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Rang canadien

Il trouve son origine dans les premiers défrichements en Nouvelle-France. Dès 1634, le Seigneur Robert Giffard en fait l'expérience sur la côte de Beaupré près de Québec.

Il trouve son origine dans les premiers défrichements en Nouvelle-France. Dès 1634, le Seigneur Robert Giffard en fait l'expérience sur la côte de Beaupré près de Québec. Dans le régime seigneurial, le Roi accorde de grandes étendues de terres, de part et d'autre du fleuve Saint-Laurent et des rivières affluentes; plus de 4 millions d'hectares sont ainsi octroyés pendant le siècle et demi qu'a duré le régime français. Le Seigneur a le devoir d'attirer le plus grand nombre de colons sur ses terres. Pour cela, il doit leur offrir des conditions avantageuses, dont un accès à un cours d'eau pour leur permettre de circuler, de pêcher, de faire paître les animaux et d'autres facilités. De là nait l'idée de diviser les lots en bandes étroites sur le fronteau, 3 ou 4 arpents de large (180 ou 240 m). Ce que le colon perd en largeur, il le gagne en profondeur, 30 à 40 arpents (1,88 à 2,4 km). Cette forme de cadastre permet d'aligner le maximum de propriétés en rang sur le bord de l'eau tout en favorisant le rapprochement des habitations, élément important en ces temps de grande insécurité.

Au début, les rangs n'ont des maisons que sur un côté du chemin, c'est le rang simple. Par la suite, les maisons sont situées des deux côtés du chemin et se font face, c'est le rang double, plus dense et plus sécuritaire. Ainsi est né le Rang canadien dont les caractéristiques sont partout visibles dans le paysage québécois. Ce système cadastral est à l'origine d'une forme d'habitat mi-groupé, mi-dispersé qui convenait fort bien à la mise en valeur d'un pays neuf. D'ailleurs, le Rang canadien sera « exporté »; on le trouve le long de la rivière Rouge au Manitoba, la ville de Détroit en porte encore les marques, de même que le vieux site de Cahokia près de Saint-Louis. Curieusement, les photos aériennes des nouveaux territoires d'Amazonie révèlent, traits pour traits, une forme d'habitat identique à celle du Rang canadien conçu il y a presque quatre siècles sur les berges du Saint-Laurent.

Le Rang canadien a été bien plus qu'un simple système cadastral. À une époque où les déplacements sont lents et difficiles, il constitue un noyau social qui précède même le village. Par les relations de voisinage et de parenté, le rang acquiert une unité et une cohésion sociales qui en feront un milieu de vie primordial sur divers plans. Le rang a son conseiller, son commissaire d'école, son organisateur politique, parfois tous ces titres réunis sur la tête d'un seul homme, l'homme "fort" du rang. La solidarité sociale y est très forte, les échanges de biens et de services, les corvées, les travaux en commun, comme les récoltes, témoignent d'une vie de relations qui s'estompe avec l'essor des moyens de communication. La ruralité québécoise a été marquée par le rang. Le géographe Louis-Edmond Hamelin estime qu'il y a eu jusqu'à 10 000 rangs au Québec. Par ailleurs, il soutient que l'appellation Rang canadien ne correspond ni à la tradition, ni à la géographie et il propose de lui substituer le terme Rang d'habitat, titre d'un livre qu'il a publié sur le sujet.