Warren, Samuel Russell
Samuel Russell Warren. Facteur d'orgues (Tiverton, R.I., 29 mars 1809 - Montréal, 30 juillet 1882). Samuel Russell Warren fut la figure la plus remarquable de la facture d'orgues au Canada au cours du XIXe siècle. Après son émigration des États-Unis, il s'établit comme facteur d'orgues à Montréal en 1836. À sa mort en 1882, il avait construit plus de 350 orgues à tuyaux en usage partout au Canada et aux États-Unis. Son introduction au Canada des flûtes harmoniques, des anches libres et des jeux d'orchestre compte parmi ses réalisations les plus notables. Il fut le premier au Canada à adopter vers 1851 le levier pneumatique Barker et le premier à utiliser les soufflets hydrauliques, en 1860-61 à la chapelle wesleyenne de Montréal. Il breveta plusieurs de ses inventions, dont une pour un piano et d'autres pour « un orgue miniature amélioré », « un registre à glissière amélioré » pour orgue et un « régulateur pneumatique de la touche ». Assisté de ses frères, Thomas D. et William Henry, il fabriquait parfois sa propre tuyauterie mais il importait aussi des pièces de fournisseurs de France et d'Allemagne.
Samuel Russell Warren était le fils d'un menuisier, Samuel Warren, et un descendant de Richard Warren qui vint en Amérique du Nord en 1620 à bord du Mayflower. Son oncle était Russell Warren, un architecte du Rhode Island, considéré comme l'un des principaux bâtisseurs de la Nouvelle-Angleterre entre 1828 et 1860; il planifia des églises, des banques et des édifices publics. Samuel Russell avait deux frères, Thomas D., aussi facteur d'orgues, et William Henry, un organiste.
S.R. Warren travailla de temps à autre pour Thomas Appleton de Boston, où il reçut sa formation comme facteur d'orgues au début des années 1830. Il est inscrit dans les répertoires de Providence, R.I., comme menuisier (1826-28), comme musicien (1830-32) et comme facteur d'orgues (1836). Il aurait construit au moins trois orgues à tuyaux aux É.-U. avant d'émigrer à Montréal en 1836. Ces instruments se trouvaient à Charleston, Car.S. (1830), à Newport, R.I. (1834), et à Providence, R.I. (1835). Après s'être fixé à Montréal, S.R. Warren construisit un orgue pour l'église paroissiale de Rigaud, Québec, en 1836. L'année suivante, il s'associa à George W. Mead comme partenaire sous la raison sociale de Mead & Warren. Ce partenariat, d'abord annoncé dans La Minerve du 27 janvier 1837, fut cependant de courte durée et l'association fut dissoute quelques mois plus tard. Mead & Warren construisirent ensemble un orgue pour Sherrington, Québec, un modeste instrument à deux claviers manuels avec un registre de 54 notes et un pédalier de 18 notes.
S.R.Warren constitua ensuite sa propre compagnie pour construire des orgues à tuyaux et des harmoniums et vendit éventuellement des séraphins, des accordéons et des flûtes. Dans le répertoire de Montréal (1842-45), S.R. Warren était inscrit comme manufacturier d'orgues et de pianofortes dans un atelier situé rue Dorchester près de Saint-Constant, porte voisine de l'hôpital anglais. Durant ces années, il construisit des orgues pour l'église presbytérienne américaine (1843), Saint George's (1843) et Saint-Thomas (1845), toutes à Montréal. D'autres orgues furent fabriquées pour des églises du Québec, à Saint-Ours (1841), Saint-Isidore-de-Laprairie (1842) et Boucherville (1846); et il effectua des réparations aux instruments de Grondines et de l'église anglicane de Dunham (1847). En 1848, il construisit des orgues pour l'Hôpital général de Montréal et pour les Soeurs grises, ce dernier inauguré le 8 juin 1848. En 1849, Samuel Russell Warren était inscrit comme manufacturier d'orgues d'église et de salon, de pianofortes, d'« aéolophones » et d'harmoniums, dans une boutique sise au 10, rue Saint-Joseph. Le 1er mai 1857, il annonçait dans La Patrie qu'il avait agrandi son atelier maintenant situé aux 18-20, rue Saint-Joseph. En même temps, il annonçait son coupleur d'octave nouvellement breveté et l'insertion du jeu de tuba dans les orgues d'église. En 1867, l'adresse de sa manufacture était au 32, rue Saint-Joseph. L'atelier y demeura jusqu'en 1871 alors qu'il déménagea à l'ancienne église Saint George's située au 51, rue Saint-Joseph. Parmi les orgues qu'il fabriqua à cette époque, il faut citer celles des églises : de Lotbinière, 1849; Saint Patrick's et Bonsecours à Montréal, 1850; cathédrale Saint James' à Toronto (considéré comme le plus grand instrument au Canada à cette époque), Saint-Jean-Baptiste à Québec, et de Kamouraska, 1853; anglicane Saint Stephen's à Chambly, 1855; Saint-Pierre-Apôtre et Notre-Dame à Montréal, 1858; Saint-Roch-de-l'Achigan, Trinity (carré Viger) à Montréal (34 jeux), et chapelle wesleyenne à Montréal (33 jeux), 1861; Saint-Jean-Baptiste-de-Rouville, 1862; Saint John the Evangelist, 1863; Saint James the Apostle, 1864; Saint-Enfant-Jésus du Mile-End à Montréal, 1869; anglicane Trinity à Dorchester, N.-B. (8 jeux), 1870; et du carré Chaboillez, rue de l'Inspecteur à Montréal, 1871.
D'autres grands instruments mécaniques qui ont été détruits ou incorporés dans des instruments plus récents furent construits pour les églises : méthodiste du carré Dominion (30 jeux); presbytérienne de la rue Crescent (39 jeux); Saint Martin (31 jeux); presbytérienne Knox (22 jeux); First Baptist (25 jeux); congrégationnelle Emmanuel (28 jeux); et épiscopalienne Saint Edward's (16 jeux), toutes à Montréal.
Dans un compte rendu de l'installation du nouvel orgue de la chapelle wesleyenne de Montréal en 1861, il était mentionné que S.R. Warren avait construit 25 orgues pour livraison aux États-Unis et 175 orgues pour installation au Canada, dont 23 à Montréal seulement. En 1857, on rapportait que Warren avait installé son 350e instrument.
En 1857, l'église Notre-Dame de Montréal, nouvellement construite, avait besoin d'un orgue; on choisit S.R. Warren pour le construire. Cet instrument à traction mécanique devait être son chef-d'oeuvre; il consistait en 4 claviers manuels avec un registre de 56 notes à chaque clavier et un pédalier de 2 1/2 octaves. Il devait avoir 89 jeux et 4694 tuyaux, dont le plus considérable, métallique à la pédale - flûte ouverte, mesurait 32 pieds. On estimait que le coût de l'instrument serait de 4000 à 5000 livres sterling anglaises. La paroisse hélas ne disposait que de 800 £, mais la construction fut néanmoins entreprise en novembre 1857. Au moment de l'inauguration, le 24 juin 1858, seulement deux claviers manuels et une partie du pédalier étaient complétés. En tout, il n'y avait que 18 jeux d'installés, totalisant 1018 tuyaux. Durant les quelques années qui suivirent, on fit des ajouts, mais l'instrument ne fut jamais achevé selon les plans originaux à cause d'un manque de fonds. En février 1861, on pouvait lire dans le Montreal Herald : « Qu'est-ce qui empêche de finir la construction de cet instrument? - Ce n'est certainement pas le manque de fonds? Tel qu'il se présente aujourd'hui - nu, découvert, incomplet - il est un blâme pour l'église et loin d'être un crédit au constructeur. » Parmi ceux qui s'objectaient à laisser l'instrument inachevé figuraient Paul Letondal, et Louis Mitchell, un ancien employé de Warren. Un rapport sur la construction de l'orgue, paru en 1861, ne fit qu'ajouter à la controverse qui se prolongea jusqu'en 1864. En 1863, S.R.Warren publia un document de 30 pages concernant la construction de l'orgue de Notre-Dame en réponse aux nombreuses insinuations et attaques dont sa compagnie et lui avaient été l'objet. Pendant la controverse, La Minerve publia le 29 décembre 1863 une lettre des employés de Warren; ils y affirmaient que Warren avait été un employeur généreux, les rémunérant même lorsqu'il y avait des périodes creuses; ils y mentionnaient aussi que tous les matériaux utilisés dans la fabrication des orgues avaient été achetés au Canada, ce qui conservait les emplois et l'argent au Canada, contrairement à d'autres facteurs d'orgues qui achetaient leur tuyauterie et accessoires aux États-Unis. Joseph S. Coron fut l'un des signataires; il allait plus tard ouvrir sa propre entreprise de facture d'orgues, mais il fut d'abord accordeur et réparateur d'orgues dans la région de Montréal durant les années 1880.
Après 1865, quand Louis Mitchell et Charles Forté étaient à compléter la reconstruction de l'orgue de la cathédrale Notre-Dame de Québec, une nouvelle génération de facteurs canadiens-français commença à contester la suprématie de Warren dans ce domaine.
Des enfants de Samuel Russell Warren, seul Charles Sumner s'était joint à la firme de son père. L'entreprise fut enregistrée le 2 novembre 1866 sous le nom de S.R. Warren & Company, changé pour S.R.Warren & Son le 17 novembre 1876. En 1878, l'entreprise déménagea à Toronto. Les orgues construites durant cette période étaient destinées aux églises : presbytérienne américaine, Montréal, 1873; presbytérienne Erskine, Montréal (32 jeux), 1875; méthodiste metropolitaine, Toronto, 1875; et Saint-Gabriel, rue Sainte-Catherine à Montréal, 1878-79. Charles Sumner prit la direction de la firme quand son père mourut d'une maladie de coeur à 73 ans. Samuel Russell Warren fut inhumé au cimetière du Mont-Royal de Montréal le 2 août 1882.
Pendant toute sa vie, S.R. Warren montra dans son oeuvre une préférence de plus en plus marquée pour l'orgue français. Il était familier avec l'oeuvre de Clicquot et il pouvait citer en connaissance de cause des extraits du traité de dom Bédos de 1766, L'Art du facteur d'orgues. Il correspondait aussi avec Aristide Cavaillé-Coll, particulièrement en ce qui concernait le devis proposé pour l'orgue de Notre-Dame et la controverse au sujet de l'emploi du zinc pour les registres graves des divers rangs de jeux de cet orgue.
Il ne reste qu'une poignée des quelque 350 orgues à tuyaux attribuées à Samuel Russell Warren. On peut les trouver à Chambly, Frelighsburg et Clarenceville, Québec; Dorchester, N.-B., et Tignish, Î.-P.-É. Un mélodéon de 4 jeux, datant des environs de 1865, se trouve au musée du temple de Sharon au nord de Toronto. À Montréal, il n'existe aucun orgue de Warren qui n'ait été altéré. On peut, par contre, voir des tuyaux et des sommiers provenant des premiers instruments de Warren dont certains ont été reconstruits par d'autres facteurs.
Voir aussi Samuel Prowse Warren, son fils aîné.