Article

Qajartalik

Qajartalik (prononcé k-eye-yar-tal-ick et signifiant « l’endroit où il y a un kayak » en inuktitut) est le site le plus vaste et le mieux étudié contenant des traces de pétroglyphes dans l’Arctique canadien. Un pétroglyphe est un type d’art rupestre qui consiste de graver un dessin directement sur une surface rocheuse. Qajartalik est l’un des quatre seuls sites connus de pétroglyphes de l’Arctique canadien et du Groenland. Tous ces sites de pétroglyphes se trouvent sur la côte nord-est de la péninsule d’Ungava. Le style des images gravées laisse à penser aux archéologues qu’elles ont été réalisées par le peuple Dorset, également nommé Tuniit dans l’histoire orale inuite, à partir du dernier tiers de sa période culturelle. Ceci signifie que les pétroglyphes auraient entre 700 et 1 500 ans. Compte tenu du grand nombre de pétroglyphes qui s’y trouvent, au moins 180, Qajartalik était probablement un site important pour le peuple Dorset et est l’un des sites archéologiques les plus importants de l’Arctique.

Les pétroglyphes de Qajartalik dépeignent principalement des visages humains de face.

Géographie de Qajartalik

Qajartalik est située sur la péninsule la plus à l’est de l’île Qikertaaluk (qui signifie « grande île » en inuktitut), Nunavut, à environ 5 km de la partie continentale du Nunavik (Québec arctique). Le site archéologique, qui contient plusieurs formations rocheuses de stéatite, s’étend à l’intérieur d’une faille d’environ 130 m de long.

Carte détaillant l’emplacement de Qajartalik, avec des lignes pointillées représentant l’étendue approximative de l’occupation du Dorset tardif.

On peut diviser Qajartalik en quatre secteurs d’activités. Dans le premier secteur, la partie la plus à l’est du site, il y a un petit abri rocheux, mais aucune trace de pétroglyphes ou de carrière de stéatite. Cela signifie que, au moins à certains moments, des gens ont vécu directement sur le site plutôt que de simplement y séjourner. Le deuxième secteur, à environ 30 km au nord-ouest du premier secteur, contient un grand affleurement de stéatite avec plus de 100 pétroglyphes individuels. On y trouve plus de 40 marques d’extraction de stéatite ayant servi à la fabrication de récipients, de lampes ou de sculptures portables. La taille et la forme des marques d’extraction donnent à penser aux archéologues qu’elles sont pour la plupart attribuables au peuple Dorset, mais que les premiers groupes inuits en ont produit quelques-unes plus tard. Dans le troisième secteur, à environ 15 m à l’ouest, se trouvent un autre grand affleurement de stéatite contenant plus de 80 pétroglyphes, quelque 12 marques d’extraction de stéatite réalisées par les Dorsétiens et les premiers Inuits il y a des centaines d’années, et même quelques marques d’extraction plus modernes datant des dernières décennies. Enfin, à environ 80 m au nord-ouest du troisième secteur, le quatrième secteur compte un affleurement de stéatite relativement petit avec quatre pétroglyphes.

Le saviez-vous?
Étant donné qu’il n’existe actuellement aucune méthode pour dater directement les pétroglyphes de cet âge, il est impossible de savoir à quelle période du Dorsétien (de 500 ans avant notre ère à 1300 de notre ère) ils appartiennent ou d’établir si les différents pétroglyphes datent de différentes périodes. Cependant, le style de la majorité des pétroglyphes correspond davantage à la thématique des artefacts créés à la fin du Dorsétien.


La stéatite est un type de pierre relativement tendre qui peut être facilement sculptée, ce qui la rendait recherchée par les Dorset et les Inuits afin de pouvoir fabriquer des lampes à l’huile, des ustensiles de cuisine et des sculptures artistiques portables

En quoi consistent les pétroglyphes?

Le long de la faille de 130 m de long à Qajartalik se trouvent plusieurs affleurements de stéatite (parfois appelée pierre à savon). La stéatite est un type de pierre relativement tendre et facile à tailler, ce qui en a fait un matériau recherché par les Dorsétiens et les Inuits pour la fabrication de lampes à huile, de pots à cuisson et de sculptures artistiques portables. La stéatite étant rare, plusieurs affleurements sont depuis longtemps soumis à une activité humaine répétée. De nombreux sites archéologiques se trouvent dans les environs de Qajartalik, ce qui laisse supposer que des gens vivaient dans la région à la fois pendant les saisons chaudes et les saisons froides.

À quoi ressemblent les pétroglyphes?

Les pétroglyphes de Qajartalik représentent principalement des visages humains de face. Un petit nombre d’images peuvent être interprétées comme des visages d’animaux, tandis que certaines autres combinent des caractéristiques humaines et animales. La plupart des pétroglyphes individuels mesurent de 10 à 25 cm. Les pétroglyphes sont gravés dans la roche par piquetage et par incision. Tous les pétroglyphes ont un front, des joues, un menton, des yeux, un nez et une bouche, mais sont dépourvus d’oreilles, de cheveux, de cou ou d’autres parties du corps. Certains présentent des lignes s’étendant vers le bas au niveau du menton, que les archéologues interprètent comme des barbes ou des traces de souffle sortant de la bouche des pétroglyphes. Les formes générales des visages sont peu nombreuses, allant de l’ovale ou du rectangle au « bouclier » ou au « pichet » (c.‑à‑d. des fronts plats avec des joues et des mentons arrondis). La plupart des visages se trouvent en groupes de dix ou plus.

La plupart des pétroglyphes individuels mesurent de 10 à 25 cm. Les pétroglyphes ont été gravés dans le substrat rocheux à l’aide d’un mélange de picage et de rainurage.

Plusieurs pétroglyphes de Qajartalik sont situés autour de zones d’activité connue des premiers Inuits et sont stylistiquement distincts de la plupart des images sculptées par les Dorsétiens. Cela porte à croire qu’ils ont été sculptés par les premiers Inuits plutôt que par les Dorsétiens.

Les formes générales des visages des pétroglyphes se présentent sous un petit nombre de formes, allant de la forme ovale ou rectangulaire à la forme de « bouclier » ou de « carafe ». On trouve la plupart des visages en groupes de dix o

Questions sans réponse

Certains aspects de Qajartalik et des autres sites de pétroglyphes du Nunavik demeurent inconnus. D’une part, on ignore pour quelle raison les Dorsétiens ont réalisé ces pétroglyphes. Comme les visages présentent des similitudes avec le style des visages représentés sur des objets sculptés portatifs fabriqués par les Dorsétiens, de nombreux archéologues pensent qu’il existe un lien entre ces pétroglyphes et leurs croyances et pratiques socioculturelles. L’histoire orale des Inuits fait parfois référence à certaines de ces pratiques des Tuniit (Dorsétiens), mais ne fait pas directement référence aux pétroglyphes. D’autre part, on comprend mal pourquoi il n’y a pas d’autres pétroglyphes du Dorset à l’extérieur de cette région de l’Arctique. Les Dorsétiens ont utilisé d’autres carrières de stéatite connues dans l’Arctique, mais seuls Qajartalik et les trois autres sites du Nunavik présentent des pétroglyphes. Les objets d’art sculptés étant de plus en plus courants dans la période du Dorsétien, il est étrange que les pétroglyphes ne semblent avoir été réalisés que dans une petite sous-région de l’endroit où ils vivaient. Malgré les questions sur le site qui restent sans réponse, étant donné que les pétroglyphes sont inconnus en dehors de cette région, Qajartalik et les autres sites de pétroglyphes ont dû être incroyablement importants pour les Dorsétiens.

Conservation et protection du site

Les pétroglyphes de Qajartalik et leur importance sont connus des collectivités inuites voisines depuis l’arrivée de leurs ancêtres dans la région il y a environ 800 ans. Si les premiers archéologues de formation universitaire ont visité le site dans les années 1960, ce n’est que depuis les années 1990 que le site fait l’objet d’études intensives. Les aînés et membres de la collectivité inuite du village voisin de Kangiqsujuaq, de même que les archéologues, constatent que l’érosion des panneaux rocheux des pétroglyphes, attribuable à une série de phénomènes naturels et liés aux changements climatiques, s’intensifie manifestement depuis les années 2000. De plus, l’augmentation du tourisme dans les régions arctiques fait en sorte que les dommages intentionnels et involontaires causés par les touristes et les visiteurs non locaux menacent de plus en plus les sites éloignés comme Qajartalik.

Des démarches sont entreprises à la fin des années 1990 pour enregistrer le site en tant que lieu historique national (LHN), mais elles sont retardées pendant plus d’une décennie en raison de conflits de compétence sur l’île Qikertaaluk entre le Nunavut et le Québec. Ce litige foncier se règle en 2008 avec une nouvelle demande de désignation historique nationale, mais Qajartalik n’est toujours pas officiellement désignée lieu historique national du Canada. Toutefois, en 2018, Qajartalik est inscrite par le gouvernement fédéral sur la liste indicative canadienne des sites du patrimoine mondial de l’UNESCO. Bien que cela ne protège pas encore officiellement le site, il s’agit d’une étape cruciale pour parvenir à cette protection.

Malgré les difficultés bureaucratiques liées à la protection officielle du site, les membres, les aînés et les gardiens des savoirs de la collectivité inuite ainsi que les archéologues (notamment de l’Institut culturel Avataq et du Musée canadien de l’histoire) continuent de visiter Qajartalik et les sites archéologiques environnants pour en surveiller l’état et s’efforcer d’enregistrer numériquement les pétroglyphes.

Les pétroglyphes de Qajartalik et leur importance sont connus des communautés inuites voisines depuis l’arrivée de leurs ancêtres dans la région il y a environ 800 ans.