« Vous voyez, ils en font beaucoup pour nous en révélant des qualités parfois profondément enfouies comme la tendresse, l’affection et la compréhension. »
Pour le témoignage complet de Lois Cooper, veuillez consulter en bas.
Prenez note que les sources primaires du Projet Mémoire abordent des témoignages personnels qui reflètent les interprétations de l'orateur. Les témoignages ne reflètent pas nécessairement les opinions du Projet Mémoire ou de Historica Canada.
Transcription
Tout ça ce sont des lettres pour mes parents. Alors celle-ci c’est à peu près la première que j’ai revue. Ça c’est quand on était encore en France. On attendait d’aller en Belgique. Quand on était en France, on ne travaillait pas vraiment. On est restés là-bas environ trois semaines ou quelque chose comme ça, dans de grandes tentes. Est-ce que vous avez déjà habité avec 40 autres femmes dans une tente? [rires] Je disais, on a roulé pendant des km, passé Bayeux in France, Tilly, Caen, Carpiquet, Charenton, Bologne, Saint-Lô et Cherbourg, on est allés là-bas. En route, on est passés par beaucoup d’autres villes. Le jour où on est allés à Cherbourg, c’est le jour où on a appris que Paris avait été libéré. Ça se voyait que Paris était vraiment le cœur de la France. Les gens semblaient à nouveau avoir le moral.
Ils souriaient et faisaient des signes de la main avec une énergie et un entrain retrouvés. La nouvelle circulait partout. Les rues étaient pleines de drapeaux et de bannières. En passant par les villes et les villages ravagés, ça nous a fait plaisir de voir la réaction des gens. Ici et là on voyait des prisonniers allemands, ils avaient l’air misérables et abattus, solennels aussi. Des foules chantaient “La Marseillaise” [hymne national français]; tout le monde était conscient de la grande vague de jubilation qui traversait le pays. Donc ça c’était dans une lettre.
Et en voici une autre. C’était ici à Bruges, le 27 septembre 1944, l’Hôpital général canadien n°12 est arrivé et s’est installé et ils se sont rapidement rendus compte qu’on était un poste d’évacuation sanitaire plutôt qu’un hôpital général. Les patients affluaient directement des champs de bataille. Nos premiers patients venaient du canal Léopold puis de l’estuaire de l’Escaut. Il y avait des batailles aux deux endroits. Notre hôpital avait 1200 lits mais on a rapidement été débordés et il y avait des lits de camp dans les couloirs. Tout le monde faisait des journées de 12 heures, sept jours par semaine.
On a travaillé à ce rythme exigeant pendant des semaines. Tout le monde continuait [à faire son travail]. L’infirmière en chef a demandé que l’une de nous du groupe de la Croix Rouge l’aide dans la salle d’opération pour faire du travail administratif. On leur a envoyé Mary et on s’attendait à la voir revenir d’une semaine à l’autre mais ils ont tellement apprécié sa présence qu’elle est restée là-bas jusqu’à la fin de la guerre. Donc, inutile de vous dire que Sheila, Laura et moi on a dû faire le travail de quatre personnes.
Vous voyez, la vie continuait comme d’habitude. Là, c’est le 13 novembre. Comme je le disais, on était encore un poste d’évacuation sanitaire et les blessés arrivaient directement des champs de bataille à notre hôpital, couverts de boue et de sang séchés. Des convois continuaient à arriver avec les blessés. On restait postés aux admissions comme ça quand un nouveau groupe arrivait il y avait quelqu’un là-bas pour les accueillir, nuit et jour, et leur offrir ce qu’on pouvait récupérer de bon. D’autres groupes partaient, soit pour retourner dans des hôpitaux en Angleterre, soit -s’ils étaient guéris - pour retourner au régiment. Certains des hommes étaient terriblement blessés et restaient dans une section à part. C’était triste de les voir aussi gravement blessés. Ils étaient d’habitude renvoyés en Angleterre dès qu’ils avaient assez de force pour pouvoir voyager.
Et là, ce sont les Ardennes, la bataille des Ardennes. C’était en septembre 1944. Adolf Hitler avait décidé de mener une grande attaque offensive dans la forêt des Ardennes. Trois mois plus tard, le 16 décembre, l’attaque a été lancée avec 20 divisions allemandes, comprenant sept unités de Panzer chenillés [Panzerkampfwagen IV] contre quatre divisions américaines. Les unités américaines étaient terriblement dépassées en nombre et étaient inégalement [équipées]pour faire face aux chars allemands [Panzerkampfwagen VI Ausführung H] Tiger sans le soutien de leur propres unités blindées. Les troupes américaines ont résisté de leur mieux et ont subi beaucoup de pertes. En tout cas, il semble que les Alliés ont été totalement pris par surprise et choqués malgré les renseignements et la reconnaissance aérienne supérieurs dont ils disposaient. Ils étaient complètement passés à côté de l’énorme accumulation d’hommes et d’armes qui se préparait pour les attaquer. C’était contraire à toute logique militaire pour l’Allemagne de lancer cette énorme opération dans une forêt épaisse en plein coeur de l’hiver. Les Alliés ne s’étaient pas rendus compte qu’Hitler avait imposé cette opération mal pensée à ses généraux et agit à l’encontre de leur jugement basé sur l’expérience.
Il y a une chose drôle dont je parlais à ma fille il y a quelques minutes, ce sont les douches. C’était d’abord en Belgique, je pense. En France et en Belgique on vivait dans d’énormes tentes. On avait la possibilité de se doucher, c’était comme une espèce de buanderie pour les forces armées, celles qui étaient dans les tentes sur le terrain. On pouvait y aller tous les deux soirs par camion, on était toujours à l’arrière du camion. On allait à un endroit où ils avaient deux tentes accolées, des tentes énormes, vous voyez. On roulait de l’une à l’autre, elles étaient directement l’une à côté de l’autre. Une tente servait de vestiaire et l’autre était pour les douches. Alors vous vous imaginez que nous étions environ 40 là-dedans au même moment. Donc vous aviez 40 femmes toutes nues allant d’un bout de la tente vers l’autre, celle où il y avait les douches et les douches c’étaient des tuyaux fixés au plafond à 2 pieds [61 cm] de distance, en avant et en arrière. Alors ils les mettaient en marche et on espérait que ce serait à la bonne température. Tout le monde avait son savon, mais la tente était montée sur un sol qui était plutôt en pente, elle avait été plantée sur un terrain qui n’était pas plat. Donc inutile de vous dire que si vous laissiez tomber votre savon vous ne le retrouviez plus. [Rires] En tout cas, vous voyez, il y avait des choses amusantes comme ça.
Tous les patients nous racontaient les choses les plus étranges et des histories à nous faire dresser les cheveux sur la tête sur leurs vies et leurs amours, certaines véridiques mais très souvent, embellies par un supplément de détails. Ça nous donnait une perspective plus vaste sur la vie et on se rendait compte que tout le monde avait des problèmes, plus importants que les petits soucis qui nous préoccupaient peut-être au même moment. Sans la possibilité de rire de presque tout et en acquérant une nouvelle philosophie de la vie. Ça c’est Sheila, c’était une de mes meilleures compagnes à la Croix-Rouge. Comme Sheila le disait si justement, pourquoi s’en faire, dans 10 ans cela n’aura plus aucune importance. On donnait des conseils à ceux qui étaient malheureux en amour, on offrait notre sympathie à ceux dont les fiancées restées au pays s’étaient mariées avec un zombie. (On appelait zombies ceux qui n’avaient pas voulu s’enrôler). On leur disait d’être patient, même s’ils ne recevaient pas de courrier, parce qu’on était absolument sûres que leurs proches leur écrivaient fidèlement. Parfois, on leur écrivait même des lettres nous-mêmes et on les mettait dans le courrier du service pour qu’ils reçoivent quelque chose au moment de la distribution du courrier.
Donc, vous voyez, ils nous ont beaucoup apporté, ils ont révélé des qualités qui pouvaient être enfouies en nous : la tendresse, l’amour et la compréhension et cela nous a permis de nous rendre compte de la profonde joie que peut apporter l’attention aux autres et que vraiment on se sent plus heureux en donnant qu’en recevant.