Depuis sa promulgation en 1867, la Loi sur les Indiens a eu des conséquences importantes sur les cultures, les systèmes de gouvernance, les sociétés et les modes de vie autochtones. Elle contenait, en outre, des dispositions discriminatoires défavorisant plus particulièrement les femmes des Premières Nations. Jusqu’en1985, les femmes qui avaient un statut d’Indienne et qui épousaient des hommes non dotés de ce statut perdaient leurs droits liés à leur statut. En revanche, la réciproque n’était pas vraie, les hommes ne perdant pas leur statut en épousant des femmes qui n’en détenaient pas. S’il est vrai que le projet de loi C‑31 a rétabli, en 1985, les droits liés au statut de nombreuses femmes, il n’en demeure pas moins que la Loi, continuant à privilégier les lignées masculines, conservait son caractère discriminatoire. En 2011 et en 2017, des amendements ont été apportés à la Loi, en vue de résoudre ces problèmes. En 2019, le gouvernement fédéral a fait entrer en vigueur le restant du projet de loi S‑3, visant à remédier aux inégalités discriminatoires à l’égard des femmes qui persistaient dans la Loi sur les Indiens. (Voir aussi Questions relatives aux femmes autochtones.)
Loi sur les Indiens : 1876 à 1951
En 1876, la Loi sur les Indiens définit un Indien comme « toute personne de sang indien ». Le statut d’Indien se transmet par les hommes, ce qui signifie que les enfants des Indiens inscrits ont également des droits, en vertu de la Loi.
La Loi sur les Indiens s’avère désavantageuse pour les femmes et pour les lignées féminines; en effet, les femmes ayant un statut d’Indienne perdent, ainsi que leurs éventuels futurs enfants, les droits qui y sont liés, lorsqu’elles épousent un homme non doté de ce statut. En revanche, un homme ayant le statut d’Indien le conserve lorsqu’il se marie avec une femme qui ne l’a pas. En fait, dans une relation de ce type, l’épouse et les éventuels enfants du couple obtiennent, à la suite du mariage, les droits liés au statut d’Indien du mari et du père.
D’autres dispositions de la Loi vont également à l’encontre de l’exercice du pouvoir par les femmes. Elles interdisent, par exemple, à ces dernières de participer au système des bandes, le nouveau système de gouvernance institué par la Loi qui remplace, pour les Autochtones, d’autres modèles de gouvernance, dont certains intégraient les femmes. La Loi refuse, en outre, aux femmes le droit de posséder des biens matrimoniaux. Dans ce cadre, lorsqu’un mari quitte sa femme ou lorsque le couple divorce, l’épouse ne peut pas rester au domicile conjugal. En 1884, la Loi est modifiée pour permettre aux hommes de transférer des biens matrimoniaux à leur épouse dans leur testament. Cependant, avant que cette transaction ne puisse prendre effet, un agent des Indiens doit garantir la « bonne moralité » de l’épouse.
Nouvelle Loi sur les Indiens en 1951
Au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, pour la première fois dans l’histoire du pays, le gouvernement canadien consulte les collectivités des Premières Nations, dans le cadre d’un comité mixte, en vue de modifier la Loi sur les Indiens. Une nouvelle version de la Loi reçoit la sanction royale en 1951. La refonte de la Loi supprime certaines des restrictions politiques, culturelles et religieuses les plus choquantes. Par exemple, il n’est désormais plus interdit aux Premières Nations de pratiquer certaines cérémonies comme le potlatch et la danse du soleil. La Loi sur les Indiens de 1951 donne aux femmes des Premières Nations la possibilité de voter aux élections des conseils de bande. Elsie Marie Knott est la première femme à être élue chef d’une Première Nation au Canada. (Voir aussi Les femmes autochtones et le droit de vote.)
Cependant, la nouvelle Loi n’améliore en rien les conditions du statut d’Indienne. En 1951, la Loi remplace le concept de « sang indien » par la notion d’Indien inscrit. Autrement dit, une ascendance parmi les Premières Nations n’est plus suffisante pour conférer le statut d’Indien. La nouvelle version de la Loi privilégie toujours les lignées masculines. Les femmes qui épousent un homme non inscrit continuent à être privées de leurs droits liés à leur statut d’Indienne, tout comme leurs enfants, conformément à l’alinéa 12(1)b) de la Loi sur les Indiens stipulant qu’une femme qui a épousé une personne qui n’est pas un Indien… [n’a] pas le droit d’être inscrite. Le droit de posséder et d’hériter d’un bien se trouvant sur une réserve est l’un de ces droits liés au statut d’Indien. En outre, la Loi de 1951 introduit la règle « mère–grand‑mère » qui enlève son statut à une personne dont la mère et la grand‑mère ont acquis leur statut par mariage.
Indignées par la discrimination sexiste de la Loi sur les Indiens, de nombreuses femmes autochtones se battent pour récupérer leurs droits liés au statut d’Indienne. Yvonne Bédard et Jeannette Corbiere Lavell, qui ont, toutes deux, été privées de leur statut en raison d’un mariage, intentent des poursuites contre le gouvernement canadien devant les tribunaux. En 1973, leurs affaires fusionnent devant la Cour suprême du Canada, dont la décision fait l’objet de très larges critiques. En effet, elle estime que la disposition de la Loi liant le statut d’une femme à celui de son mari n’est pas discriminatoire pour les femmes, et ce, même si les hommes disposant du statut d’Indien, le conservent, eux, même lorsqu’ils épousent une femme non inscrite (voir aussi Affaire Bédard et Affaire Lavell).
En 1981, la Commission des droits de l’homme des Nations Unies juge que le Canada a contrevenu à l’article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dans l’affaire Sandra Lovelace Nicholas, une femme wolastoqiyik ayant perdu son statut par mariage. Le gouvernement avait empêché la jeune femme de retourner sur la réserve où elle était née et où elle avait grandi, parce que, selon la Loi sur les Indiens, elle n’était plus considérée comme membre de sa bande d’origine, en raison de son mariage.
Les efforts de femmes comme Yvonne Bédard, Jeannette Corbiere Lavell et Sandra Lovelace Nicholas ont joué un rôle essentiel dans la révision de la Loi sur les Indiens entrée en vigueur en 1985.
Projet de loi C‑31 : amendements de 1985
En 1985, le projet de loi C‑31 modifie la Loi sur les Indiens, en vue d’en éliminer les dispositions discriminatoires à l’égard des femmes et de la mettre en conformité avec la Charte canadienne des droits et libertés. La Loi amendée permet aux femmes n’ayant pas épousé un Indien inscrit et à celles ayant perdu, pour d’autres raisons, leur statut d’Indienne, ainsi que les droits et les avantages qui en découlent, de demander le rétablissement de leur statut et de leurs droits, et autorise également leurs enfants à demander le statut d’Indien inscrit. Désormais, les femmes ne sont plus obligées de suivre leur mari dans l’acquisition ou dans la perte du statut d’Indien.
Depuis l’entrée en vigueur des modifications de la Loi sur les Indiens de 1985, le nombre d’Indiens inscrits a plus que doublé, passant d’environ 360 000, en 1985, à plus de 778 000, en 2007. Cette augmentation est non seulement due à un solde démographique naturel, mais également au rétablissement du statut d’Indien d’un grand nombre de personnes qui l’avaient perdu.
Cependant, s’il est vrai que cette version amendée traite la question de la discrimination contre les femmes, il n’en demeure pas moins qu’elle crée également d’autres problèmes. En inscrivant ces femmes, et souvent leurs enfants, sur la liste des membres des bandes des Premières Nations, le gouvernement accroît les pressions exercées sur des terres et sur des fonds déjà largement sollicités, et ce, afin de servir un plus grand nombre de personnes. Cette situation ne va pas sans provoquer du ressentiment, voire des réactions brutales, de la part de membres des Premières Nations, vis‑à‑vis des nouvelles et des nouveaux venus.
Le projet de loi C‑31 crée, en outre, deux catégories d’Indiens inscrits, avec des conséquences sur le nombre de personnes pouvant se prévaloir des droits liés au statut. La première catégorie, définie au paragraphe (6)1 de la Loi et souvent désignée par ce numéro, concerne les personnes dont les deux parents ont ou avaient le droit d’être inscrits. (Cette catégorie est, elle‑même, divisée en plusieurs sous‑catégories, relevant de différents alinéas, qui diffèrent en vertu de la façon dont le statut est transmis héréditairement.) La deuxième catégorie, définie au paragraphe 6(2) de la Loi et souvent désignée par ce numéro, s’applique lorsqu’un seul parent a droit à l’inscription en vertu du paragraphe 6(1), le statut d’Indien ne pouvant pas être transmis si le parent en question est lui‑même inscrit en vertu du paragraphe 6(2). En d’autres termes, après deux générations de mariages mixtes avec des partenaires non inscrits, les enfants ne sont plus admissibles au statut d’Indien. C’est ce que l’on appelle la règle « d’inadmissibilité de la deuxième génération ».
En outre, pour qu’un enfant soit inscrit, le nom de la mère et du père doivent être mentionnés sur le certificat de naissance. Si le nom du père ne figure pas sur ce document, on suppose qu’il n’est pas inscrit. Dans de telles situations, les enfants nés de femmes inscrites en vertu du paragraphe 6(2) ne sont pas admissibles au statut d’Indien. La version amendée de la Loi limite donc considérablement la possibilité de transférer le statut d’Indien à ses enfants.
Projet de loi C‑3 : amendements de 2011
Des femmes poursuivent la lutte contre les discriminations sexistes de la Loi sur les Indiens, notamment Sharon McIvor. Cette dernière a vu son statut d’Indienne rétabli en vertu de l’alinéa 6(1)(c) de la Loi sur les Indiens de 1985. Cependant, son fils, étant inscrit en vertu du paragraphe 6(2), ne peut pas, lui‑même, transmettre son statut à ses propres enfants. Sharon McIvor soutient qu’une telle disposition est discriminatoire. Elle explique que les droits liés au statut d’Indien de ses enfants ne sont pas équivalents à ceux des enfants d’un homme, et ce, uniquement parce qu’elle est une femme : ses petits‑enfants ne se verront pas conférer le statut d’Indien en vertu de la Loi.
Le projet de loi C‑3 est la réponse du gouvernement à l’affaire McIvor. Il accorde le statut d’Indien, en vertu du paragraphe 6(2), aux petits‑enfants des femmes ayant retrouvé leur inscription en 1985. Cependant, le projet de loi C‑3 n’élimine pas complètement toute forme de discrimination dans la Loi. Les descendants de femmes, en particulier les arrière‑petits‑enfants, n’ont pas, dans des circonstances similaires, les mêmes droits que les descendants d’hommes. Par conséquent, certaines personnes peuvent encore se voir refuser des droits liés au statut en raison de leur sexe, ce qui est discriminatoire.
Projet de loi S‑3 : amendements de 2017
Le projet de loi S‑3 a été proposé en réponse à une autre affaire judiciaire en matière de discrimination en vertu de la Loi sur les Indiens, l’affaire Descheneaux, de 2015, qui traite de la façon dont le statut d’Indien est transmis à des cousins et à des cousines, ainsi qu’à des frères et à des sœurs.
Le projet de loi S‑3 entre partiellement en vigueur le 22 décembre 2017. Parmi d’autres dispositions, la Loi amendée permet à davantage de personnes de transmettre leur statut à leurs descendants et rétablit le statut de ceux qui l’avaient perdu avant 1985. Elle fournit, par exemple, les moyens d’inscrire des personnes nées de père inconnu et qui, mineures non mariées entre 1951 et 1985, ont été touchées par les règles d’inscription alors en vigueur.
L’autre partie du projet de loi, relative au rétablissement du statut des femmes l’ayant perdu avant 1951 (en vertu de ce que l’on appelle la « date limite de 1951 »), et du statut de leurs descendants, entre en vigueur le 15 août 2019. Selon le gouvernement : « Toutes les iniquités connues fondées sur le sexe de la Loi sur les Indiens ont désormais été corrigées. »
Importance
Au Canada, les femmes des Premières Nations ont longtemps été désavantagées et marginalisées par la Loi sur les Indiens. Grâce au leadership de femmes comme Yvonne Bédard, Jeannette Corbiere Lavell, Sandra Lovelace Nicholas et Sharon McIvor, la Loi est devenue plus inclusive et plus juste.
Cependant, nombreux sont les Autochtones qui considèrent que la Loi sur les Indiens, qui définit toujours un statut d’Indien, reste problématique. Alors que certains Autochtones estiment que ce statut a une place légitime dans le cadre de la législation fédérale, d’autres lui reprochent de constituer une identité juridique définie et imposée par le gouvernement fédéral plutôt que par les nations autochtones elles‑mêmes.