Luthériens
Luthériens. Les luthériens constituaient en 1980 la cinquième confession chrétienne en importance au Canada, comptant environ 716 000 fidèles dont 302 736 étaient regroupés en paroisses. Les paroisses luthériennes firent leur apparition au Canada au milieu du XVIIIe siècle avec la venue dans le Haut-Canada et en Nouvelle-Écosse d'immigrants allemands et de Loyalistes d'origine allemande. Par la suite, plusieurs vagues successives de luthériens de l'Europe continentale et de la Scandinavie se répandirent dans tout le pays, apportant avec eux une grande variété de répertoires d'hymnes et de séquences d'offices. Des barrières nationalistes, linguistiques et, dans une certaine mesure, théologiques, entravèrent la formation au Canada d'une Église luthérienne unifiée. En conséquence, aucun hymnaire luthérien canadien distinctif n'existait encore en 1980. Jusque tard dans le XXe siècle, les assemblées paroissiales au Canada utilisaient les hymnaires de leur pays d'origine, ou importaient ceux des synodes amér. (New York, Ohio et Pennsylvanie) dont ils étaient tributaires pour leurs pasteurs et l'évangélisation. Les hymnaires apportés d'Allemagne ne pouvaient assurer d'uniformité musicale dans les églises locales du fait que leur contenu différait selon les coutumes et les traditions régionales; en Allemagne même, il fallut attendre l' Evangelische Kirchengesangbuch de 1949 pour voir apparaître un ensemble de Stammlieder commun. Un cas type de séparatisme par la musique est celui des luthériens de langue allemande de la basse Volga qui s'établirent dans l'ouest du Canada au XIXe siècle.
Leurs hymnes d'église, bien que chantées sur des mélodies qui étaient les mêmes que les nôtres à l'origine, en différaient à présent beaucoup. Mais leurs hymnes étaient réellement vivantes parmi eux; car leur hymnaire de la Volga était utilisé pour les prières quotidiennes, à leurs réunions du culte, parallèlement aux hymnes évangéliques, et aussi pour leurs offices dominicaux dirigés par un prédicateur ou par un lecteur laïque. On disait de cet hymnaire qu'il contenait des hymnes très précieuses. Tout cela faisait que ce livre leur était très cher et qu'ils n'auraient pas facilement consenti à s'en séparer.
Écouter chanter ces luthériens de la Volga était toute une expérience. On entendait chanter la première, la deuxième, la troisième, la quatrième et encore quelques autres voix, chacune se mêlant à l'autre dans une harmonie passablement belle et avec enthousiasme. Les femmes chantaient le soprano et l'alto, les hommes faisaient gronder leur basse et d'autres hommes possédant une voix aiguë de ténor soutenaient le soprano, non pas délicatement mais avec force. Ils chantaient sans orgue, et s'il y avait un orgue, il était joué par oreille en suivant le chant. (Wiegner, p. 7-8)
Les pressions nord-américaines en faveur de l'assimilation culturelle précipitèrent l'adoption de liturgies et d'hymnes de langue anglaise, ce qui contribua à unifier les divers groupes synodaux. Les luthériens des contrées de la Baltique ainsi que quelques paroisses de langue allemande continuèrent cependant de célébrer les offices et de chanter les hymnes dans leur langue maternelle. Même pendant le XXe siècle, les luthériens d'origine scandinave avaient conservé en traduction l'essentiel de leurs propres textes traditionnels tout en ayant adopté des hymnes d'autres confessions (voir Nyholm, p. 332-336; Eylands, p. 201). Toutefois, à partir du XVIIIe siècle, les synodes luthériens des É.-U., surtout ceux qui subissaient l'influence du patriarche Henry Melchior Muhlenberg, publièrent une série d'hymnaires allemands et anglais qui manifestaient de fortes tendances unionistes et incluaient un choix d'hymnes d'origine anglicane et wesleyenne. La plus importante de ces publications fut le Common Service Book (édition avec musique, Philadelphie 1917). Ce recueil fut ensuite remplacé par le Service Book and Hymnal (Minneapolis 1958) qui fut adopté par les deux-tiers environ des luthériens d'Amérique du Nord. Son répertoire résolument oecuménique incluait 14 mélodies en plain-chant, 37 chorals scandinaves et deux fois plus d'airs britanniques que de chorals allemands (283 contre 1450). Les trois mises en musique de l'office étaient respectivement : le « chant anglican », un mélange de chorals et de plain-chant tirés principalement du Mässbok suédois, et une adaptation par Ernest White de la Missa Orbis Factor grégorienne. Les matines et les vêpres étaient en « chant anglican ». En 1980, les églises canadiennes appartenant au Lutheran Church-Missouri Synod utilisaient encore The Lutheran Hymnal (Saint Louis 1941). Ce recueil représentait une tradition plus proche du mouvement unitarien au sein du luthéranisme. Les versions rythmiques originales des chorals allemands constituaient la moitié de la collection. Le choix des textes reflètait la préférence théologique du synode du Missouri par l'insistance sur la doctrine comme un élément de l'hymnodie : « ... le retour à la doctrine d'antan par le chant aussi bien que par la prédication » (DeLaney, p. 113).
Le 1er janvier 1986, la Lutheran Church in America (section du Canada) et l'Evangelical Lutheran Church of Canada (auparavant les congrégations canadiennes de l'American Lutheran Church) se réunirent en une seule formation. Le recueil d'office qu'elles adoptèrent fut le Lutheran Book of Worship (Minneapolis 1978) préparé par l'Inter-Lutheran Commission of Worship qui représentait la LCA, l'ALC, l'ELCC et la Lutheran Church-Missouri Synod. Les mises en musique s'élargirent pour inclure les matines, les vêpres, les complies, les litanies et les cantiques élaborés par des compositeurs luthériens américains pour former un mélange de néoplain-chant et de styles d'hymnes contemporains. Les 547 hymnes présentent une approche fraîche et fonctionnelle à la présentation de nouveaux textes et de nouvelles mélodies ainsi qu'une sélection à tendance luthérienne du répertoire oecuménique. La section canadienne du Lutheran Church-Missouri Synod, qui ne se joignit pas au fusionnement de 1986, utilise une édition canadienne spéciale du Lutheran Book of Worship de 1978.
Tous les hymnaires conservent la coutume luthérienne, remontant au XVIe siècle, de rassembler en un seul volume les hymnes, le psautier et les offices liturgiques avec les propres et les leçons. Ce qui unifie les églises luthériennes d'Amérique du Nord est la contribution particulière du luthéranisme réformé à la participation des fidèles : l'importance accordée au rôle du chant de l'assemblée dans les répons du culte collectif, et surtout celle donnée à la fonction essentielle que l'hymne occupe à la fois à l'église et à la maison, l'hymnaire étant le « livre de prières du peuple » (Reed, p. 186). Les assemblées maintiennent une solide tradition de chorales bénévoles et se préoccupent d'acquérir des orgues à tuyaux de qualité. L'influence première de la vie musicale luthérienne au Canada a été son apport au progrès du chant choral communautaire par la fondation de sociétés chorales locales et leur participation aux Sängerfeste.
Le climat musical luthérien favorisa l'épanouissement de deux des chefs de choeur les plus remarquables du Canada, A.S. Vogt et Elmer Iseler. Ce dernier développa son intérêt pour la musique chorale au Waterloo College (Université Wilfrid Laurier) auprès d'Ulrich Leupold, responsable des cours de musique d'église au Waterloo Lutheran Seminary de ce collège et le musicien le plus éminent du luthéranisme canadien. L'influence de Leupold, à la fois pastorale, théologique et musicale, se fit sentir dans les paroisses par l'encouragement qu'il prodiguait aux musiciens amateurs et par la qualité de l'exécution qu'il exigeait pour les offices. Membre de plusieurs conciles luthériens ou oecuméniques, il présida en 1965 le comité de musique de la Lutheran Church of America Commission on Worship.
Le climat de Gemeinschaft (communauté) musical vivante, dans le luthéranisme canadien, n'a pas suscité la composition d'oeuvres significatives de musique d'église, non plus que le souci de professionnalisme chez les responsables de la musique dans les paroisses. Il faut excepter cependant les quelques communautés (par exemple les Lettons et les Estoniens) dont les chorales servent à des fins à la fois nationalistes et liturgiques, et dont le répertoire d'antiennes et de cantates, limité mais d'excellente qualité, fut constitué après la Deuxième Guerre mondiale. En 1980, aucune institution luthérienne au Canada ne se consacrait exclusivement à la formation musicale. Le mouvement des écoles de chant choral était inexistant. Les paroisses de langue anglaise devaient compter sur les maisons d'édition luthériennes américaines pour les livres de chant des offices, et après la mort de Leupold, aucun musicien canadien ne faisait partie de l'Inter-Lutheran Commission of Worship, chargée de la préparation d'une série nouvelle de mises en musique pour la liturgie et les offices ainsi que de nouveaux hymnaires.
Bibliographie
Valdimar J. EYLANDS, Lutherans in Canada (Winnipeg 1945).
Paul E. WIEGNER, The Origin and Development of the Manitoba-Saskatchewan District of the Lutheran Church (Saint Louis, Mo. 1957).
Luther D. REED, The Lutheran Liturgy (Philadelphie 1959).
Carl Raymond CRONMILLER, A History of the Lutheran Church in Canada I (Evangelical Lutheran Synod of Canada 1961).
Paul C. NYHOLM, The Americanization of the Danish Lutheran Churches in America (Minneapolis 1963).
Carl SCHALK, The Roots of Hymnody in the Lutheran Church (Saint Louis, Mo. 1965).
Ernest R. RYDEN, « Hymnbooks (Lutheran) », The Encyclopedia of the Lutheran Church II, Julius Bodensieck dir. (Minneapolis 1965).
E. Theo DeLANEY, « What makes it Lutheran », The Musical Heritage of the Church VII, Theodore Hoelty-Nickel dir. (Saint Louis, Mo. 1970).