lawson dans le comté de Prince Edward; en 1948, le couple adopte un enfant.

Il existe peu de documents sur la vie ultérieure de Jean Watts. Elle déménage à Saanich en Colombie-Britannique avec William Lawson, en 1951 ou après. Bien qu’elle ne publie plus et ne fasse plus campagne, elle demeure attachée aux idées progressistes et à l’activisme antiguerre. En 1966, elle fonde la section de Victoria en Colombie-Britannique de la Voix des femmes pour la paix. Le 23 mai 1968, elle se suicide à Saanich.

Legs

Dans ses mémoires, Dorothy Livesay décrit son amie Eugenia « Jean » Watts comme « la nouvelle femme »; ce terme désigne généralement les femmes de la fin du 19e et du début du 20e siècle qui remettent en question les attentes et les rôles traditionnels et font la promotion du droit de vote des femmes, des possibilités d’éducation, de l’indépendance sexuelle et d’une tenue vestimentaire « rationnelle » ou masculine.

Jean Watts est certainement une pionnière; elle est l’une des premières correspondantes de guerre, ouvrant la voie (avec sa collègue correspondante de la guerre civile espagnole, l’Américaine Martha Gellhorn) à des journalistes de la Deuxième Guerre mondiale comme Helen Kirkpatrick et Ruth Cowan. Bien qu’elle soit mariée, elle poursuit une carrière ambitieuse et indépendante en utilisant son nom de naissance, Watts, tout au long de sa vie professionnelle.

Comme d’autres « nouvelles femmes », elle porte parfois des vêtements masculins et utilise un prénom masculin ou neutre (Jim ou « J ») plutôt que son prénom. Dans ses lettres à Dorothy Livesay, elle s’identifie comme bisexuelle. Alors qu’elle est étudiante à l’université, elle a des relations avec des femmes et des hommes, dont Otto Van der Sprenkel, un politologue en herbe qui approfondit son intérêt pour le socialisme et le marxisme, ainsi que Stanley Ryerson. Selon l’historienne Nancy Butler, Jean Watts reste « bisexuelle et non monogame » tout au long de son long mariage avec William Lawson.

Ce que l’on sait aujourd’hui de Jean Watts repose en grande partie sur les écrits de Dorothy Livesay. Mais les récits de Dorothy Livesay sont souvent subjectifs et méritent une étude complémentaire. Le rôle de Jean Watts au sein du mouvement communiste au début des années 1930 et son travail de journaliste au milieu des années 1930 ne sont pas encore pleinement reconnus par les historiens. Cependant, depuis sa mort, Jean Watts suscite un certain intérêt sur la scène théâtrale canadienne; une pièce de 2010 de Tara Beagan (Jesus Chrysler) et une pièce de 2024 de Beverley Cooper (Jim Watts : Girl Reporter) sont basées sur la vie de Jean Watts.

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