Peinture : les débuts
C'est dans les enluminures des cartes géographiques (« Mappemonde » de Pierre Descelliers) et dans celles des atlas (« Atlas » de Vallard ou de Guillaume Le Testu) du milieu du XVIe siècle que l'on trouve les premières représentations du territoire canadien, de ses habitants, de sa faune et de sa flore. Certes, ces documents sont produits en Europe par des artistes qui ne sont jamais venus au Canada et qui tentent d'illustrer, en s'inspirant de la tradition européenne, les récits de voyage. D'où les pygmées et les licornes qui paraissent dans la Mappemonde de 1550 de Descelliers. Par contre, il arrive que les embarcations indiennes soient aussi représentées, en face des côtes de Terre-Neuve, pour une chasse à la baleine.
Les récits de voyage eux-mêmes ne sont pas sans fantaisie. La vue de Hochelaga du Delle navigationi et viaggi (1550 - 1559) de Giovanni Battista Ramusio ressemble plus à une ville utopique de la Renaissance qu'à un village iroquois. Les illustrations des livres de CHAMPLAIN sont plus convainquantes, comme par exemple sa représentation d'une femme huronne pilant le maïs au mortier ou sa représentation d'une chasse au cerf.
Mais le document le plus extraordinaire de la période est sans contredit l'Histoire naturelle des Indes Occidentales (c. 1675) par le jésuite Louis Nicolas. Certes ses dessins de la faune tant terrestre, que marine et aérienne s'inspirent de près des gravures de l'Historia aninalium du grand naturaliste suisse, Konrad Gesner, comme ses portraits d'Indiens sont inspirés des gravures de l'Historia canadensis, seu Novae Franciae... d'un autre jésuite, le père François du Creux. Mais la richesse des notations du texte, la naïveté du dessin, l'abondance des observations tant ethnographiques que botaniques et zoologiques en font un document remarquable.
Les gravures des Moeurs des sauvages amériquains comparées aux moeurs des premiers temps (1724) par le père Joseph-François LAFITAU, bien que souvent inspirées des gravures de Théodore de Bry, manifestent une connaissance peu commune des usages iroquois. On pourrait en dire autant de l'Histoire de la Nouvelle-France (1744) du jésuite Pierre-François-Xavier de CHARLEVOIX, qui fait inclure dans son ouvrage plusieurs planches consacrées à la flore du Canada.
Alors que ces premières images du Canada paraissent en France et plus généralement en Europe, les colons français font venir au Canada des gravures et des tableaux pour répondre à leurs besoins d'images. On va même jusqu'à faire venir un peintre important, Claude Lefrançois, dit le frère LUC, qui durant les 16 mois qu'il passe en Nouvelle France a peint plusieurs tableaux pour les communautés religieuses de Québec (L'Assomption, 1671 pour l'Hôpital Général de Québec) et pour les paroisses des alentours. On lui doit aussi un Portrait de Monseigneur Laval, 1671-1672. Les missionnaires catholiques utilisent les unes et les autres dans leur entreprise de conversion des Indiens, comme le rappelle le grand tableau, La France apportant la foi aux Indiens de la Nouvelle-France (vers 1666, Couvent des Ursulines, Québec), où la France est personnifiée sous les traits d'Anne d'Autriche. Nous savons que quelques missionnaires se sont adonnés eux-mêmes à la peinture, comme les pères Jean Pierron et Claude CHAUCHETIÈRE. Malheureusement leurs oeuvres sont perdues, sauf peut-être le portrait de Katéri TEKAKWITHA (vers 1681), attribué à ce dernier.
À propos des missionnaires jésuites, il faut également signaler la gravure de Grégoire Huret, Preciosa mors quorumdam Patrum e Societ. Jesu in nova Francia..., dont on connaît quatre états, le plus ancien remontant à 1651, consacré aux saints martyrs canadiens.
Il va sans dire que des portraits gravés et des représentations peintes du Roi-Soleil (Louis XIV) ont été importés en Nouvelle-France. La résidence des Gouverneurs à Québec, le Château Saint-Louis, possédait certainement un portrait du Roi. Il est plus difficile d'imaginer les tableaux et les gravures qui décoraient les murs des résidences privées et des maisons, les inventaires après décès se contentant bien souvent que de signaler la présence de beaux « cadres » sans plus de détails.
Avec la conquête anglaise (1759-1760), les sujets picturaux et les styles changent. Alors que sous le régime français, les paysages étaient rarissimes (une Vue des chutes Niagara dans le livre du récollet Louis Hennepin est l'exception), les premiers PEINTRES TOPOGRAPHIQUES anglais vont faire du paysage et des vues de villes leur sujet principal. Ces peintres britanniques étaient des militaires qui avaient appris leur métier à la Royal Military Academy de Woolwich. On croyait utile de leur enseigner non seulement à faire des cartes géographiques, mais aussi à « saisir » des vues topographiques de paysages. En bons fils des Lumières, ils sont attirés par le pittoresque et le sublime. Les chutes d'eau dans des paysages de montagnes les attirent particulièrement. Mais les tous premiers d'entre eux, comme Richard Short, George HERIOT et le capitaine Hervey Smyth documentent aussi les destructions de la Conquête. Leurs aquarelles sont gravées à Londres et ont un immense succès.
Certainement, le plus doué d'entre eux fut Thomas DAVIES, qui servit successivement à Halifax, Québec et Montréal entre 1757 et 1790 et nous a laissé une série d'aquarelles d'une fraîcheur remarquable. Quelques artistes arrivent à vivre de leur art en se faisant portraitistes ou décorateurs d'églises. On attribue à Louis Dulongpré pas moins de 3000 portraits durant la période de 1785 à 1815; beaucoup sont des pastels.
Nés au Canada, François Beaucourt et François BAILLARGÉ font leurs études en France mais retournent au Canada pour y faire carrière. Des artistes étrangers comme William BERCZY qui avait déjà travaillé en Europe émigrèrent au Canada. Peu après son arrivée à Markam, près de York, en 1794, Berczy fit le portrait de Joseph BRANT, chef des Mohawks resté fidèle à la couronne anglaise et, en 1808, peignit The Woolsey Family, une famille de Québec, une conversation piece, comme on disait à l'époque. Cette même année Robert Field arrive à Halifax où pour les huit années qui suivent, il peint la bonne société de la Nouvelle-Écosse. Le plus célèbre de ces peintres émigrés est cependant Cornelius KRIEGHOFF qui épouse une Canadienne française, s'installe d'abord dans la région de Montréal, puis à Québec. Ses sujets de prédilection, l'habitant canadien-français et l'Indien, plaisent aux amateurs et Krieghoff connaît un succès appréciable auprès de l'élite anglophone du Bas-Canada. Son approche picturale, presque théâtrale, est unique dans la peinture canadienne de son temps.
Contrairement aux villes, le Québec rural reste attaché aux traditions; l'Église occupe toujours la place centrale dans la vie des communautés. Saint-Louis tenant la couronne d'épines (1777), peint par l'abbé Jean-Antoine AIDE-CRÉQUY pour l'église Saint-Louis de l'île aux COUDRES (qui donne au saint patron de la paroisse les traits de Louis XVI) illustre bien l'attachement des Canadiens français, devenus sujet britanniques, à la couronne française et à la religion catholique.
Une conséquence inattendue de la révolution française a été l'acquisition par les abbés Desjardins (Louis-Joseph et Louis-Philippe) d'un lot de 200 tableaux sauvés des pillages des églises et exportés au Canada en 1816 et 1820. La plupart de ces tableaux aboutirent dans les églises, mais plusieurs furent achetés par Jooseph LÉGARÉ en 1817, pour son musée, le premier à s'ouvrir au Canada. Certes, dans cette collection Desjardins, qu'il vaudrait mieux nommer le fonds Desjardins, comme l'a suggéré le professeur Laurier Lacroix, il y avait à boire et à manger. Il y avait, cependant, des natures mortes, des sujets historiques, et des paysages qui ont donné l'idée à nos peintres de s'essayer dans des genres qu'ils n'avaient pas touché auparavant.
Légaré lui-même fut influencé par les tableaux de sa collection, d'autant qu'il pratiqua souvent la copie. Ses meilleurs tableaux, comme Paysage au monument Wolfe, vers 1840, réussissent à intégrer des éléments pris à divers sources dans une composition originale, véhiculant un message politique clair aux Canadiens français dans les retombées du Rapport Durham. Antoine PLAMONDON, qui fut son élève, fit des études à Paris auprès de Paulin Guérin, se fit une réputation enviable de portraitiste et de décorateur d'églises. Ses portraits de religieuses de l'Hôpital Général de Québec peints en 1841 sont justement célèbre, comme son projet pour un chemin de croix de l'église Notre-Dame à Montréal. Plamondon entendait garder le monopole de la peinture dans la région de Québec et a âprement défendu son territoire contre des peintres américains de passage, comme James Bowman ou Henry Thielcke ou les décorateurs italiens auxquels le clergé ultramontain confiait la décoration de ses églises. Théophile HAMEL, qui fut l'élève de Plamondon, suivit les traces de son maître et se fit également connaître par ses portraits, y compris son Autoportrait, vers 1837.
George Théodore BERTHON, d'origine française, préféra faire carrière comme portraitiste à Toronto. On ne s'étonnera pas dès lors que le besoin de créer des sociétés d'artistes, sous forme de art clubs ou de sociétés plus formelles, comme la Société littéraire et historique de Québec aient pu voir le jour durant cette période (voir ASSOCIATIONS D'ARTISTES).
Voir aussi PEINTURE : 1840-1940 et PEINTURE : LES MOUVEMENTS MODERNES