Albert Joseph Noël a servi dans l’Armée canadienne pendant la Deuxième Guerre mondiale. Lisez et écoutez le témoignage d’Albert Joseph Noël ci-dessous.
Prenez note que les sources primaires du Projet Mémoire abordent des témoignages personnels qui reflètent les interprétations de l'orateur. Les témoignages ne reflètent pas nécessairement les opinions du Projet Mémoire ou de Historica Canada.
Transcription
J’ai commencé [enrôlé dans l’Armée canadienne] en 1939. Je suis demeuré ici [au Canada] pendant trois ans. Après trois ans, j’étais assez vieux pour aller outre-mer et j’y ai été déployé. J’étais un opérateur de lance-flammes. Je le transportais sur mon dos [un Lifebuoy (lance-flammes portable de classe 2)], le fusil, le carburant; c’est ce que vous tirez, du feu. C’est ce que j’avais l’habitude de transporter. Vous l’utilisez dans un bâtiment, il brûle, vous ne pouvez pas l’éteindre. Si vous l’utilisez sur des rochers, ils brûlent, c’est très puissant.
Et nous avions une ligne, ils l’appelaient la Ligne gothique [une ligne de défense allemande établie dans le nord de l’Italie que les Alliés ont attaquée entre août et décembre 1944]. Lorsqu’on les repoussait [les Allemands], on traçait une ligne, une ligne rouge qu’on pouvait voir sur une carte. La ligne était tracée là où se trouvaient les Allemands. Chaque fois que nous les repoussions, une nouvelle ligne était tracée. Il fallait garder cette ligne là où elle était. Lorsque la ligne était repoussée, nous savions que nous gagnions du terrain. Il fallait continuer de la repousser. Une fois, nous sommes restés quatre jours sans pouvoir progresser, directement dans la tranchée. Nous avions une tranchée de tir et nous y sommes restés quatre jours avant de pouvoir en sortir. Nous en sommes sortis et avons progressé d’un mille, mais les Allemands nous ont par la suite repoussés d’un mille. Nous avons occupé ce qu’ils appellent une ligne statique. Nous y sommes restés et nous avons maintenu la distance.
Quatre jours plus tard, ils revenaient vers nous avec des chars d’assaut. Lorsque nous les avons entendus, nous en avons informé l’officier. Il a dit : « Restez assis au fond de la tranchée, nous allons ouvrir le feu avec le canon. Il a activé une lignée de canons 60 [pièces d’artillerie]. C’était comme des frappes sur un morceau de tôle, l’armure, on pouvait sentir le sol trembler, comme ça. Il a commencé par l’avant; à peu près ici quand il a commencé. Ils devaient être à 500 ou 600 pieds devant nous quand les bombardements ont commencé. On pouvait ressentir, dans le sol, les vibrations du projectile lancé. Quand nous nous sommes levés le lendemain, il ne restait plus rien sur la colline; nous avons marché 12 milles.
Si le diable est déjà venu sur terre, c’est là. À certains endroits, c’était dur, très dur. Parfois, on se retrouvait nez à nez avec des Allemands. Et il fallait se battre. Il n’y avait nulle part où aller. Vous étiez en première ligne. Le plus loin qu’on pouvait se rendre à partir de la ligne de front était, je dirais, quatre ou cinq milles. Il ne se passe donc pas grand-chose. Vous êtes toujours sur le champ de bataille, mais vous faites des allers-retours et vous restez là-bas ou plus loin, vous savez. On n’est jamais tout le temps en première ligne, on ne se bat pas tout le temps. Mais chaque fois que vous vous rendez à la ligne de front, vous pensez que vous allez mourir. J’ai vu mes compagnons d’armes tomber à mes côtés, comme ça, zap, terminé. Des officiers, peu importe qui, ces obus vont vous atteindre si vous êtes au front, et quand ils explosent, c’est terminé.
Y a-t-il un moment en particulier où vous avez pensé que ce serait votre tour?
Souvent, en fait, chaque fois que j’allais au front, je pensais que c’était peut-être ma dernière journée. Parce qu’il n’y a pas d’endroit où se cacher. Vous vous cachez dans le champ, un champ grand ouvert. Ils sont là, vous êtes couché à plat ventre, mais ils peuvent encore vous voir. Ils peuvent toujours vous tirer dessus.
La tranchée là, vous pouvez vous y cacher et ils ne peuvent pas vous voir. C’est le plus petit qu’on puisse se faire. Et le fil de clôture, le petit carré dans la clôture là, c’est par là que vous passez. Voilà à quel point on peut se faire petit quand on a peur.
L’officier m’a déchargé et m’a retourné. Il a dit que j’en avais fait assez. Il m’a demandé où j’avais commencé. Je lui ai dit. Il a dit : « Vous en avez assez fait, retournez. » Il m’a retourné. Et je suis rentré à la maison.
Certains soldats ont perdu la carte. Ils ont pris leur arme et se sont tiré une balle. J’ai vu certains de mes compagnons se tirer une balle, prendre leur arme, s’asseoir sur leur lit, placer le canon ici et tirer, boum, terminé. C’est ainsi que cela fonctionne dans l’armée. Je connais un autre type qui s’est tiré sur le doigt pour ne pas être déployé outre-mer. Se tirer sur le doigt, celui qui actionne la gâchette.
Vous ne pouvez pas l’oublier. Quand vous dormez, ces images vous hantent, vous les revivez comme si vous étiez encore là. C’est toujours comme ça. Vous vous levez encore en train de rêver. Vous vous levez et vous frappez un mur ou autre chose du poing. Comme la semaine dernière, j’ai frappé un mur du poing, ça m’a fait mal. La semaine précédente, ma main était toute rouge, parce que j’avais frappé le poing contre le mur. Vous ne comprenez pas ce qui se passe. Vous vous réveillez, et vous êtes debout au milieu de la pièce. Vous êtes perdu. Ça ne vous quitte pas comme ça, par magie. Vous restez comme ça.
J’ai gardé un souvenir d’Aldershot [la base principale de l’Armée canadienne en Angleterre]. J’ai dessiné ceci [en montrant son tatouage] lorsque je suis revenu de la guerre. Vous voyez, je ne voulais pas avoir quelque chose qui… Je voulais un souvenir, ramener quelque chose, vous comprenez, significatif pour moi. J’ai eu la chance de rentrer à la maison. J’avais un chapelet. J’avais ce chapelet entre les doigts, mais il est devenu très usé pendant ma mission au champ de bataille.