Quartier chinois de Toronto | l'Encyclopédie Canadienne

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Quartier chinois de Toronto

Le quartier chinois de Toronto, l’un des plus grands d’Amérique du Nord, évolue constamment au rythme des vagues d’immigrants chinois dont la culture, les traditions et les langues sont diverses. (Voir Sino-Canadiens.) Également connu sous le nom de quartier chinois de l’ouest, il s’agit de l’un des trois quartiers chinois de Toronto, qui sont plus nombreux si l’on compte les vastes communautés chinoises implantées dans les proches banlieues, telles que Scarborough et North York, et dans les banlieues lointaines, comme Markham, Mississauga et Richmond Hill.

Parade du jour de la Victoire sur le Japon au quartier chinois, 1945

(avec la permission des archives de la Ville de Toronto/Fonds 257, Séries A, Item 229)

Premier quartier chinois

Sam Ching, qui exploite une blanchisserie au 9, rue Adelaide Est, est le premier Chinois inscrit dans l’annuaire municipal de Toronto en 1878. (Voir aussi Sino-Canadiens.) Après l’achèvement du chemin de fer du Canadien Pacifique en 1885, la discrimination et les préjugés poussent un grand nombre d’immigrants chinois de la Colombie-Britannique vers l’est, à la recherche de travail et d’un endroit plus accueillant. Toronto est l’une de ces destinations.

Bien que plusieurs petites communautés chinoises apparaissent dans les rues George, York et Queen au début des années 1900, le quartier chinois s’enracine dans le Ward, quartier délimité par la rue Yonge, l’avenue University, la rue College et la rue Queen. Comme les autres premiers quartiers chinois du Canada, il se trouve dans la partie la plus pauvre de la ville, près de la gare ferroviaire, séparé de la communauté dominante. (Voir aussi Ségrégation raciale des Canadiens d’origine asiatique.)

Véritable ville dans la ville, le quartier chinois doit sa survie à l’autosuffisance de ses résidents et de ses entreprises. Des associations familiales, de quartier et politiques cimentent ses fondations. L’adhésion à ces organisations s’effectue sur la base de noms de famille communs, de la localité de naissance ou de l’affiliation politique. Véritables carrefours de rencontres sociales, ces organisations fournissent des services essentiels en matière d’emploi, de logement, de financement et de protection. Une autre de leurs responsabilités consiste à s’occuper des nombreux membres décédés dont les dépouilles, jusqu’en 1937, sont souvent rapatriées en Chine.

La société du quartier chinois est principalement formée d’hommes seuls, beaucoup plus nombreux que les femmes. La plupart de ces hommes sont mariés, mais leurs épouses et leurs familles sont restées en Chine. Le rapport est de 18 hommes pour une femme, avec seulement 13 familles au total. Le déséquilibre entre les sexes est attribuable à la taxe d’entrée imposée aux immigrants chinois au Canada et à la Loi de l’immigration chinoise de 1923. (Voir aussi Politique d’immigration canadienne.) Même si Toronto possède le troisième plus grand quartier chinois du Canada en 1941, la population chinoise demeure faible (2 326 habitants). (Voir aussi Quartier chinois de Montréal.)

88-98 Rue Elizabeth, 1937

(avec la permission des archives de la Ville de Toronto/ Séries 372, sous-série 33, item 175)

Loin de l’unique blanchisserie de Sam Ching en 1878, le nombre de blanchisseries chinoises explose dans le quartier chinois et dans toute la ville. Au début du 20e siècle, on en compte 95, soit les trois quarts de toutes les blanchisseries de Toronto. Les pressions exercées par l’association des blanchisseurs, composée de propriétaires de commerces blancs, aboutissent à l’imposition d’une redevance municipale en 1902 pour mettre un terme à la prolifération des blanchisseries chinoises.

Les restaurants et les cafés sont les commerces les plus populaires après les blanchisseries, même si l’on trouve également des épiceries, des salons de coiffure et des magasins vendant des produits importés et des thés. Sing Tom, le premier restaurant chinois, ouvre ses portes en 1901 au 37½ rue Queen Ouest. En 1923, on compte 202 restaurants chinois dans le quartier chinois et en dehors. Le nombre croissant d’entreprises chinoises incite à la promulgation d’une loi provinciale en 1914 interdisant aux Chinois d’embaucher des employées « blanches » dans les usines, les blanchisseries et les restaurants. De nombreux politiciens canadiens entretiennent des croyances racistes selon lesquelles les Chinois sont amoraux et les femmes blanches doivent être protégées des employeurs chinois.

Société de célibataires, 1923

(Photo de John Boyd/Bibliothèque et Archives Canada/PA 086020)

Les hommes seuls qui composent la société du quartier chinois trouvent du réconfort dans quelques activités. Après leur longue journée de travail et en l’absence de vie de famille, nombreux sont ceux qui se consolent avec le jeu. Les associations familiales, de quartier et politiques offrent des lieux de rencontre, de socialisation et de célébration des fêtes. Des organisations culturelles, telles que la Chinese United Dramatic Society, proposent des formations et des spectacles de musique et d’opéra cantonais. Dès 1894, les églises chrétiennes tendent la main aux nouveaux arrivants chinois pour leur enseigner l’anglais.

Contrairement au quartier chinois de Vancouver, les incidents violents sont généralement rares, à l’exception d’une émeute qui secoue le quartier chinois en 1919. Selon les reportages, des soldats auraient été maltraités dans un café chinois de la rue Elizabeth. Le lendemain, une foule en colère de 400 hommes et adolescents vandalise le quartier chinois en guise de représailles.

Années de guerre

Pendant la Deuxième Guerre mondiale, la déclaration de guerre contre le Japon en 1941 unit la communauté. Le Canada et la Chine partagent désormais un ennemi commun : le Japon. La communauté chinoise se mobilise pour recueillir des fonds et soutenir l’effort de guerre. Les recettes des spectacles d’opéra cantonais, des quêtes publiques, des emprunts de la Victoire et d’autres campagnes de financement contribuent au trésor de guerre. Le 15 août, jour de la Victoire sur le Japon, la guerre dans le Pacifique prend fin. Des milliers de personnes envahissent le quartier chinois pour assister à une parade festive avec des chars et des danses de lion chinois.

La fin de la guerre marque un tournant décisif pour la communauté chinoise au Canada. La Loi de l’immigration chinoise est abrogée en 1947, mettant fin à 24 ans d’exclusion. Les Chinois du Canada obtiennent le droit de vote aux niveaux provincial et fédéral. Ils peuvent désormais se présenter aux élections et exercer des professions dans les domaines du droit et de la pharmacie. Le premier avocat sino-canadien du Canada, K. Dock Yip, ouvre son cabinet dans le quartier chinois. Tom Lock est le premier pharmacien sino-canadien à ouvrir une pharmacie dans le quartier chinois.

Malgré l’abrogation de la loi d’exclusion, il existe toujours des clauses qui freinent le regroupement des familles chinoises. C’est seulement en 1967, avec l’introduction du système de points, que les politiques d’immigration racistes à l’encontre des immigrants chinois sont supprimées. La réunification des familles chinoises met fin à l’ère de la société des hommes seuls. (Voir aussi Immigration au Canada.)

Quartiers chinois de Toronto

Le quartier chinois commence à se développer avec l’afflux d’immigrants chinois. (Voir aussi Sino-Canadiens.) Au même moment, cependant, la Ville de Toronto approuve un projet, sans consultation publique, de construction d’un nouvel hôtel de ville et d’une place publique. En 1958, les deux tiers du quartier chinois sont expropriés; des entreprises, des maisons et d’autres bâtiments sont rasés.

Terrain exproprié pour la construction du nouvel hôtel de ville et de la nouvelle place publique

(avec la permission des archives de la Ville de Toronto/RG1 Reports, Box 9, Hall and Square Conditions of Competitions, 1959-1967)

Après l’ouverture du nouvel hôtel de ville en 1965, la ville prévoit s’emparer d’autres terrains appartenant à ce qui reste du quartier chinois. Cette fois, la communauté chinoise se défend. En 1967, le comité Save Chinatown, composé de dirigeants d’organisations chinoises et mené par Jean Lumb, réussit à empêcher toute nouvelle expropriation. Les propositions de développement ultérieures, en 1970 et 1975, n’aboutissent pas non plus.

Aujourd’hui, le quartier chinois – désormais connu sous le nom d’ancien quartier chinois – se réduit à une poignée de restaurants, de boulangeries et de magasins chinois. L’association Lee et Lem Si Ho Tong sont les seules associations familiales restantes. Une plaque de Heritage Toronto située sur le côté ouest du nouvel hôtel de ville rend hommage au premier quartier chinois de Toronto. Au Downtown Diversity Garden de la rue Elizabeth, une plaque de la Fiducie du patrimoine ontarien rend hommage à Jean Lumb.

Quartier chinois de l’ouest

Après la démolition de la majeure partie du quartier chinois, les entreprises et les résidents chinois déplacés migrent vers l’ouest, le long de la rue Dundas, en direction de l’avenue Spadina. Là-bas, ils louent ou achètent des propriétés libérées par la communauté juive. La partie sud de l’avenue Spadina, autrefois le centre d’une industrie du vêtement florissante, est de plus en plus occupée par des travailleuses du vêtement chinoises. En 1971, près de la moitié des résidents sont chinois. Ce quartier est désormais connu sous le nom de quartier chinois de l’ouest.

Quartier chinois de l'ouest

(avec la permission des archives de la Ville de Toronto/Séries 1465, Fichier 759, Item 2)

Quatre vagues d’immigration successives accroissent la population du quartier chinois de l’ouest. (Voir aussi Immigration au Canada.) Le premier groupe quitte Hong Kong dans les années 1960 et 1970 en raison des troubles civils, du surpeuplement dû au grand nombre de réfugiés de Chine continentale, des émeutes et des typhons. L’annonce de la rétrocession de Hong Kong à la Chine par les Britanniques en 1984 et les inquiétudes suscitées par les événements de la place Tiananmen en 1989 convainquent de nombreux autres Chinois d’émigrer. Ceux dont les moyens financiers le permettent se tournent vers le Canada comme lieu sécuritaire pour leur famille et leur argent. La Loi sur Investissement Canada de 1985 incite également les investisseurs et les entrepreneurs à présenter une demande d’immigration à titre de gens d’affaires susceptibles d’apporter des capitaux importants. Hong Kong est la principale source d’immigrants de Toronto entre 1993 et 1997.

La deuxième grande vague de nouveaux arrivants à Toronto est composée de réfugiés fuyant le Vietnam, le Cambodge et le Laos. (Voir Canadiens d’origine vietnamienne; Canadiens d’origine cambodgienne; Canadiens d’origine laotienne.) À la fin des années 1980, les programmes de parrainage gouvernementaux et privés permettent à 200 000 réfugiés indochinois d’entrer au Canada. (Voir Réponse canadienne à la crise des réfugiés de la mer.) Les immigrants d’origine chinoise représentent 40 % des Vietnamiens, 25 % des Cambodgiens et 20 % des Laotiens. À la même époque, la troisième vague d’immigrants commence à arriver de Taïwan en raison de troubles civils et de la crainte que le pays perde son indépendance au profit de la Chine continentale. La quatrième et plus importante vague vient de la République populaire de Chine après qu’elle ouvre ses portes à l’émigration en 1985. En 2016, la Chine représente la plus grande source d’immigration à Toronto.

Du fait de ses antécédents migratoires, la composition du quartier chinois de l’ouest passe d’une communauté homogène à une communauté diversifiée. La diaspora chinoise comprend des personnes de tous les milieux, de toutes les professions et de tous les types d’entreprises. Une nouvelle classe moyenne sino-canadienne s’installe avec des connexions mondiales et un esprit d’entreprise. À ce brassage s’ajoutent les Chinois nés au Canada, les Loh Wah Kiu (vieux Chinois d’outre-mer dans le dialecte taishanais), et les étudiants internationaux d’origine chinoise. Ils ont des caractéristiques physiques chinoises, mais ils parlent différemment. Le taishanais est le dialecte dominant dans l’ancien quartier chinois et dans le quartier chinois de l’ouest jusqu’aux années 1960. Il est remplacé par le cantonais parlé par les immigrants de Hong Kong. Le mandarin est de plus en plus répandu en raison de l’afflux de nouveaux arrivants et d’entreprises de Chine, de Taïwan et de Singapour. À l’exception de l’anglais, le mandarin et le cantonais sont les langues les plus parlées à Toronto.

Au fil des ans, le quartier chinois de l’ouest doit relever de nombreux défis. Il est notamment menacé de développement et d’expropriation par l’Université de Toronto, Ontario Hydro, les services de police de Toronto et les promoteurs immobiliers. En 2003, le SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère) entraîne la fermeture de nombreux commerces et suscite un sentiment anti-asiatique. La concurrence des développements commerciaux dans les banlieues proches et lointaines de Toronto fait fuir les investisseurs et les professionnels. Parmi les défis plus récents, citons la COVID-19, le développement, l’augmentation de la valeur des propriétés, le vieillissement des bâtiments et l’embourgeoisement. Ces problèmes menacent l’accessibilité, l’inclusion et les espaces communautaires pour les personnes âgées, les locataires, les nouveaux arrivants ainsi que les petites entreprises familiales. La CBIA (Chinatown Business Improvement Area) s’efforce de créer un centre dynamique d’activités sociales, culturelles et commerciales, notamment en améliorant le paysage de rue et en organisant des événements communautaires. Des peintures murales commandées par la CBIA sont réparties dans tout le quartier chinois de l’ouest, notamment des représentations de la Grande Muraille de Chine et de la Cité interdite dans la ruelle Jean Lumb.

Quartier chinois de l’est

Au cours des années 1970, un troisième quartier chinois, plus petit, voit le jour tout à l’est de Toronto, à l’angle de l’avenue Broadview et de la rue Gerrard, où les prix des loyers et de l’immobilier sont plus abordables que dans le quartier chinois de l’ouest. Les nouveaux arrivants chinois s’y installent, rejoints plus tard par une importante population vietnamienne. Le quartier est également connu sous le nom de Petite Saigon. L’ouverture d’un supermarché T&T au sud, dans le quartier Port Lands de Toronto, attire les clients du quartier chinois. Plus récemment, des restaurants et des magasins non asiatiques ont remplacé des magasins chinois. L’évolution démographique montre également une diminution de la densité des résidents chinois.  

Des œuvres telles que l’arcade Zhong Hua Men sur la rue Gerrard, la statue de bronze du Dr Sun Yat-sen au parc Riverdale et une série de sept peintures murales représentant des monuments du monde entier, comme la Grande Muraille de Chine, sont autant de curiosités du quartier. La Chinese Chamber of Commerce de l’est de Toronto a travaillé sur ces projets et d’autres initiatives d’embellissement du quartier.

L'arcade Zhong Hua Men du quartier chinois de l'est

(Photo de Lou Manning)

Banlieues ethniques

La tendance à quitter l’ancien quartier chinois, le quartier chinois de l’ouest et le quartier chinois de l’est pour s’installer dans les banlieues proches et lointaines s’amorce dans les années 1980, en grande partie à cause de l’ouverture d’un centre commercial sur le thème de l’Asie à Scarborough. Malgré les manifestations anti-asiatiques et la distribution de littérature haineuse (Voir Racisme), le Dragon Centre connaît un tel succès que d’autres centres commerciaux sur le thème de l’Asie donnent naissance à un nouveau modèle d’entreprises et de résidences chinoises dans les banlieues proches de Scarborough et de North York, et dans les banlieues lointaines de Markham, Richmond Hill et Mississauga.

Comme des groupes de résidents et d’entreprises chinoises s’installent autour de ces centres commerciaux, ces secteurs sont également appelés des quartiers chinois. Nombreux sont ceux qui affirment que ces quartiers chinois satellites ou suburbains, si différents des trois quartiers traditionnels du centre-ville de Toronto, sont mal nommés. Les éléments manquants sont les trottoirs bondés, les vendeurs ambulants, les embouteillages, le manque d’espaces de stationnement et les transports en commun. La notion de banlieue ethnique (« ethnoburb » en anglais, terme forgé par Wei Li) est sans doute plus appropriée. Une banlieue ethnique correspond à une zone suburbaine où se regroupent les résidences et les entreprises d’un groupe ethnique. Contrairement aux quartiers chinois des centres-villes qui ont connu une histoire de marginalisation culturelle, les banlieues ethniques sont le fruit de la santé économique et du pouvoir d’achat.