« Ils ont frappé en plein dans la chapelle de la caserne Wellington et presque tout le monde a été tué. Je crois que les musiciens ont été tués et bien sûr, si je n’avais pas désobéi aux ordres, j’aurais été là. »
Pour le témoignage complet de Mme Davies, veuillez consulter en bas.
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Transcription
J’ai été sélectionnée pour le morse. Les petits points que j’avais, les petits bruits que j’avais entendus c’était, évidemment, c’était du morse. Je ne savais pas. Ils ont dit, vous allez faire du morse et, bien sûr, je suis le genre de personne qui ne se laisse jamais faire et qui se bagarre pour tout. Je ne veux pas faire ça, je ne peux pas faire ça… (Elle fait des bruits). Vous allez le faire, vous allez passer le test, vous allez faire quelque chose, vous y allez. C’est comme ça que j’y suis allée.
Et vous savez, ils avaient raison. J’ai adoré ça. C’était comme d’apprendre une autre langue. On m’a envoyée à Londres où j’étais logée dans une magnifique maison ancienne. Toutes les maisons anciennes là-bas avaient été vidées et leurs meubles avaient été enlevés. Et là-bas on allait au ministère de la Guerre pour faire notre travail. Je n’étais jamais allée à Londres. Je veux dire, j’étais un peu, je n’étais jamais sortie des Midlands en fait. J’étais complètement époustouflée par tout ça ; aller à Londres c’était comme aller au paradis. J’ai passé mon test et je l’ai réussi ; et j’ai commencé à travailler au ministère de la Guerre.
On travaillait en équipe ; et de nuit et au milieu de la journée et quelquefois on faisait le double, ce qui était épuisant. Et tout le monde fumait, comme des pompiers, pour rester réveillé. Ils disaient toujours, allez viens, Heppenstall, une petite cigarette, ça va t’aider à rester réveillée ; et je ne le faisais pas, je ne le fais toujours pas. La plupart des filles ont commencé à fumer là-bas pour rester réveillées, mais pas moi. Mais en tout cas, voilà.
Il y avait des bombardements tout le temps quand on était à Londres. C’était très dangereux et on habitait à Queen Anne’s Gate. Ils nous changeaient tout le temps. Quand ils pensaient que les bombardements faisaient rage, ils nous déplaçaient à un autre endroit, que des grandes maisons. Mais je me suis retrouvée finalement à Queen Anne’s Gate qui était à dix, quinze minutes à pied du ministère de la Guerre. Et, bien sûr, quand vous étiez de nuit, il y avait les bombardements qui commençaient et c’était vraiment très… Même si je n’en pensais rien à l’époque, c’était amusant en quelque sorte. Vous entendiez les bombes arriver. Elle arrivait, on l’entendait venir, et puis c’était le silence complet, vous attendiez une minute à peu près, et c’est à ce moment là que la bombe tombait. Il valait mieux ne pas se trouver en dessous, alors on courait. On se jetait à l’abri d’un porche sur les marches et on courait comme des dératés, et on allait jusqu’à la suivante avec nos masques à gaz et nos casques, et on arrivait au ministère. Et une fois qu’on était à l’intérieur, on s’enfonçait dans les profondeurs et on était hors de danger.
Je trouvais ça excitant de sortir de mon logement et vous savez, ces bruits qu’il y avait et, bien sûr, ce que les bombardiers faisaient. Les bombardiers essayaient d’aller jusqu’aux docks, pour les mettre hors d’état. Mais, évidemment, ils passaient au dessus de Londres et voilà ça y était. Mais, bien sûr, une des grandes attractions c’était les billets gratuits. Quand on avait quartier libre, on filait, je veux dire, si on était de nuit, on devait dormir un peu, oh, on ne dormait pas beaucoup, on filait au kiosque de Trafalgar Square où ils avaient des billets pour tous les opéras, ballets, spectacles. Et on les avait gratuitement. Et, bien sûr, tout le monde se ruait pour avoir ces billets et pour la première fois de ma vie, j’ai vu un ballet, et je suis allée à l’opéra voir La Bohème. J’étais abasourdie ; j’étais aux anges avec tout ça.
Et puis l’armée est arrivée, l’armée américaine, plus tard, l’armée américaine nous a rejoints comme vous le savez sûrement, et alors qu’on sortait de notre service ce matin-là, on est arrivées au grand jour, en clignant des yeux après le travail de nuit, et on pouvait entendre au loin une fanfare militaire. Bon, on en avait l’habitude, mais cette fanfare-là jouait du Glenn Miller. (Elle fredonne) « String of Pearls ». En tout cas, une fanfare qui joue du Glenn Miller ? Et, bien sûr, quand ils sont apparus, ce furent les premiers soldats américains à arriver.
Mais ils ne faisaient aucun bruit, on ne les entendait pas à part la fanfare. Parce que quand on entendait les soldats britanniques marcher au pas, vous entendiez le bruit sourd de leurs souliers cloutés. Silencieux. Et, bien sûr, l’unité, quand ils sont arrivés là où on pouvait les voir, on a compris qu’ils étaient américains. Et les premiers soldats américains sont arrivés en marchant, au son de Glenn Miller.
Mais une des choses excitantes qui s’est passée, je vous ai dit que c’était excitant sur le moment, et j’étais très désobéissante. Je suis partie après mon service. C’était un dimanche, j’avais travaillé toute la nuit, et le samedi est passé et j’avais fini et j’étais terriblement fatiguée, j’avais eu une nuit très mouvementée. Je suis arrivée dans mon logement à Queen Anne’s Gate ; et j’ai regardé les ordres du jour, et moi, oh j’ai eu un choc. J’étais inscrite pour le défilé de l’église, qui avait lieu à 11 heures et il était 8 ou 9 heures. Et j’ai pensé, je ne peux pas y aller, après la nuit que j’ai passée. Mais vous savez, ça n’avait pas d’importance. Si votre nom était sur la liste, vous y alliez. Alors j’ai pensé, d’accord, je vais désobéir aux ordres. Je ne vais pas aller à l’église. Je n’irai pas à l’église. Je sais que je vais recevoir une punition. Je vais passer en conseil disciplinaire et je vais être punie, mais ça vaut le coup. Je voulais juste aller dormir. Alors j’ai désobéi aux ordres et je suis partie me coucher.
Oh, ciel, ciel, ciel. Généralement ce que vous récoltiez quand on vous passait en conseil de discipline c’était du travail dans les cuisines à éplucher les pommes de terre ou du travail pénible comme récurer le plancher de l’officier ou quelque chose comme ça. Et je me suis dis, oh j’aimerais mieux faire ça que d’aller à l’église. En tout cas, à peu près deux heures plus tard, j’ai été brusquement réveillée par le bang le plus intense que j’ai jamais entendu, expulsée de mon lit sur le sol avec du verre qui tombait à l’intérieur. C’était la bombe qui est venue bombarder la caserne Wellington. Et ils ont eue, en plein dans le mille. Ils ont frappé en plein dans la chapelle de la caserne Wellington et presque tout le monde a été tué. Je crois que les musiciens ont été tués et bien sûr, si je n’avais pas désobéi aux ordres, j’aurais été là. J’aurais peut-être survécu, ou peut-être pas, mais de nombreuses filles du téléscripteur ne s’en sont pas sorties. L’équipe du téléscripteur y est allée et je n’étais pas là. Ça a été une terrible, terrible boucherie à la caserne Wellington. C’est à environ dix minutes à pied de Queen Anne’s Gate. Alors il y a eu de nombreuses équipes manquantes et tout ça. Mais c’était une chose épouvantable ce qui était arrivé.
Mais c’est là que j’ai commencé à réaliser que la guerre ce n’était pas toujours amusant. Je ne crois pas que j’imaginais me battre pour mon pays. Je voulais juste partir de la maison. Mais bien sûr, j’ai compris que c’était plus que ça et, je, bon, je ne comprends pas comment il se fait qu’on ne puisse pas arriver à faire la paix. Je ferais n’importe quoi pour apporter la paix dans le monde et amener les gens à parler au lieu de se battre. C’est que ça m’a fait à moi. Ça a changé ma vie. Ça a changé, changé ma manière de faire parce que j’avais vécu et j’avais grandi. Et pour beaucoup, et c’est une drôle de chose de dire ça, je dois remercier la guerre de m’avoir fait grandir et faire de moi une personne équilibrée. J’arrive à voir les problèmes des gens maintenant. Je comprends ce qu’est la cruauté. La chose que je déteste le plus c’est la cruauté et la guerre ce n’est que ça, de la cruauté.