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Mouvement pour une journée de travail de neuf heures

De portée internationale, le Mouvement pour une journée de travail de neuf heures se déroule au Canada entre janvier et juin 1872. Il cherche en vain à faire adopter une durée quotidienne légale du travail plus courte. Néanmoins, ce mouvement jette les bases de ce qui devient par la suite l’Union ouvrière canadienne.

Journée de travail de neuf heures

Contexte

Le Mouvement pour une journée de travail de neuf heures s’inscrit dans le cadre d’une initiative internationale visant à obtenir des journées de travail plus courtes. Au Canada, le mouvement s’étend de janvier à juin 1872. Partie de Hamilton, cette revendication d’une journée de travail de neuf heures (certains salariés devaient travailler jusqu’à 12 heures) s’étend rapidement à Toronto et à Montréal, rencontre un soutien à travers l’Ontario, de Sarnia à Perth, et trouve même un écho à Halifax. Pour la première fois dans l’histoire, les travailleurs canadiens font cause commune.

Grandes figures du mouvement

Certains personnages se retrouvent à la tête de cette mobilisation : J.S. Williams et John Hewitt, imprimeur et tonnelier, respectivement (tous deux de Toronto), James Ryan, cheminot du Great Western Railway à Hamilton, et James Black, employé des chantiers du Grand Trunk Railway à Montréal. Les ouvriers mécaniciens des compagnies ferroviaires tels que James Ryan et James Black sont à l’origine d’une tentative destinée à créer une mobilisation dans l’ensemble du Canada sur la question de la journée de travail plus courte. Le premier se rend à Montréal et planifie des actions spécifiques à Hamilton et à Toronto susceptibles de recevoir l’appui des travailleurs montréalais. Il encourage également la formation de ligues des Neuf heures. Fait sans précédent au Canada, ces ligues réunissent des travailleurs syndiqués et non syndiqués, brisant ainsi les barrières et favorisant leur rapprochement dans tout le centre du Canada. En mars 1872, la ligue des Neuf heures de Montréal, présidée par James Black, compte 2 000 membres.

Évolution du mouvement

Lorsque le mouvement atteint son apogée, J.S. Williams et d’autres imprimeurs affiliés à la section locale 91 du syndicat des typographes de Toronto (Toronto Typographical Union) fondent une coopérative afin de publier le journal Ontario Workman à Toronto. Ce premier journal militant, avec J. S. Williams pour rédacteur en chef, reflète la confluence des différents mouvements, anciens et nouveaux, en faveur de la journée de travail de neuf heures.

D’un côté, J.S. Williams oppose aux employeurs l’union des travailleurs. Figure de proue du mouvement pour la réduction de la durée de travail quotidienne et membre de premier plan du comité de vigilance du syndicat des typographes, il aide à mobiliser 10 000 travailleurs en avril et lance un mouvement de grève retentissant contre les maîtres imprimeurs de Toronto, ce qui lui vaut d’être arrêté et accusé de comploter. De l’autre, il fait partie d’un groupe de leaders de Toronto qui gardent des liens étroits avec le président du Parti conservateur, sir John A. Macdonald. C’est d’ailleurs ce dernier qui maintient financièrement à flot l’Ontario Workman et permet à ses amis de la classe ouvrière d’en garder le contrôle.

Entre mars et avril, la polémique suscitée par l’échec de la grève des imprimeurs de Toronto vient rappeler aux travailleurs l’opposition farouche des employeurs à leurs nouvelles initiatives. Les syndicats sont déclarés illégaux au Canada, car considérés comme des ententes limitant l’exercice d’une activité selon une interprétation particulière d’une ancienne loi britannique (voir Syndicat ouvriers; Histoire des travailleurs). Malgré tout, John Hewitt défend la création de la Canadian Labor Protective and Mutual Improvement Association à Hamilton le 3 mai 1872.

Quant au meneur de Hamilton, James Ryan, il cherche à étaler stratégiquement les manifestations entre mai et juin 1872 avant de terminer par une formidable démonstration de force. Néanmoins, la grève des imprimeurs et les attaques qu’elle suscite de la part de propriétaires de journaux, dont George Brown, obligent James Ryan à agir plus tôt que prévu. Le 15 mai, les « pionniers de la lutte pour les neuf heures » de Hamilton, faisant fi de cette levée de boucliers, mènent un cortège de 1 500 travailleurs, ce qui ressemble fort à une grève générale des ouvriers qualifiés de la ville. La réforme du Code du travail paraît alors à portée de main.

Répercussions

Malgré la dynamique du printemps 1872, le Mouvement pour une journée de travail de neuf heures se solde par un échec relatif. L’hostilité des employeurs et la fin de la période de prospérité vécue après la Confédération sonnent le glas du mouvement. Les divisions sont également fortes au sein du monde ouvrier. Les femmes et les travailleurs non qualifiés sont plutôt maintenus à l’écart. Certains secteurs profitent donc plus que d’autres de cette lutte. (Voir aussi Femmes dans la population active.)

Néanmoins, on ne saurait conclure à un revers total. Les travailleurs montrent que leurs intérêts, leurs institutions représentatives et leur orientation politique correspondent à leurs besoins économiques. La Canadian Labor Protective and Mutual Improvement Association devient l’Union ouvrière canadienne en avril 1873.

Celle-ci devient probablement possible en raison des importantes concessions obtenues par les ouvriers grévistes immédiatement après la dissolution du Mouvement pour une journée de travail de neuf heures de 1872, notamment l’octroi du droit, quoique restreint, de former des syndicats, le retrait des lois répressives, l’adoption de lois offrant davantage de moyens aux travailleurs pour faire valoir leurs droits face aux employeurs et l’extension du droit de vote.

Sir John A. Macdonald, qui est alors premier ministre du Canada, voit avec inquiétude le début d’une lutte des classes dans la naissance des ligues des Neuf heures canadiennes. Il craint une « tendance chartiste » des ouvriers canadiens, en référence au mouvement chartiste britannique du 19e siècle, qui réclame le suffrage universel et entraîne d’innombrables affrontements entre employeurs et travailleurs. Sir John A. Macdonald pense que quelques concessions concrètes, mais circonscrites, au mouvement émergent des travailleurs peuvent asseoir sa relation avec le monde ouvrier pour les décennies à venir. Or, à partir de 1880, les travailleurs canadiens créent d’autres syndicats, organisent davantage de grèves et mettent en place un mouvement s’inspirant des Chevaliers du Travail bien plus ample que ce qui est imaginable entre 1870 et 1875.

Le Mouvement pour une journée de travail de neuf heures est annonciateur des événements qui se produisent à partir de 1880, sorte de transition dans la lutte engagée pour créer des institutions et mobiliser les travailleurs canadiens.