Premières interventions gouvernementales (1960-1976)
Le Québec Inc. se développe dans la continuité d’une bourgeoisie d’affaires francophone qui existe sur le territoire québécois depuis le début du 19e siècle, mais qui demeure alors peu représentée dans l’industrie lourde. Vers le milieu du 20e siècle, des entrepreneurs souhaitent favoriser l’essor d’une classe d’affaires francophone, ce qui fait émerger l’idée d’une banque d’affaires québécoise. C’est dans ce contexte qu’est élu au Québec le gouvernement libéral de Jean Lesage, le 22 juin 1960. Celui-ci entreprend de récupérer des pouvoirs économiques que le gouvernement fédéral tend à employer au développement de l’Ontario. Il préconise également la concertation avec des représentants d’entreprises privées et des milieux socioéconomiques pour développer l’économie du Québec. Son projet consiste à soutenir une économie mixte, où l’État vient en appui au secteur privé. En 1962, le gouvernement québécois crée la Société générale de financement, afin d’éviter que les entreprises québécoises ne soient mises en difficultés lors d’un changement à leur tête et puissent demeurer sur le territoire. La création de sociétés d’État restera un outil majeur dans la politique économique des gouvernements québécois subséquents, au moins jusqu’au milieu des années 1980.
Ce modèle ne fait pas l’unanimité. La nationalisation massive de l’électricité à compter de 1963 est critiquée par certains hommes d’affaires francophones, car elle implique l’accroissement du pouvoir de l’État dans l’économie. Cet accroissement se remarque aussi lors de la création d’une sidérurgie d’État, en 1964. Sous le gouvernement d’Union nationale de Jean-Jacques Bertrand, le Comité d’étude sur les institutions financières présidé par Jacques Parizeau recommande, en 1969, la fusion d’entreprises québécoises pour résister à la compétition étrangère. Au cours de la prochaine décennie, le gouvernement investira massivement les capitaux qu’il dégage des sociétés d’État afin d’apporter son soutien au développement d’entreprises québécoises.
Évolution du modèle (1976-1985)
Le Québec Inc. est graduellement remis en question par les milieux d’affaires, notamment dans le rapport Descoteaux (1974), en raison de son coût pour le public et du rôle prépondérant de l’État dans l’économie. Au sein de la Confédération des syndicats nationaux se développe une critique de l’État en tant que vassal de l’entreprise privée et employeur capitaliste. Les conflits linguistiques, la Crise d’octobre, ainsi que les diverses grèves du Front commun syndical contribuent à cimenter les doutes contre l’État comme porteur des aspirations de la Révolution tranquille. Le premier gouvernement du Parti Québécois de René Lévesque (1976-1980), d’abord plutôt favorable aux coopératives, est vite amené à se rapprocher des entreprises privées. On confirme cette approche dans le plan d’action économique Bâtir le Québec (1978). Dans la perspective d’un référendum sur la souveraineté du Québec, il organise de grands « sommets économiques ». Il offre l’appui de l’État à des entreprises québécoises, notamment pour l’aide au développement industriel ou encore dans le domaine du livre. Sans mettre de côté le financement de grands projets publics, dont la construction de barrages hydroélectriques, le prolongement du métro de Montréal ou la construction d’équipements pour les Jeux olympiques de 1976, l’État québécois tend à valoriser davantage le rôle des entreprises privées dans l’économie. C’est surtout le cas sous les gouvernements qui suivent le retour au pouvoir de Robert Bourassa (1985-1994).
Remises en question (depuis 1985)
La période qui s’ouvre au milieu des années 1980 marque une prise d’importance en politique québécoise des gestionnaires du secteur privé. Plusieurs d’entre eux promeuvent, en matière d’économie, le désengagement de l’État, les privatisations, la déréglementation et la croissance du secteur privé. Par exemple, la compagnie aérienne Quebecair, créée en 1953 et dont l’État québécois devient l’actionnaire majoritaire en 1981, est privatisée par le gouvernement de Robert Bourassa en 1986. Cette valorisation de l’entreprise privée s’accorde avec les politiques du gouvernement fédéral canadien de Brian Mulroney (1984-1993), celui du président Ronald Reagan aux États-Unis (1981-1989) et celui de la première ministre Margaret Thatcher au Royaume-Uni (1979-1990). Il s’inscrit également dans une mondialisation des échanges, au moment où le Canada conclut l’Accord de libre-échange canado-américain en 1987 et l’Accord de libre-échange nord-américain en 1992. La privatisation de sociétés d’État acquises par des compagnies québécoises, comme lors de l’achat de Canadair par Bombardier en 1986, permet cependant l’élargissement du champ d’activité des entreprises québécoises.
Selon le sociologue François L’Italien, la politique économique de l’État québécois serait passée du Québec Inc. à ce qu’il appelle le Québec Capital. Il situe cette transition à la suite du référendum de 1995. En raison de l’échec de l’option indépendantiste, l’objectif de souveraineté économique qui guidait le Québec Inc. tend selon lui à laisser place à la spéculation financière dans la gestion des sociétés d’État. Depuis la crise économique de 2008, la notion de Québec Inc. fait l’objet de critiques renouvelées. Jacques Parizeau, par exemple, juge en 2008 que la Caisse de dépôt et placement du Québec est devenue trop préoccupée par ses rendements et trop peu par la stimulation de l’économie du Québec. Les avantages accordés par l’État québécois aux gestionnaires de Bombardier font également l’objet d’importants débats dès 2017. Les rapports établis entre l’État et les entreprises québécoises dans le cadre du développement économique national continuent ainsi de se transformer et de susciter la remise en question de la notion de Québec Inc.