Article

Quesnel, Joseph

(Louis) Joseph (Marie) Quesnel. Marchand, compositeur, violoniste, dramaturge, poète, comédien (Saint-Malo, France, 15 novembre 1746 - Montréal, 3 juillet 1809).

Quesnel, Joseph

(Louis) Joseph (Marie) Quesnel. Marchand, compositeur, violoniste, dramaturge, poète, comédien (Saint-Malo, France, 15 novembre 1746 - Montréal, 3 juillet 1809). Suivant la tradition familiale, le jeune Quesnel se fit marin, visitant Pondichéry, Madagascar, la Guinée et le Sénégal au cours d'un voyage de trois ans (1768-71), puis la Guyane française, les Antilles et le Brésil en 1772. En 1779, il commandait le corsaire L'Espoir et il naviguait de Bordeaux à New York, transportant des munitions et des provisions pour les rebelles américains, lorsque le navire fut arraisonné par les Britanniques au large de la Nouvelle-Écosse. Quesnel fut alors amené à Halifax. Lorsqu'on mit Quesnel en présence de sir Frederick Haldimand, gouverneur de Québec qui se trouvait être une connaissance de sa famille, celui-ci le libéra et l'autorisa à s'établir au Canada. Au début de l'année suivante, Quesnel épousa à Montréal une Canadienne, Marie-Josephte Deslandes. L'acte de mariage le décrit comme un « négociant », grossiste ou commerçant. Il est évident que les activités de Quesnel surpassèrent celles du simple marchand général de village dont l' Anthologie des poètes canadiens de Jules Fournier trace le portrait (1920); en fait, il fut un négociant prospère qui exportait des fourrures en France et importait du vin, comme en témoignent un voyage dans la région environnante de Michilimackinac et aux sources du Mississippi (probablement en 1787) et un autre en Angleterre et en France (1788-89). Autant que l'on sache, Quesnel demeura au Canada par la suite, d'abord à Boucherville près de Montréal puis à Montréal avant sa mort. De ses 13 enfants, 2 se firent connaître : Frédéric-Auguste qui fut membre de l'Assemblée législative du Bas-Canada, et Jules-Maurice, explorateur; la ville de Quesnel en Colombie-Britannique a été nommée ainsi en son honneur.

Grâce à son milieu familial et à son éducation, Quesnel avait acquis une connaissance de la littérature française et de la musique. Les pièces de Molière, les écrits de Boileau et un violon auraient été ses fidèles compagnons. Pour compenser la pénurie de divertissements de qualité dans un pays neuf, il employa ses talents d'interprète et de compositeur pour son propre plaisir et celui de ses amis. Il évoqua l'état des choses dans un poème :

J'arrive ici et lors pleins d'affabilité,

Ils exercent pour moi leur hospitalité,

De ce je ne me plains. Mais las! point de musique.

À table ils vous chantoient vieille chanson bachique;

À l'Église c'étoit deux ou trois vieux motets

D'un orgue accompagnés, qui manquoit de soufflets

Cela faisoit pitié! Moi, d'honneur je me pique,

Me voilà composant un morçeau de musique,

Que l'on exécuta dans un jour solennel,

(C'étoit, s'il m'en souvien, la fête de Noel.)

J'y avais mis de tout dans ce morçeau Lyrique,

Du vif, du lent, du gay, du doux, du chromatique,

En bémol, en bécarre, en dièze et caetera,

Jamais je ne brillai autant que ce jour-là.

Hé bien, qu'en advint-il? On traite de folâtre

Ma musique, dit-on, faite pour le théâtre;

L'un se plaint qu'à l'office il a presque dansé,

L'autre dit que l'auteur devrait être chassé.

Chacun tire sur moi et me pousse des bottes,

Le sèxe s'en mêla mais surtout les dévotes :

Doux Jésus, disoit l'une, avec tout ce fracas

Les saint en Paradis ne résisteroient pas!

Vrai Dieu, disoit une autre, à ces cris que éclattent

On croiroit qu'au jubé tous les démons se battent!

Enfin, cherchant à plaire en donnant du nouveau,

Je vis tout mon espoir s'en aller à vau-l'eau.

Pour l'oreille, il est vrai, tant soit peu délicate,

Ma musique, entre nous, étoit bien un peu plate;

Mais leur falloit-il donc des Handels, des Grétrys?

Ma foi, qu'on aille à Londres ou qu'on aille à Paris;

(« Épitre à Mr. Labadie » [extrait], Joseph Quesnel 1749-1809, édité par Michael Gnarowski).

Selon Huston, Quesnel composa des chansons, duos, motets, quatuors et symphonies, mais aucune de ces oeuvres n'a survécu. Subsistent encore, outre plusieurs oeuvres littéraires, les parties vocales de deux opéras, Colas et Colinette et Lucas et Cécile, ainsi que la partie de second violon et le livret du premier. Quesnel écrivit Colas et Colinette à la suite de son séjour en Europe au cours duquel il entendit, probablement à Bordeaux, quelques-uns des opéras français les plus récents. Les oeuvres ravissantes de Quesnel sont parmi les premiers opéras composés en Amérique du Nord. Inspirées des modèles français, elles retiennent l'attention par l'invention mélodique et la sûreté du métier. Colas fut présenté à la scène pour la première fois à Montréal, le 14 janvier 1790 (12 jours avant la création de Così fan tutte de Mozart à Vienne), par le Théâtre de Société, une initiative de Quesnel, Louis Dulongpré et d'autres, lancée en 1789. Lucas était au programme de la saison 1808-09, mais de toute évidence il n'a pas été joué. Problablement écrit après Colas, cet opéra fait preuve de plus de recherche sur le plan musical.

Quesnel continua à écrire des poèmes (dont au moins 34 sont conservés), notamment une « Adresse aux jeunes acteurs du Théàtre de Société à Québec » (1804). Ses pièces de théâtre incluent Les Républicains français ou La Soirée du cabaret, comédie en prose en un acte dans laquelle il exprime sa préférence pour la monarchie britannique, et L'Anglomanie ou Le Dîner à l'anglaise (1802), comédie en vers en un acte dans laquelle il ridiculise ceux qui singent les bonnes manières étrangères. Les Républicains français contient des passages chantés, mais les airs sont empruntés à des mélodies françaises courantes.

La reprise de Colas et Colinette à Québec en 1805 et 1807 et les lettres de Quesnel à l'éditeur John Neilson au sujet de l'impression de la musique de son opéra témoignent de la réputation qu'il avait acquise. Durant plusieurs années, le souvenir du « Père des amours », comme l'avait désigné affectueusement le poète français Joseph Mermet, demeura bien vivace. Le photographe William Notman rappelait en 1868 que Quesnel « avait été dépeint comme un gentilhomme gai de tempérament et aux goûts raffinés, qui était heureux d'apporter de la joie à son prochain ». De fait, le but de Quesnel n'était pas d'atteindre les sommets du Parnasse mais de satisfaire plutôt à un besoin de divertissement salutaire et de promouvoir le goût pour la musique et le théâtre chez ses 10 000 concitoyens vivant alors à Montréal.

Les derniers vers de l'« Épitre à Mr. Labadie »

Prédire l'avenir est ce dont je me pique,

Tu peux en croire enfin mon esprit Prophétique;

Nos noms seront connus un jour en Canada,

Et chantés de Longueuil... jusques... à Yamaska.

sont en effet devenus une réalité, du moins pour Quesnel sinon pour Labadie (un instituteur de la place). Eugène Lapierre s'inspira de la vie de Quesnel pour écrire son opéra-comique Le Père des amours (1942). Colas et Colinette a été présenté plusieurs fois à la suite de sa reprise en 1963 dans une reconstitution de Godfrey Ridout; il a été enregistré et sa partition a été publiée. John Beckwith créa un nouvel accompagnement orchestral pour Lucas et Cécile en vue d'une présentation d'extraits en 1990. John Hare d'Ottawa a commencé à éditer l'ensemble des oeuvres connues de Quesnel. Le Centre de musique canadienne a conféré à Quesnel le statut de compositeur agréé à titre posthume.

Iconographie
Portrait au Château de Ramezay, Montréal.