La réserve des Six Nations de la rivière Grand dans le sud de l’Ontario est la réserve la plus peuplée au Canada. C’est le lieu de l’un des plus importants mouvements de revitalisation culturelle du Canada. Au milieu du 20e siècle, l’artiste Elda « Bun » Smith a commencé à collecter des tessons de poterie trouvés un peu partout dans la réserve des Six Nations. Avec l’aide de la potière Tessa Kidick et d’autres artisans potiers locaux, elle a contribué à revitaliser la poterie sur ce territoire, influençant de futures générations d’artistes. La poterie des Six Nations est maintenant l’une des céramiques les plus collectionnées au Canada. Elle figure dans les collections de musées et galeries d’art du monde entier.
Poterie précontact
Selon les archéologues, l’intégration de la poterie à la vie vernaculaire serait apparue entre la fin de l’Archaïque et le début du Sylvicole inférieur, environ 1 050 à 450 ans avant notre ère, sans que l’on sache cependant précisément ce qui a poussé les sociétés de chasseurs‑cueilleurs à esthétiser leur poterie. On sait toutefois que ces sociétés ont recours à la poterie – à l’époque uniquement créée par des femmes – pour des raisons pratiques, à savoir pour la cuisine, pour le transport de marchandises, pour le stockage et à des fins cérémonielles. Ces artisanes élaborent des modèles et des conceptions stylistiques basés sur l’identité tribale, sur les réseaux sociaux et sur des choix personnels. L’argile servant à fabriquer la poterie est recueillie dans des paniers, en provenance de diverses sources, notamment à proximité des lits des rivières et des ruisseaux, ainsi que dans des veines terrestres, avant d’être rincée pour en éliminer les débris indésirables. L’étape suivante consiste à y ajouter du sable ou des coquilles broyées comme liant, le broyage et le pressage répétés contribuant à en éliminer les bulles d’air susceptibles de faire exploser le pot pendant le processus de cuisson. La poterie de cette première période comprend des pots aux fonds arrondis qui garantissent une cuisson uniforme des aliments lorsqu’on les suspend au‑dessus d’un feu ou qu’ils sont placés sur des charbons ardents. La plupart des pots comportent également des bords supérieurs épaissis ou un col décoré, dont les motifs sont réalisés par incision à l’aide d’outils en os ou en bois. Plus tard, des modèles esthétiques particuliers, notamment des effigies, ainsi que des figures animales, humaines ou spirituelles, seront incorporés à la poterie.
Colonialisme européen
Au début de la période coloniale, l’étain, le fer et le cuivre remplacent l’argile pour former des pots, des bols et d’autres outils pratiques. En conséquence, la tradition de la poterie décline chez les Haudenosaunee (Iroquois) avant de finalement complètement disparaître. Plus tard, d’autres traditions culturelles haudenosaunee seront purement et simplement rejetées par le gouvernement canadien. À Brantford, en Ontario, juste à côté de la réserve des Six Nations de la rivière Grand, le Mohawk Institute Residential School, un pensionnat indien, contribue à accélérer la dégradation des connaissances culturelles autochtones et l’on considère désormais que ces établissements ont constitué un génocide culturel (voir Génocide et peuples autochtones au Canada). Cependant, la poterie des Six Nations demeure aujourd’hui l’un des exemples les plus frappants de revitalisation culturelle parmi les collectivités autochtones du Canada.
Elda « Bun » Smith
Elda « Bun » Smith est l’une des potières les plus importantes et les plus influentes du Canada. Au milieu du 20e siècle, elle commence à collecter des tessons de poterie sur la réserve des Six Nations, un territoire sur lequel ils sont monnaie courante. Toutefois, c’est Elda Smith qui reconnaît leur valeur et leur importance culturelle. Elle se lance dans des recherches sur les tessons qu’elle trouve dans des livres, des périodiques et en consultant d’autres membres des Six Nations. La potière accomplie Tessa Kidick enseigne la poterie au Mohawk College of Applied Arts and Technology de Hamilton, en Ontario. En 1962, le Conseil des arts de l’Ontario lui confie l’animation d’ateliers de poterie. Dans ce cadre, elle accueille, dans ses cours, des membres des Six Nations, dont Elda « Bun » Smith. Grâce à son aide, l’atelier Mohawk Pottery est fondé par Elda Smith et ses collaboratrices et collaborateurs Oliver Smith, Darlene Smith, Sylvia Smith, Dee Martin et Karen Williams. Les potiers des Six Nations de la première génération créent des pots dans le style « historique », utilisant des techniques anciennes et l’argile extraite de la terre. En 1967, pendant l’Expo 67 à Montréal, Elda Smith fait don à la reine Elizabeth II d’un service à thé en céramique intégrant des éléments décoratifs à base de perles de wampum. Dans le contexte de la controverse entourant le pavillon des Indiens du Canada de l’Expo 67, son geste peut être perçu comme un acte symbolique de résilience.
Poterie contemporaine
Le territoire de la réserve des Six Nations abrite plusieurs ateliers de poterie, nés des efforts d’Elda « Bun » Smith et des membres de l’atelier Mohawk Pottery, Elda et Oliver Smith ayant, notamment, transmis leurs connaissances à leur fils Steve qui a commencé la poterie à l’âge de 12 ans. Steve Smith rompt avec la tradition historique, intégrant à ses œuvres de l’argile d’atelier, des palettes de couleurs vives, des compositions dynamiques, des récits tribaux et une iconographie animée. À l’instar de sa mère avant lui, il est maintenant reconnu comme l’un des potiers les plus éminents du Canada. Steve Smith et sa femme Leigh Smith exploitent l’atelier Talking Earth Pottery, travaillant avec leur fille Santee et leur petite‑fille Semiah. Récemment, le Musée Gardiner de l’art de la céramique, à Toronto, en Ontario, a commandé à Santee Smith la production de grands pots en céramique basés sur des vases rotinohnsyonni à quatre coins.
Cindy Henhawk, potière de deuxième génération, a appris la céramique avec sa mère, Darlene, sœur d’Elda « Bun » Smith. La famille Henhawk a fondé l’atelier Santhony Pottery sur la réserve des Six Nations, bien connu pour le maintien de la conception, des motifs et de l’iconographie de la poterie Kanyen’kehà:ka (mohawk) historique. Plusieurs autres activités et ateliers familiaux fonctionnent sur la réserve des Six Nations en utilisant les anciennes méthodes, notamment Flint & Feather, la famille Hill et les frères Don et Ron Monture.
La poterie des Six Nations est maintenant l’un des objets d’art les plus recherchés du Canada. On trouve des œuvres de ce type dans les collections du Musée canadien de l’histoire, du National Museum of the American Indian, aux États‑Unis, et de bien d’autres institutions. Son succès ne se fait pas simplement ressentir parmi les personnes et les groupes des Six Nations, mais dans toute la province de l’Ontario, ainsi que dans d’autres collectivités autochtones d’Amérique du Nord. Grâce aux efforts des potiers des Six Nations, d’autres groupes des Premières Nations ont trouvé l’inspiration. Les Oneidas et les Potawatomis ont, en particulier, bénéficié de ces efforts, s’inspirant de leurs propres tentatives pour retrouver les traditions perdues de leur poterie.