Project Mémoire

Kay Ruddick Douglass (source primaire)

Ce témoignage fait partie de l’archive du Projet mémoire

En 2011, le Projet Mémoire s’est entretenu avec Kay Ruddick Douglass, ancienne combattante de la Deuxième Guerre mondiale. L’enregistrement et la transcription qui suivent proviennent de cet entretien. De 1944 à 1946, Kay Ruddick Douglass a servi dans le Corps de la Croix-Rouge canadienne, un groupe de bénévoles exclusivement féminin. Née à Moncton, Nouveau-Brunswick, le 13 décembre 1923, elle s’est enrôlée dans la Croix-Rouge à 21 ans. Officière d’escorte volontaire, elle a servi en Grande-Bretagne et en Europe et a traversé l’Atlantique 15 fois pour amener des épouses de guerre par milliers au Canada. Dans son témoignage, elle décrit son travail au sein de la Croix-Rouge. Elle évoque également les conditions de vie sur les navires de transport et la façon dont elle a été traitée en Europe à titre d’aide-bénévole. Elle est décédée le 16 août 2016 à Hampton, Nouveau-Brunswick.

Prenez note que les sources primaires du Projet Memoire abordent des temoignages personnels qui refletent les interpretations de l'orateur. Les temoignages ne refletent pas necessairement les opinions du Projet Memoire ou de Historica Canada.

Kay Ruddick
Kay Ruddick
En tant qu'accompagnatrice de la Croix Rouge, Kay Riddick (née Douglas) fait partie des 48.000 mariées de guerre qui sont venues depuis l'Angleterre jusqu'au Canada entre janvier et novembre 1946.
Kay Ruddick
Kay Ruddick
Kay Ruddick
Dans les quartiers du Capitaine, à bord du Queen Mary I, en août 1946. Kay Ruddick est la troisième à droite dans la rangée du fond, elle est assise à côté du Capitaine Cyril Illingworth. Le Premier Ministre canadien William Lyon Mackenzie King (c'est le deuxième à droite à être assis) a effectué ce voyage trans-Atlantique avec 1.000 mariées de guerre et 1.000 enfants.
Kay Ruddick

Transcription

Le Corps de la Croix-Rouge a été créé à Moncton au Nouveau-Brunswick et je m’y suis enrôlée dans l’espoir de partir outre-mer, et c’était en 1944-1945. Puis je suis partie à l’étranger en 1946 en tant qu’officière d’escorte pour ramener les 28 000 épouses de guerre que nos soldats canadiens avaient épousées. Elles venaient d’Écosse, d’Irlande, d’Angleterre et de France, mais il y avait très peu d’Italiennes, car lorsque les hommes étaient en Italie, ils se battaient et n’étaient pas dans les salles de danse pour rencontrer les filles. L’armée canadienne a tout organisé et c’était extrêmement bien fait.

Toutes les jeunes mariées, qu’elles vivent à Londres ou non, devaient se rendre à l’auberge Mostyn dans le quartier de Mayfair à Londres et y passer la nuit avant de prendre le train pour se rendre à Liverpool ou à Southampton. C’était très triste de voir les parents descendre en disant au revoir lorsqu’ils montaient sur le bateau avec les bébés dans leurs paniers. Les Néerlandais avaient ces grands et très jolis paniers blancs.

Margie Holder (née van der Mude) et moi, lorsqu’un appel survenait à l’auberge de Mostyn, nous regardions qui allait à Moncton. Nous avons donc regardé autour de nous et j’ai cherché une femme qui m’a dit que son mari avait un ranch à Lakeburn. À Moncton, il n’y a pas de ranchs [rires]. Ce n’était que des maisons datant de l’époque de la guerre. Son mari n’avait pas de ranch à proprement parler. Je veux dire, il lui a menti.

Je suis très sensible à la situation des mariées qui sont venues et qui ont découvert qu’elles se trouvaient au fin fond de nulle part, sans eau courante, sans personne qui parle anglais et tout le reste. C’était de leur faute, elles auraient pu s’en rendre compte si elles avaient voulu.

Mon amie Pat, à qui je rendais visite en Écosse, a épousé Tom. Sa mère a joint le maire de Kirkcaldy pour savoir si Tom Mitchell était bien celui qu’il prétendait être, ce qui était bien sûr le cas. Mais c’était très, très facile de s’en sortir. N’importe qui aurait pu. Deux de mes amies à Moncton ont épousé des officiers canadiens et ont découvert qu’ils étaient déjà mariés : ce n’est donc pas arrivé qu’aux épouses de guerre.

Nous avons eu 1 000 mariées et 1 000 enfants sur le RMS Queen Mary. Nous avons essuyé une terrible tempête au milieu de la nuit, nos cabines étaient sur le pont supérieur et l’eau entrait par les hublots. Ça arrivait souvent sur le SS Lady Rodney ou le SS Lady Nelson et tout d’un coup, on se rendait compte de ce dans quoi on s’était embarqué. Le navire s’est retrouvé hors service. L’eau a atteint le pont et les quartiers du capitaine, et les mariées étaient toutes malades. C’était avant que le Queen ne soit équipé de stabilisateurs et le capitaine nous a dit le lendemain qu’il craignait que l’engin ne s’effondre parce qu’il montait et descendait et qu’il allait de travers et parce qu’il ne pouvait plus commander le bateau.

Le premier ministre canadien William Lyon Mackenzie King était à bord. J’ai une photo de moi dans la cabine du capitaine. En fait, il était assis sur le lit à côté de moi et quelques-uns d’entre nous, mon commandant et moi-même (j’oublie combien d’autres), étaient invités à ce cocktail. Quelqu’un allait prendre une photo et ils l’ont fait descendre du lit et s’asseoir dans une chaise [rires]. On lui avait demandé de faire un discours aux jeunes mariées et il a commencé son discours en disant : « Je suis bien mal placé pour faire un discours aux jeunes mariées, je n’en ai jamais eu moi-même. » Nous avons rencontré un certain nombre de personnes VIP qui se trouvaient sur le navire.

C’était le seul moyen pour les femmes de militaires de se rendre au Canada à l’époque. Qu’il s’agisse des femmes des hauts gradés, de l’armée ou de la marine, par exemple, elles étaient traitées exactement de la même manière que les femmes des soldats. Elles ont certainement bénéficié d’un traitement de qualité.

L’auberge de Mostyn où ils séjournaient à Londres comptait 700 lits et après leur départ pour leurs navires […]. Nous n’étions pas sur les navires en fait, nous travaillions à l’auberge tous les jours. Plus vite nous faisions les lits, plus nous avions de temps libre. Il s’agissait d’un travail bénévole, mais tout était payé. Nous avons logé au 80 Brooke Street, le quartier de Londres, et l’hôtel Savoy se trouvait à deux pâtés de maisons de nous. Nous n’avions pas de dépenses et je peux vous dire que nous, les habitants des Maritimes, lorsque nous avions du temps libre entre les projets, nous sortions et faisions le tour de Londres et nous nous assurions de revenir au 80 Brooke Street pour le dîner parce que c’était gratuit. Nous y retournions par la suite et nous nous assurions de revenir encore une fois. La majorité des filles qui faisaient partie de la Croix-Rouge à Ottawa, à Toronto et dans les grandes villes n’avaient jamais travaillé ni fait de bénévolat de leur vie. Comme Sheila Burkes de la famille Burkes. Certaines d’entre elles allaient à l’hôtel Savoy pour leurs jours de congé. Pour notre part, nous rentrions à la maison, nous avions un dîner gratuit, nous repartions, nous rentrions pour le dîner gratuit…

Lorsque je vois des Anglaises mariées à des Canadiens et qu’elles ont plus de 80 ans, je vais toujours leur parler et leur demander si elles sont des épouses de guerre et sur quel bateau elles sont arrivées. Il est amusant de constater que la seule épouse de guerre avec laquelle je suis encore en contact vit à Ottawa. C’était une Néerlandaise qui est venue frapper à ma porte un jour à Montréal et m’a dit qu’elle avait entendu dire que j’avais besoin d’une femme de ménage. Je venais d’avoir mon quatrième bébé et j’étais tellement contente de la voir.

Une belle partie de ma vie. C’était vraiment génial. J’ai adoré ce moment.