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Masumi Mitsui

Masumi Mitsui, Médaille militaire, agriculteur, soldat, dirigeant de la Légion royale canadienne (né le 7 octobre 1887 à Tokyo, au Japon; décédé le 22 avril 1987 à Hamilton, en Ontario). Après avoir immigré au Canada en 1908, Masumi Mitsui a servi au sein du Corps expéditionnaire canadien durant la Première Guerre mondiale et a obtenu plusieurs médailles. En 1931, avec ses camarades, il a persuadé le gouvernement de la Colombie‑Britannique d’accorder aux anciens combattants canadiens d’origine japonaise le droit de vote. Cette victoire a constitué une percée importante pour les Canadiens d’origine japonaise et pour d’autres Canadiens dépourvus du droit de vote. Néanmoins, comme plus de 22 000 autres Canadiens d’origine japonaise, il sera déplacé, détenu et dépossédé de ses biens par le gouvernement fédéral pendant la Deuxième Guerre mondiale (voir Internement des Canadiens d’origine japonaise).

Masumi Mitsui
Cette photo a été prise à la fin de la Première Guerre mondiale, après la promotion de Masumi Mitsui au grade de sergent. (avec la permission de David R. Mitsui)

Jeunesse au Japon et au Canada

Masumi Mitsui fait partie d’une première vague d’immigrants japonais, appelés Issei (première génération), arrivés au Canada à partir de 1877, dans la foulée de Manzo Nagano. Né dans une famille de militaires, il aurait émigré en 1908 après s’être vu refuser l’entrée dans une académie militaire. Au Canada, il travaille comme ouvrier agricole dans une ferme à Richmond, en Colombie‑Britannique, et en tant que serveur à l’Union Club de Victoria, où il acquiert la maîtrise de l’anglais et des compétences en leadership.

LE SAVIEZ‑VOUS?
Manzo Nagano est le premier immigrant japonais officiellement recensé au Canada. En mars 1877, à l’âge de 24 ans, il quitte le Japon en direction de l’Ouest canadien à bord d’un paquebot britannique; il arrive en mai en Colombie‑Britannique et s’installe finalement à Victoria.

En Colombie‑Britannique, les Canadiens d’origine japonaise de la génération de Masumi Mitsui sont marginalisés par le système. À l’instar des autres minorités racialisées de cette époque, on leur refuse les libertés civiles dont jouissent les autres Canadiens. En Colombie‑Britannique, un amendement de 1895 à la Provincial Voters’ Act (loi électorale provinciale) exclut spécifiquement les Japonais ainsi que les membres des Premières Nations et les résidents chinois du droit de vote provincial (voir Droit de vote au Canada). Étant donné que le gouvernement fédéral n’octroie alors le droit de vote à l’échelon fédéral qu’aux personnes en mesure de voter à l’échelon provincial, les membres de ces communautés racialisées ne peuvent, de fait, ni voter aux élections fédérales ni aux élections provinciales.

Carrière militaire, 1916‑1918

Après le déclenchement de la Première Guerre mondiale, Masumi Mitsui et d’autres Canadiens d’origine japonaise voient ce conflit comme une occasion de se battre pour le Canada et comme un moyen de gagner leurs droits de citoyens, tout en accomplissant leur devoir. Masumi Mitsui a déclaré plus tard à propos de cet engagement : « J’y suis allé parce que j’étais convaincu qu’en m’enrôlant, j’agissais dans l’intérêt du Canada et dans celui du Japon [alors allié des Britanniques]. »

En 1914, Yasushi Yamazaki, éditeur du journal de la communauté japonaise de Vancouver Tairiku Nippō, se fait le fer de lance d’une campagne en faveur de l’acceptation des Canadiens d’origine japonaise dans le Corps expéditionnaire canadien (CEC) combattant en Europe. En 1915, il relance cette idée et organise l’entraînement militaire de 171 volontaires à Vancouver entre janvier et mai 1916. Masumi Mitsui fait partie de ce groupe d’hommes.

LE SAVIEZ‑VOUS?
Tairiku Nippō (Continental Daily News) était un journal destiné aux Canadiens d’origine japonaise publié à Vancouver de 1907 à 1941. La plupart des articles étaient rédigés en japonais et couvraient un large éventail de sujets intéressant les immigrés japonais en Colombie‑Britannique. En 1941, le gouvernement fédéral imposa la fermeture des journaux en japonais.

Journal Tairiku Nippō
Le journal Tairiku Nippō , 30 juin 1941. (avec la permission de University of British Columbia Library/PN4919.V23 T3 1989)

Alors qu’ils doivent faire face à de nombreux obstacles pour s’enrôler aux postes de recrutement en Colombie‑Britannique, les recrues canadiennes d’origine japonaise apprennent que des bataillons du CEC en Alberta sont prêts à les accepter. Plus de 160 Canadiens d’origine japonaise se rendent alors en Alberta pour s’engager. Ce groupe comprend Masumi Mitsui, qui se joint au 192e Bataillon du Corps expéditionnaire à Calgary le 1er septembre 1916.

Envoyé en Europe en octobre 1916, Masumi Mitsui est brièvement affecté au 9e Bataillon de réserve en janvier 1917 avant d’être transféré au 10e Bataillon. Il rejoint le front de l’Ouest, dans le nord de la France, début mars 1917. Constatant que de nombreuses recrues d’origine japonaise ont des difficultés avec la langue anglaise, le lieutenant‑colonel du 10e regroupe tous les soldats canadiens d’origine japonaise de son bataillon sous le commandement du soldat Mitsui.

Masumi Mitsui et Masajiro Shisido
Cette image montre Masumi Mitsui debout, en uniforme intégral du Corps expéditionnaire canadien, un fusil à la main, tandis que son camarade Masajiro Shishido est agenouillé, tenant également son fusil. Cette image semble avoir été prise en studio, vers 1916. (avec la permission du Nikkei National Museum/2014.10.1.10)

Ce dernier prend part, en 1917 et en 1918, à de nombreux affrontements majeurs, notamment la bataille de la crête de Vimy, aux côtés d’autres combattants canadiens d’origine japonaise. Bien que blessé au combat lors de la bataille d’Arleux le 28 avril 1917, il revient bientôt au front où il conduit, en août 1917, 35 Canadiens d’origine japonaise lors de la sanglante bataille de la côte 70 près de Lens, en France. Au combat, il se révèle un chef exemplaire, prenant des risques personnels pour protéger ses compagnons. Après la bataille de la côte 70, il est promu au grade de sergent et reçoit la Médaille militaire pour son leadership, pour son courage au combat et pour l’aide apportée aux blessés sur le champ de bataille.

Libéré de l’armée avec les honneurs en avril 1919, il épouse Sugiko avec laquelle il crée une ferme avicole à Port Coquitlam, en Colombie‑Britannique. Là, ils élèvent leurs quatre enfants : Lucy, Amy, George et Harry.

Soldats canadiens d’origine japonaise du 10e Bataillon
Cette image montre onze soldats canadiens d’origine japonaise vêtus de l’uniforme et du chapeau de l’armée canadienne, assis et debout, sur trois rangées, à l’extérieur d’un bâtiment de couleur claire, en France. Les deux hommes assis au sol sont, de gauche à droite, Tsunejiro Kuroda et Kumakichi Oura. Assis au deuxième rang, on peut voir, à partir de la gauche, Masumi Mitsui, Chikara Fujita, Masaru Nishijima, Toraki Matsumura et Masajiro Shishido. Au troisième rang, en haut de l’image, on peut voir, debout, à partir de la gauche, Otokichi Onishi, un homme non identifié, Nuinosuke Okawa et Tsunekichi Kitagawa. (avec la permission du Nikkei National Museum/2010.23.2.4.551)

Militantisme : 1920 à 1931

Masumi Mitsui et d’autres anciens combattants canadiens d’origine japonaise s’efforcent de persuader le gouvernement de la Colombie‑Britannique de leur accorder le droit de vote pour récompenser leur activité sous les drapeaux. Toutefois, leurs premiers efforts s’avèrent vains. Ils restent cependant mobilisés et tentent de faire avancer les choses en créant, en 1925, la section 9 de la Légion canadienne en Colombie‑Britannique afin d’établir des alliances avec d’autres sections de la Province pour atteindre leurs objectifs.

Nommé président de cette section, Masumi Mitsui organise, en 1931, avec ses camarades, une importante campagne globale en faveur du droit de vote des anciens combattants canadiens d’origine japonaise, dans le cadre de laquelle il conduit à Victoria une délégation de lobbying auprès des députés provinciaux. Cette fois, les efforts mis en œuvre aboutissent, puisque l’Assemblée législative décide, par une voix d’écart, d’octroyer le droit de vote provincial aux anciens combattants canadiens d’origine japonaise. Ils deviennent alors les premiers Canadiens d’origine asiatique à obtenir le droit de vote en Colombie‑Britannique.

Lors d’un dîner de célébration à Vancouver, Masumi Mitsui attribue cette victoire à plusieurs facteurs clés, notamment la coalition que les anciens combattants ont su former avec d’autres groupes de la Légion en soutien à leur demande.

Internement des Canadiens d’origine japonaise

Le racisme antijaponais en Colombie‑Britannique s’intensifie pendant la période qui précède la Deuxième Guerre mondiale. Sous la conduite de Masumi Mitsui, les anciens combattants canadiens d’origine japonaise affichent ouvertement leur loyauté envers le Canada en participant activement à l’accueil du roi George VI et de la reine Elizabeth à Vancouver en 1939 (voir Visite royale de 1939) et, en 1941, en réaffirmant publiquement leur allégeance. Pourtant, dans la foulée de l’attaque du Japon sur Pearl Harbor et Hong Kong le 7 décembre 1941, les préjugés de nombreux Canadiens d’origine européenne se transforment en hystérie et les exigences d’expulsion des Canadiens d’origine japonaise de la côte ouest, se multiplient (voir Internement des Canadiens d’origine japonaise).

En 1942, Masumi Mitsui est conduit sous escorte à Hastings Park à Vancouver afin d’y être enregistré en tant qu’« ennemi étranger ». Là, répondant à la question d’un fonctionnaire lui demandant : « Que puis‑je faire pour vous, Sergent? », il aurait pris toutes ses médailles de guerre et les aurait jetées sur la table en répondant : « À quoi me servent mes médailles maintenant? » et, bien qu’elles lui aient été restituées, il cessera de les porter en public à compter de cette date. Après la saisie de sa ferme, il est transféré de force, avec sa famille, à Greenwood, en Colombie‑Britannique, où il est chargé de la sécurité locale.

LE SAVIEZ‑VOUS?
Divers chercheurs et certains militants remettent en cause le concept d’internement des Canadiens d’origine japonaise durant la Deuxième Guerre mondiale, arguant qu’en vertu de la loi internationale, l’internement fait référence à la détention d’ennemis étrangers, alors que la plupart des Canadiens d’origine japonaise détenus étaient bel et bien citoyens canadiens (voir Citoyenneté). Ils suggèrent d’utiliser plutôt d’autres termes comme incarcération, expulsion, retenue et dispersion.

Après la fin de la guerre, les restrictions imposées aux Canadiens d’origine japonaise ne se sont pas assouplies. La famille de Masumi Mitsui est empêchée de retourner sur la côte et le gouvernement fédéral vend sa ferme sans son consentement. Se retrouvant conséquemment dans une situation financière difficile, la famille est contrainte de déménager dans le sud de l’Ontario, finissant par s’installer à Hamilton.

Âge mûr et fin de vie

Dans les années 1980, on assiste à un mouvement en faveur de l’attribution de réparations aux Canadiens d’origine japonaise dans le cadre duquel les réalisations exceptionnelles de Masumi Mitsui sont mises en lumière. En août 1985, alors âgé de 98 ans, il est invité à revenir à Vancouver en tant qu’invité d’honneur lors d’une cérémonie pour rallumer la flamme du souvenir du monument commémoratif érigé à la mémoire des Canadiens d’origine japonaise ayant combattu durant la Première Guerre mondiale. La flamme du monument, qui se trouve dans le parc Stanley, avait été éteinte en 1942.

Masumi Mitsui est décédé en 1987, quelques mois avant son centième anniversaire.

Importance et héritage

Canadien ordinaire à bien des égards, Masumi Mitsui était doté d’une force de caractère, d’une détermination et d’une persévérance exceptionnelles l’ayant amené à s’engager dans des activités militantes sur le terrain. Son objectif était de faire du Canada un pays plus diversifié et plus inclusif. Avec 221 autres soldats canadiens d’origine japonaise ayant combattu lors de la Grande Guerre, il a démontré que les Forces armées canadiennes étaient, de longue date, beaucoup plus diversifiées qu’on ne le pensait auparavant. La campagne de Masumi Mitsui et d’autres anciens combattants pour gagner le droit de vote a constitué un exemple inspirant d’action politique de la part de membres d’une communauté autrefois privée de ce droit. Leur succès a permis d’élargir les concepts de citoyenneté et de démocratie au Canada.