Orgue - Composition
Canadienne-française
Les oeuvres pour orgue écrites au Québec à la fin du XIXe siècle et pendant la première moitié du XXe siècle furent principalement destinées à l'usage liturgique. Des exemples significatifs en sont Dix petits morceaux pour l'orgue op. 3 et Six pièces d'orgue de R.-O. Pelletier, Prélude grave, Offertoire et Toccata d'Arthur Letondal, et des oeuvres identiques de Gustave Gagnon, Alphonse Lavallée-Smith, J.-Arthur Bernier, Joseph et Zénon Paquin, Omer Létourneau, Benoît Poirier et Léon Ringuet. Les oeuvres de ces compositeurs sont directement tributaires de la tradition française de Guilmant, Franck, Vierne et Widor. La Suite de quatre pièces pour grand orgue d'Amédée Tremblay, dont la Toccata finale fait l'objet d'une constante popularité, est une oeuvre particulièrement réussie dans ce genre. Aussi dignes de mention sont Esquisse et Prière en ut majeur de Conrad Bernier, Triptyque marial d'Alfred Tardif et Rhapsodie sur quatre noëls ainsi qu' Introduction et Fugue sur l'Ite Missa est alléluiatique de Bernard Piché. Claude Champagne, Auguste Descarries et Georges-Émile Tanguay ont également signé quelques oeuvres de valeur, et les compositions de Conrad Letendre ont aussi suscité une admiration de bon aloi et ont été interprétées par ses disciples.
Le répertoire des dernières décennies du XXe siècle a été enrichi de façon substantielle par Raymond Daveluy dont les quatre Sonates et le Concerto avec grand orchestre révèlent une connaissance approfondie de l'instrument et de la composition contrapuntique. Bien que son style soit nettement dérivé de l'école française, sa grande rigueur rappelle Reger ou Hindemith.
D'autres oeuvres contemporaines dignes de mention sont la Suite de Pâques de Roger Matton, Cinq variations sur un thème grégorien (Salve Regina) d'André Prévost, Alleluia en trois parties et Prière de François Morel, Pastorale et Suite de Maurice Dela, Fantasia d'Otto Joachim, Arcane de Réjean Poirier et Les Communiantes de Claude Vivier. Par leurs mariages de timbres et leurs sonorités inattendues, ces oeuvres sont authentiquement modernes de conception, mais dénotent encore l'influence des maîtres français, cette fois de la génération plus récente : Marcel Dupré et Olivier Messiaen. Au rang des compositeurs qui ont contribué de façon significative au répertoire pour orgue seulement, on retrouve en outre Raynald Arseneault, Claude Frenette, Marc Gagné, Alain Gagnon, Jacques Hétu, Rachel Laurin, Jean Le Buis et Denis Lorrain.
Canadienne-anglaise
D'après les oeuvres publiées, la musique d'orgue au Canada anglais possède une histoire brève et qui se confine au XXe siècle Plusieurs compositions importantes sont demeurées à l'état de manuscrits, tandis qu'un grand nombre d'oeuvres de valeur moindre ont, sans gêne aucune, trouvé le moyen d'être imprimées. Le fait demeure que les publications canadiennes consistèrent d'abord en des oeuvres convenant à l'usage liturgique, alors que des oeuvres pour le concert n'ont eu que peu de chance de trouver un éditeur.
Très peu d'oeuvres de Canadiens du XIXe siècle sont parvenues jusqu'à nous - parmi elles deux Preludes and Fugues de J.E.P. Aldous, une Concert Overture de J. Humfrey Anger, un Prelude and Fugue, oeuvre de jeunesse de W.O. Forsyth, trois pièces de Charles A.E. Harriss (G. Schirmer 1890) et un Grand choeur en ré de William Reed. On peut supposer que parmi les excellents organistes ayant reçu leur formation au Canada ou qui s'y établirent dans leur maturité, certains écrivirent des oeuvres pour leur propre usage, lesquelles demeurèrent inédites et ont été perdues. Vu le peu d'exemples mis à jour, il est donc possible d'affirmer que le répertoire d'orgue au Canada anglais prit naissance avec l'arrivée de Healey Willan dans les années 1900. Willan apporta avec lui quelques oeuvres de jeunesse déjà publiées, auxquelles il ajouta en 1916 la célèbre Introduction, passacaille et fugue qui lui valut une réputation enviable parmi les organistes de concert. La distinction immédiate acquise par Willan parmi les compositeurs de musique d'orgue canadiens-anglais de l'époque entraîna en fin de compte une certaine complaisance. Le contexte favorisait inévitablement la production en masse de musique basée sur les mélodies d'hymnes ainsi que des préludes et fugues à la mode pour usage local qui, à leur tour, trouvèrent des imitateurs beaucoup moins doués que Willan lui-même. Il est agréable, cependant, de signaler des exemples isolés d'oeuvres inspirées d'hymnes comme le Prelude on a 2nd Mode Melody of Tallis (Novello) de Florence Durrell Clark, ou le Prelude on « The King's Majesty » (n 1) de Graham George, où le compositeur a saisi une part de l'inspiration de l'original.
Pour trouver de la musique originale, il faut s'éloigner du cadre de l'église et se tourner vers le campus universitaire, où le compositeur écrivait soit pour des élèves talentueux, soit pour des collègues professionnels. Mentionnons la Sonatine de Violet Archer, Petite Suite de Gerald Bales, Improvisations on B-A-C-H de Lorne Betts et Suites et diverses petites pièces de William France. Des contributions plus modestes furent apportées par Hugh Bancroft, Frederick Karam, Kenneth Meek et sir Ernest MacMillan. D'autres compositeurs produisirent des oeuvres d'une plus grande envergure et d'une technique de composition plus avancée. Keith Bissell est l'auteur d'une Sonate (1963), une oeuvre atonale très substantielle dont les trois mouvements s'élaborent organiquement à partir d'un thème initial de quartes ascendantes soumises à de riches transformations dans le mouvement central élégiaque et devenant d'une légèreté aérienne dans le Vivace animé. Talivaldis Kenins est représenté par sa Suite en ré, la Sinfonia Notturna et l' Introduction, passacaille et toccate. Kenins se distingue par sa capacité de maintenir un élan rythmique du début à la fin d'un mouvement élaboré, et son écriture est remarquable par la diversité de sa texture. Gerhard Wuensch est un autre compositeur à l'aise dans des oeuvres de grande envergure. Sa Toccata nuptialis est une oeuvre de virtuosité tant du point de vue de sa conception que de ce qu'elle exige de l'interprète. L'aptitude du compositeur à penser en termes contrapuntiques quand il écrit des fugues est magistrale, un don que partage Graham George jusqu'à un certain point dans plusieurs de ses compositions. La contribution de Walter Buczynski mérite d'être soulignée, en particulier son Psalm for Organ, une oeuvre de longue durée d'une grande ingéniosité structurelle et très expressive.
Deux des compositeurs pour orgue les plus prolifiques des années 1970 - Barrie Cabena et Derek Healey - ont démontré une connaissance approfondie de l'instrument et une oreille sensible à ses couleurs et à ses registres. L'intérêt qu'ils portent à l'instrument néoclassique se manifeste par leurs registrations détaillées bien que des deux, Healey soit le plus naturellement romantique. Cabena est surtout connu par ses 10 portraits pour orgue intitulés Cabena's Homage, oeuvre commandée en 1967 par le CRCO. Chaque pièce porte le nom d'un organiste canadien de renom et dépeint son sujet de façon experte et humoristique, bien que les sous-entendus ne puissent être saisis que des familiers. La maîtrise technique de Cabena et son sens de la forme sont mis en valeur dans Sonata da Chiesa dont chaque mouvement est basé sur un choral. Trois autres oeuvres, Sonata Festiva, Sonata IX et Sonata for Manuals démontrent la prédilection du compositeur pour les formes baroques.
Derek Healey est un compositeur prolifique doué d'un esprit curieux et aventureux. Sa série de six Voluntaries, composés entre 1956 et 1962, montre son intérêt pour l'écriture néoclassique bien que le n 5 de la série (sous-titré « To Montserrat Torrens : Barcelona ») révèle un fort penchant romantique. Partita '65 affirme un don mélodique et un talent pour la caricature. Dans certaines oeuvres plus brèves, il a été influencé par les tableaux visionnaires de Stanley Spencer, notamment dans deux des Three Quiet Pieces, tandis que le reste de la composition s'inspire d'une chanson indienne ojibwa. Parmi ses oeuvres plus récentes, Variants op. 23 est caractérisée par une pensée pleine d'humour, des harmonies piquantes et un rythme pulsatoire. Festus op. 33 est une expérience audacieuse de mosaïque musicale, tandis que Paraphrase : « Discendi, Amor Santo » op. 28B illustre son style le plus avancé de composition à douze sons. Deux autres oeuvres, The Lost Traveller's Dream et Summer '73 op. 44 poussent l'expérimentation encore plus avant dans le domaine de la sonorité d'orgue - cette dernière oeuvre étant écrite pour orgue et bande magnétique.
En explorant plus à fond le domaine peu exploité de la composition avant-gardiste pour orgue, on découvre un certain nombre d'oeuvres de compositeurs qui écrivent habituellement pour d'autres formes d'expression musicale. Dans chaque cas, la fraîcheur d'approche de cet instrument comme ressource de musique abstraite donne lieu à des oeuvres fascinantes et provocatrices. Signalons les remarquables Three Pieces (1973) de Clifford Ford, Erro (1974) de John Fodi et Sonic Landscape n 4 (1977) de Barry Truax, dont les parties d'orgue et les parties de bande magnétique furent créées par ordinateur. Le compositeur Bengt Hambraeus a apporté une importante contribution, tant en quantité qu'en qualité. Il a produit des oeuvres aussi variées que la colossale fresque Icons (1975) pour grand instrument (dont cloches et célesta!) et l'intime Shogaku aux délicates sonorités du « sho » chinois. Particulièrement digne de mention est son Livre d'orgue en quatre volumes écrit en 1981 pour l'excellent orgue français de facture classique construit par Hellmuth Wolff pour le Redpath Hall de l'Université McGill. Bien que conforme aux nombreux exemples de suites de morceaux de styles variés du XVIIe et du XVIIIe ;siècle, sa musique est résolument fin du XXe ;siècle et abonde en textures et en sonorités heureuses. Ce livre est en outre conçu comme instrument d'apprentissage progressif pour les étudiants désireux d'explorer de nouvelles techniques d'orgue. Les Six Études pour orgue de Bruce Mather offrent des défis passionnants, à la fois pour qui les joue et pour qui les écoute, et laissent voir l'imagination colorée du compositeur. Même si peu d'oeuvres pour orgue et orchestre ont été produites par des Canadiens anglais (dû à la triste réalité que, pendant longtemps, les orgues ont fait défaut dans les principales salles de concert au pays), il en existe tout de même plusieurs dignes de mention. Parmi les compositions de fraîche date, mentionnons la Rhapsody pour orgue et petit orchestre de Gerald Bales, la Symphonie n 8 de Kenins et le splendide Snow Walker de Michael Colgrass, pièce imposée au premier Calgary International Organ Festival (1990).