L’art autochtone contemporain est l’art produit par les peuples autochtones depuis environ 1945 jusqu’au présent. Dans cet intervalle, deux courants majeurs dominent la scène contemporaine au Canada : l’art autochtone de la côte nord-ouest et l’école des Woodlands regroupant des « peintres des légendes ». Aux quatre coins du pays, d’autres artistes qu’on peut qualifier d’internationalistes par leur envergure et leur intention travaillent de façon indépendante dans le courant dominant de l’art occidental.
L’art inuit contemporain évolue parallèlement à l’art autochtone, avec des artistes reconnus tels que Zacharias Kunuk et Annie Pootoogook.
Renaissance de la côte nord-ouest
À la fin des années 1960 et au début des années 1970, on assiste à ce que certains appellent une « renaissance » de l’art de la côte du nord-ouest de la Colombie-Britannique, avec la réapparition de nombreuses formes traditionnelles de sculpture sur bois, de ferronnerie, de peinture, de gravure et d’art textile, d’abord parmi les nations dites nordiques (Haïda, Tsimshian et Kwakiutl) et plus récemment, parmi les communautés établies plus au sud (Nootkas et les Salish de la côte).
Les objets d’art traditionnel continuent néanmoins d’être produits et utilisés dans les communautés autochtones dynamiques, dont certaines ont été récemment revitalisées. C’est le cas en Colombie-Britannique, où la sculpture de totems, de masques et d’autres genres traditionnels se développe avec la levée de l’interdiction du potlatch par le gouvernement canadien en 1951. La notoire Loi 87, adoptée par le gouvernement fédéral en 1884, interdit le potlatch, une très importante fête religieuse et sociale qui nécessite une grande quantité d’objets d’art pour la représentation dramatique de traditions de l’histoire orale. Les artistes de la côte ouest, comme Tony Hunt, Bob Davidson et l’artiste haïda Bill Reid (1920-1998), parmi tant d’autres, adoptent les styles et l’imagerie de l’art traditionnel de la côte nord-ouest. Ces styles demeurent vivants durant la période d’interdiction du potlatch, grâce à des personnages aussi connus que les Haïdas Charles Edenshaw (1839-1920) et Willie Seaweed (1873-1967), ainsi que Mungo Martin (vers 1879/1882-1962), de la nation Kwakiutl.
La production contemporaine de la côte ouest reste résolument traditionnelle, même si les artistes s’éloignent parfois radicalement de l’imagerie, des formes et de la composition traditionnelles. Leurs travaux demeurent en effet à l’intérieur d’un éventail restreint d’éléments et de motifs visuels propres au style classique de l’art de la côte nord-ouest. Ce style atteint son développement le plus caractéristique chez les artistes haïdas, tsimshians et tlingits au 19e siècle. Sur la côte ouest, on produit encore aujourd’hui de l’art contemporain destiné aux villages des Premières Nations, mais le plus souvent, les masques, hochets, boîtes, étoffes, bijoux et autres objets traditionnels sont adaptés aux techniques, matériaux et usages eurocanadiens et vendus dans les boutiques d’art autochtone. La carrière artistique de Bill Reid est sans doute le meilleur exemple de cette adaptation des traditions autochtones de la côte ouest au monde contemporain.
D’abord connu pour ses bijoux d’or et d’argent (bracelets, anneaux et broches gravés d’emblèmes comme l’ours, le corbeau, la grenouille et l’épaulard), Bill Reid a acquis une renommée internationale pour ses sculptures publiques monumentales. Sa grande sculpture de bois « Raven Discovering Mankind in a Clamshell » (1983) se dresse devant le musée de l’anthropologie de l’Université de la Colombie-Britannique; un grand bronze, « Killer Whale » (1984), forme le cœur de l’aquarium de Vancouver Aquarium au parc Stanley; et son très célèbre « Spirit of Haida-Gwaii » (1991) est exposé à l’ambassade du Canada à Washington. Cette sculpture monumentale, mesurant 6 mètres de long par 4,3 mètres de haut, représente les animaux mythiques haïdas dans un voyage spirituel en canot. Avec sa patine noire, la sculpture ressemble à de l’argilite, la pierre traditionnelle des sculpteurs haïdas au 19e siècle. Pendant la production de l’œuvre, Reid suspend temporairement son travail pour protester contre l’exploitation commerciale de la forêt pluviale primitive côtière de l’archipel Haïda-Gwaii. Cette action montre comment les artistes autochtones du Canada se tournent de plus en plus vers le militantisme sociopolitique, nouveau rôle pour l’art autochtone, mais aussi emblématique d’une participation croissante à la démocratie canadienne en général.
L’école des Woodlands
L’école des Woodlands gagne en renommée dans les années 1970 avec le succès de Norval Morrisseau, artiste ojibwé du nord-ouest de l’Ontario. Dans les années 1970 et 1980, la plupart des membres de ce courant artistique sont influencés et inspirés par Morrisseau. On les appelle les « peintres des légendes », car ils représentent les traditions spirituelles et mythologiques. Les artistes autochtones indépendants commencent à se faire connaître dans les années 1980. Ils en viennent à dominer la scène artistique contemporaine dans les années 1990, au point où plusieurs d’entre eux figurent désormais parmi les artistes visuels les plus en vue du Canada d’aujourd’hui.
On peut dire que les œuvres de Norval Morrisseau et des autres peintres des légendes comme Jackson Beardy, Blake Debassige et Carl Ray, se situent à peu près à mi-chemin entre traditions esthétiques autochtones et eurocanadiennes. Leurs toiles, parfois très grandes, sont réalisées avec de l’acrylique synthétique, un matériau qui a la faveur des artistes eurocanadiens dans les années 1960 et 1970.
En parallèle, autant le sujet que le style de ces artistes s’inspirent de la pictographie algonquienne telle qu’on la trouve dans les manuscrits d’écorce de bouleau des Ojibwés et dans les pictogrammes et pétroglyphes de la région du Bouclier canadien. Les sources de Morrisseau remontent également aux vitraux colorés de l’église catholique de son enfance et aux croyances de la religion Eckankar. Ces deux traditions spirituelles font écho à sa vision du monde mystique ojibwé acquise sur les genoux de son grand-père maternel, un guérisseur traditionnel ojibwé. Ce syncrétisme des arts et de la spiritualité autochtones traditionnels et occidentaux est caractéristique de Morrisseau et d’autres artistes après lui, donnant naissance à un art qui se situe au carrefour de deux cultures et qui trouve une résonance dans l’une comme dans l’autre.
L’art autochtone s’intègre dans le courant dominant
Un vaste réseau d’artistes contemporains d’ascendance autochtone produit des œuvres appartenant presque entièrement au courant eurocanadien et international dominant. Ces artistes ne sont plus formés aux techniques traditionnelles des divers Premières Nations. Ils ne sont pas autodidactes non plus, comme l’était Morrisseau. Ils ont étudié dans les grandes écoles des beaux-arts du Canada, des États-Unis et de Grande-Bretagne. Des artistes comme Carl Beam, Bob Boyer, Robert Houle, Alex Janvier, Gerald McMaster, Lawrence Paul, Edward Poitras, Jane Ash Poitras, Joane Cardinal-Schubert et Pierre Sioui adoptent une démarche individualiste et se voient d’abord et avant tout comme des artistes, mais dont le passé autochtone marque résolument l’identité. Ils en sont fiers et acceptent le rôle classique de l’art comme expression de l’identité de leur peuple.
Bien qu’ils réalisent leurs œuvres dans le contexte occidental des institutions habituelles (écoles d’art, galeries, marchands d’art, critiques et musées) et suivant les techniques, genres et modes d’expression caractéristiques de l’art occidental contemporain, ils prennent une position personnelle sur les questions sociales, politiques, raciales et environnementales qui affectent les autochtones et la société dans son ensemble. Même si leur expérience est personnelle et individuelle, ces artistes s’inspirent des valeurs spirituelles et culturelles de leurs traditions respectives.
Ils accordent beaucoup d’attention à la critique et au militantisme social et politique. Leurs œuvres remettent en question les difficiles relations, passées et présentes, des autochtones avec la société eurocanadienne. Par leurs mots et leurs images, ils font ressortir les graves problèmes auxquels toute l’humanité est confrontée : dégradation écologique, pauvreté, violence, guerre, et le sida.
Carl Beam, membre de la Nation ojibwée de West Bay, sur l’île Manitoulin, en Ontario, est l’un de ces artistes autochtones indépendants de la scène contemporaine au Canada. Rejetant d’emblée l’étiquette d’artiste autochtone, il s’inspire tout de même de valeurs autochtones pour ses œuvres multimédias qui s’adressent aux publics canadien et international et abordent de grands enjeux mondiaux comme la survie et l’injustice. Réalisé dans un créneau résolument postmoderne, son travail marie formes et images de l’histoire mondiale de l’art en une seule structure spatiotemporelle.
Dans son œuvre Semiotica I (1985-1989), Beam combine les images d’un aigle en vol, symbole emblématique de la spiritualité autochtone, à celles du lancement d’un engin spatial à Cap Kennedy, de feux de circulation et d’un parcomètre. Il appartient aux spectateurs de tirer leurs propres conclusions de l’œuvre, de préférence en se familiarisant avec l’ensemble de sa production.
Le travail actuel des artistes d’ascendance autochtone se développe rapidement dans les arts de la scène, les nouveaux médias, la vidéo et les projets d’installations. Qu’on en prenne pour exemple l’artiste ojibwée de Vancouver Rebecca Belmore, qui devient en 2005 la première femme autochtone à représenter le Canada à la Biennale de Venise et qui obtient en 2013 un Prix du Gouverneur général en arts visuels et en arts médiatiques. Elle met en scène des performances publiques iconoclastes et choquantes sur des thèmes tels que la disparition de femmes autochtones dans les rues de Vancouver (Vigil, 2002). Rebecca Belmore crée également des installations vidéo complexes, s’y mettant elle-même en vedette et explorant des thèmes hautement métaphoriques comme l’eau (Fountain, 2005). Ses nombreuses sculptures et photographies abordent un large éventail de thèmes autochtones.
Artiste d’origine crie et irlandaise, Kent Monkman (né en 1965) organise des parades de costumes de plumes aux couleurs éclatantes, sorte de mélange entre bal travesti et rituel religieux. Il peint aussi des panoramas historiques à la mode de l’école de l’Hudson, en vogue au 19e siècle, et produit des vidéos où il met en scène Miss Chief Eagle Testickle, son alter ego pervers et hilarant.
Né en 1970 à Fort St. John, en Colombie-Britannique, d’ascendance crie et suisse, Brian Jungen utilise les objets de la culture populaire et de la vie de tous les jours pour créer des pièces sophistiquées qui soulèvent les enjeux autochtones dans le contexte global de la société de consommation. Dans Prototypes of New Understanding, Jungen assemble des morceaux de chaussures de sport Air Jordan de Nike pour former des masques de la côte nord-ouest, et dans Shapeshifter (2002) et Cetology (2003), il fabrique un énorme squelette de baleine grandeur nature avec des chaises de plastique. Ses œuvres reçoivent un accueil triomphal au Tate Modern de Londres et à la Vancouver Art Gallery, et lui valent récemment le prix Gershon Iskowitz du Musée des beaux-arts de l’Ontario.
Au crépuscule du 20e siècle et à l’aube du 21e siècle, les artistes canadiens, y compris ceux qui ont une ascendance autochtone, se préoccupent de la société dans son ensemble. Les artistes autochtones apportent à la scène contemporaine une authenticité, une conviction et un vécu qui donnent une force particulière à leurs représentations visuelles.