« Ils ont juste fait pivoter le canon pour l’orienter sur lui et ils étaient prêts à ouvrir le feu quand il a fait son embardée à la proue de notre bateau, est revenu de l’autre côté, a largué sa torpille et le Liberty Ship a explosé. Il n’y a eu aucun survivant. »
Don Wildon Bauerlein a servi dans la marine marchande du Canada pendant la Deuxième Guerre mondiale. Voir ci-dessous son témoignage complet.
Prenez note que les sources primaires du Projet Mémoire abordent des témoignages personnels qui reflètent les interprétations de l'orateur. Les témoignages ne reflètent pas nécessairement les opinions du Projet Mémoire ou de Historica Canada.
Transcription
On avait un chargement de camions de l’armée et d’essence pour les avions. On emportait tout ça à Bandar Shapur en Afrique du Nord. Bizerte (Tunisie) c’était le port dans lequel on allait en Afrique. Mais on est arrivés dans le Golfe persique. On était dans un convoi qui nous a emmené jusqu’à la Méditerranée et juste après être arrivés en Méditerranée, on a eu des avions au dessus de la tête toute la journée, laissant derrière eux des trainées blanches. Mais ils disaient qu’on était bons pour un raid aérien le soir même, de simplement regarder au coucher du soleil. Et on l’a eu. On a appris plus tard que ça devait être un raid d’une cinquantaine d’avions. On a perdu plusieurs bateaux. Celui sur lequel je me trouvais a été sévèrement endommagé par un Liberty Ship américain (vaisseau de la marine marchande américaine) qui se trouvait juste à côté de nous avec 500 soldats et un équipage de 61 personnes. Mais l’avion est arrivé juste à raz de l’eau, et nos artilleurs sur le pont avant – on avait quatre artilleurs de l’artillerie royale britannique pour servir le canon de 125mm sur le pont avant. Et l’avion, ils ont dit qu’il se dirigeait droit sur notre navire, il a juste viré de bord. Ils ont juste fait pivoter le canon pour l’orienter sur lui et ils étaient prêts à ouvrir le feu quand il a fait son embardée à la proue de notre bateau, est revenu de l’autre côté, a largué sa torpille et le Liberty Ship a explosé. Il n’y a eu aucun survivant.
Les 500 soldats, on les a regardés pendant toute la traversée de l’Atlantique et le trajet jusqu’à la Méditerranée. Et tous les jours ils sortaient par l’écoutille, ils jouaient au basket sur l’écoutille et des choses comme ça. Mais chaque nuit au coucher du soleil, ils étaient 500 sur le bateau avec le chargement de munitions et ces camions de l’armée. Mais chaque nuit au coucher du soleil, ils les mettaient en bas là dessous dans les trappes supérieures, je suppose qu’ils avaient des lits et tout ça là en bas. C’était un Liberty ship.
Mais ils venaient juste d’être mis en bas, venaient de descendre, et je suppose que ça n’aurait pas changé grand-chose l’endroit où ils se trouvaient sur le bateau de toute façon, ça aurait fait pareil. Mais non, c’est le genre de souvenir qui vous ne lâche pas.
Mais l’autre chose c’était, quand les corvettes venaient se mettre derrière le pétrolier pour essayer d’attraper le pipeline quand la mer était démontée, trop démontée pour pouvoir le prendre, une grosse vague frappait la corvette, et on ne pouvait pas voir quoi que ce soit, bon, les gars étaient tous en rang en attendant d’attraper le pipeline. Et quand une vague frappait, elle les submergeait, vous ne pouviez même pas les voir. On montait la garde pour voir s’ils allaient être là quand la vague se brisait et ils étaient là, tous là debout, ruisselant d’eau, attendant d’arriver à attraper le pipeline. Mais je pensais, je suis content de ne pas être l’un d’entre eux.
Je sais qu’on était juste au large de, ils appelait ça le « coffin corner » (le coin du cercueil), mais on était juste au large des côtes d’Alger. Bon, vous ne pouviez pas voir la terre, on était encore trop au large je pense. Je ne me souviens plus très bien à quelle distance d’Alger on était mais on disait toujours qu’Alger c’était le coin du cercueil. Bon, les bombardiers sont arrivés pratiquement au moment du coucher du soleil, il faisait encore jour, on les voyait très bien. Plus tard, j’ai entendu dire qu’il y en avait une cinquantaine. Mais ils ont largué des bombes, des bombardiers en piqué, ça donnait des frissons de les regarder larguer leurs bombes. Les bombes tombaient juste entre les colonnes. On avait déjà reformé le convoi. Mais ils les larguaient juste entre les navires. Aucune n’a atterri sur notre bateau mais il y en avait une rangée entre notre bateau et celui de devant. Mais l’avion de la torpille est arrivé à bâbord, en volant au raz de l’eau. Et les artilleurs ont dit qu’ils venaient juste de faire pivoter le canon de 125 pour l’orienter sur lui, et ils tiraient quand il a viré de bord, il est passé de l’autre côté et est revenu du côté opposé, sur bâbord. Il a largué la torpille mais il était tellement bas, le bateau de l’autre côté a dit qu’il n’y avait pas eu d’avion qui était ressorti de ce côté-là de l’explosion. Et ils ont pensé qu’il était tellement bas qu’il est parti avec la torpille et le bateau.
Mais il n’y avait rien, juste une colonne de fumée noire qui montait du Liberty Ship jusque dans le ciel. Il n’y avait aucune trace de lui après l’explosion. C’était seulement une grosse explosion avec une colonne de fumée noire et des vagues qui déferlaient, vous savez, qui vous arrivaient dessus. Le genre qui vous frappe de plein fouet en quelque sorte et ensuite elles se retirent et elles reviennent et vous frappe à nouveau. C’est ce qui se passait dans l’air en tout cas quand j’étais dans le coin. Mais quoi qu’il en soit, je pense que c’est ce qui fait que je suis un peu dur d’oreille. J’ai des bourdonnements d’oreille.
Et je sais qu’un ami qui était à bord des navires norvégiens et il habitait à Trenton. Il a reçu ses médailles, je crois que tous ceux qui ont navigué sur les navires norvégiens ont reçu leurs médailles. Je ne sais pas combien de canadiens ont navigué sur les navires norvégiens en réalité, mais il nous était possible de monter à bord de leurs bateaux mais ça ne fait que quelques années qu’on nous reconnait comme anciens combattants.