Épiphanie du temps de la guerre
Armé de confiance, de bravoure et de patriotisme, comme tous ses jeunes camarades de l’époque, Farley Mowat est parti pour la guerre en 1942. Deux ans plus tard, il était un homme changé, toujours loyal envers l’honneur de son régiment, mais l’esprit totalement brisé par ce qu’il avait vu.
« La Deuxième Guerre mondiale a été le plus important événement de mon existence », a-t-il dit en 2005, à l’âge de 84 ans. « Un tournant dans ma vie, qui a clarifié des choses que je n’aurais peut-être jamais comprises. »
« J’ai vu ma propre espèce se conduire d’une façon qu’aucune autre créature vivante ne pourrait reproduire. J’ai alors considéré l’idée que nous n’étions peut-être pas la forme de vie la plus évoluée sur Terre, le travail absolu de Dieu, mais peut-être un genre de blague cosmique, plutôt diabolique. »
Mowat est revenu de la guerre non pas en célébrant la victoire des Alliés, mais en cherchant plutôt une façon de fuir une société moderne qui n’était pour lui dorénavant qu’un symbole de mort et de honte. Ses recherches l’ont mené d’abord chez les Inuit de l’Arctique intérieur, dans les petits villages de pêcheurs isolés du Canada atlantique, chez ceux qui vivent et survivent près de la nature; par la suite dans le monde naturel lui-même.
Les livres qui l’ont rendu célèbre, Lost in the Barrens (trad. Perdus dans le Grand Nord), Coppermine Journey et Never Cry Wolf (trad. Mes amis les loups), par exemple, n’auraient selon lui pas pu être écrits sans son épiphanie du temps de guerre et son nouveau pessimisme envers l’humanité.
Soixante ans plus tard, il n’a pas changé d’avis.
« Je n’ai pas beaucoup de considération pour ma propre espèce. Je crois que nous pourrions disparaître de la surface de la planète sans que ça change quoi que ce soit. En fait, j’ai des raisons de croire que ce serait une bonne chose. Ainsi, les autres formes de vie auraient de meilleures chances. »
Au combat en Italie
Fils d’un ancien combattant de la Première Guerre mondiale, Farley Mowat a grandi sur les rives du lac Ontario. Il voulait rallier les rangs de l’Air Force en 1940, mais a été refusé à cause de sa petite taille. À la place, il s’est retrouvé au Hastings and Prince Edward Regiment posté à Picton, en Ontario et ancienne compagnie de son père. Il est devenu lieutenant, a été envoyé en Angleterre en 1942, puis a rejoint la première division de l’infanterie canadienne l’année suivante, au sein de laquelle il a dirigé un peloton de soldats sur une plage prise sous le feu de l’ennemi lors de l’Opération Husky, pendant l’invasion de la Sicile. (Voir La campagne d’Italie.)
La campagne sicilienne fut une expérience à la fois euphorisante et épuisante selon Mowat. « Par contre, l’horreur dans laquelle nous avons été plongés s’est rapidement installée en nous [...] Le temps qui s’est écoulé jusqu’à la libération de la Sicile fut pour nous une période sanglante qui marqua la fin de notre innocence. »
Mowat a passé plusieurs mois au combat, avançant lentement avec le reste des Canadiens vers le nord à travers l’Italie. Son livre, And No Birds Sang, publié en 1979, donne une description de la violence du front italien : « un monde d’ombres, de ténèbres et de violence fruste […] un paysage anéanti et désolé dont les habitants se blottissaient les uns contre les autres abasourdis, comme des bêtes dans les tranchées de tir inondées ou les ruines béantes des immeubles […] des petits groupes de mulets et d’hommes chargés de provisions s’éparpillaient le long des chemins qui ressemblaient à des rivières en crue. Dans cette désolation, les silhouettes minuscules et indistinctes d’hommes et de mulets étaient plongées à demi noyées dans les fossés tandis que de nouvelles tempêtes d’obus s’abattaient sur eux. »
Même en quittant le front, il était impossible d’échapper à la violence. Le train de Mowat, serpentant le long de la côte Méditerranéenne en direction d’une aire de repos dans l’ouest de l’Italie, fut pris sous le feu d’un U-boot (sous-marin allemand) se trouvant à la surface de la mer.
En janvier 1944, de tous ceux qui étaient débarqués avec lui lors de la vague d’assaut de la Sicile, Mowat était le seul officier survivant.
Son père, dont certains amis avaient volontairement couru vers les balles ennemies au cours de la Première Guerre mondiale pour échapper à la folie qui les entourait, connaissait bien les émotions vécues par son fils et l’encourageait, par le biais de lettres envoyées en Italie, à ne pas baisser les bras.
Mowat lui-même croit qu’il était près de l’épuisement. Il considère qu’au début de l’année 1944, il a eu la vie sauve parce qu’il a été transféré, à titre d’officier, des troupes de combat au poste de commandement de sa brigade, situé en arrière du champ de bataille. Heureusement, il n’est plus retourné au feu, puisqu’il a servi, en Italie et en Hollande, au sein des postes de commandement.
Les chiens de guerre
Aujourd’hui, les opinions de Mowat sur le Souvenir sont à la fois intransigeantes et controversées : il évite ce qu’il appelle la glorification de la guerre célébrée le jour du Souvenir et lors de divers anniversaires militaires. Il affirme que les médias ont élevé la guerre au rang de l’héroïsme et du prestige.
Il a également dit qu’il ne se sentirait victime d’aucune négligence si personne ne devait se souvenir de son expérience particulière de la guerre. « Je m’en suis sorti vivant, c’est une récompense suffisante. » L’important, dit-il, c’est de se souvenir de « l’abomination de la guerre ».
Rigide et austère, Mowat exprime ses sentiments dans une lettre envoyée de l’Italie à ses parents pour leur demander de transmettre un message à Elmer, le bien-aimé cabot de la famille.
« Dites-lui de ma part que les chiens de guerre ne sont pas ce qu’ils prétendent être. »