Les mouvements de femmes (ou mouvements féministes) de 1985 à aujourd’hui – parfois désignés comme féminisme de troisième ou quatrième vague – s’engagent dans de nombreuses campagnes, de l’équité en emploi aux services de garderie en passant par la lutte au racisme, à la pauvreté et à la violence contre les femmes. Les défis sont nombreux, y compris la reconnaissance de la diversité des femmes ainsi que la montée du néolibéralisme, qui menace le soutien étatique envers les initiatives de justice sociale. À la fin de cette période, des signes suggèrent, sans le garantir, que le féminisme serait en voie de connaître une résurgence.
Cet article est le dernier de trois récits sur les mouvements de femmes au Canada. (Voir aussi Début des mouvements de femmes au Canada : 1867-1960 et Les mouvements de femmes au Canada : 1960-1985.)
Groupes et causes
Tout en luttant pour une plus grande équité dans la société canadienne, les féministes élargissent leur combat contre l’inégalité. Au sein de groupes spéciaux et de coalitions, elles s’attaquent de plus en plus non seulement à l’inégalité entre les sexes, mais également à celles associées à la classe, à la race, aux sexualités et à la capacité. La diversité des femmes dans des domaines tels que l’ethnicité, la race, le statut d’emploi, la sexualité et les (in)capacités est mobilisée à la fois de manière indépendante et dans le cadre de larges coalitions. Tel est le cas pour RAFH Canada (Réseau d’action des femmes handicapées du Canada), fondé en 1985, qui fait campagne pour la reconnaissance, le respect et les services. RAFH mène également campagne en association avec le mouvement des droits des personnes handicapées et des coalitions féministes. Les lesbiennes (et certaines transfemmes) forment une part importante de nombreux groupes féministes, encourageant le soutien aux mariages entre personnes de même sexe et à la protection des droits des personnes homosexuelles. Les femmes immigrantes, autochtones et de minorités raciales ont du même souffle une présence de plus en plus importante dans toutes les campagnes pour la justice et l’égalité des droits. Alors même que les taux globaux de syndicalisation diminuent au cours de ces années – résultant de pertes d’effectifs chez les hommes – les femmes, souvent dirigées par des féministes, deviennent une force croissante (en particulier au sein des syndicats du secteur public) et se révèlent d’inestimables partisanes des causes féministes.
À l’échelon local, les féministes se portent à la défense de services tels que l’aide juridique, l’éducation des adulteset les maisons de transition (hébergement et soutien temporaires aux femmes victimes de violence ou susceptibles de le devenir), des services qui sont tous régulièrement confrontés à des compressions budgétaires, ou carrément à des fermetures. Elles insistent également pour que la Commission royale sur les nouvelles technologies de reproduction (1989-1993) reconnaisse les différences entre les femmes, notamment en ce qui concerne la race et l’origine autochtone, mais également le handicap, dans le cadre de l’évaluation des technologies. Les militantes de l’Association canadienne pour l’abrogation de la loi sur l’avortement (1974), et plus tard de la Coalition canadienne pour le droit à l’avortement (2005), maintiennent la pression pour donner aux femmes le contrôle de leur corps (voir Avortement).
Les femmes âgées se joignent quant à elles à des groupes dits de « mémés déchaînées » (groupes de femmes d’âge mûr militant pour la justice sociale) dans les campagnes pour la paix, l’environnement et les droits des femmes. Dans leurs protestations, elles incarnent le rôle de grands-mères stéréotypées pour faire valoir la sagesse des anciens, une perspective comparable au respect voué aux aînés par les Premières Nations. Leur première action a lieu en 1987 à Victoria, en Colombie-Britannique, où elles contestent la présence dans le port de navires américains à propulsion nucléaire.
L’existence d’un large éventail de mouvements de femmes canadiens au cours de cette période s’interprète comme une opposition à la fois aux politiques féministes communes et à la domination des hommes dans les diverses collectivités du Canada. En fin de compte, même si les féministes sont parfois divisées sur les priorités à se donner, aucune communauté n’est étrangère à leurs revendications en matière d’égalité.
L’optimisme règne en général quant aux perspectives pour une plus grande équité au cours des années 1980. Toutefois, au cours des années 1990 et au début du 21e siècle, les groupes féministes condamnent de plus en plus l’inaction du gouvernement ou le retrait de son appui envers l’égalité. Les mouvements de femmes se retrouvent en nombre croissant sur la défensive. Lorsque le Conseil consultatif canadien sur la situation de la femme du gouvernement fédéral est abrogé en 1995, après 22années d’exploitation, la Coalition nationale des Conseils consultatifs provinciaux et territoriaux sur la condition féminine émerge pour surveiller les menaces à l’égalité. Celle-ci ne peut toutefois pas pallier la perte de soutien du gouvernement fédéral aux recherches sur les politiques et à l’activisme.
Fondé le 17 avril 1985 par des avocates féministes et leurs alliées, le Fonds d’action et d’éducation juridiques pour les femmes (FAEJ) souligne l’écart croissant entre riches et pauvres au Canada et l’importance des garanties juridiques. Chaque année depuis 2009, le FAEJ de la côte ouest publie un bulletin CEDAW (Convention des Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes), qui attribue notamment des notes au gouvernement de la Colombie-Britannique quant à son respect des dispositions de cette convention. Les mauvaises notes de cette province mettent en relief les échecs en matière d’équité, allant de la garde d’enfants à l’emploi en passant par la pauvreté. Au sein des syndicats, les féministes préconisent des programmes d’égalité, de l’équité salariale aux initiatives anti-harcèlement en passant par les congés parentaux. Les féministes sont également des membres clés d’organisations telles que Voices-Voix, qui voit le jour en mai 2010 en réponse aux manquements du gouvernement conservateur de Stephen Harper en matière de droits de la personne et de démocratie. Voices-Voix continue de suivre de près l’évolution de la démocratie et de l’égalité après l’élection d’un gouvernement libéral en 2015.
Divers groupes de protestation composés de femmes et d’hommes comprennent souvent des féministes de premier plan, telles que Naomi Klein (manifeste « un bond vers l’avant ») et Elizabeth May (membre du parti Vert et de divers groupes environnementaux), qui défendent un socialisme bien canadien ainsi que la protection de l’environnement. La dissidence silencieuse de la page du Sénat Brigette DePape, qui brandit une pancarte sur laquelle est inscrit « STOP HARPER! » à l’occasion du discours du Trône en 2011, encourage la résistance individuelle, en particulier chez les jeunes. Les féministes se joignent également au mouvement Occupy en 2011-2012 contre l’inégalité économique mondiale, à la grève étudiante québécoise de 2012 contre l’augmentation des frais de scolarité, ainsi qu’aux protestations d’Idle No More, contre le traitement des peuples autochtones.
Lesbiennes et transfemmes
L’acceptation croissante des lesbiennes (et, dans une moindre mesure, des transfemmes) au sein des mouvements féministes marque également cette période. Leur présence (et souvent leur leadership) contribue à faire des féministes des défenderesses de premier plan des nouveaux droits et protections pour les Canadiens et Canadiennes issus de communautés LGBT, relativement à des questions allant de l’emploi à l’éducation, en passant par l’immigration, le mariage et l’adoption. L’émergence de politiciennes ouvertement lesbiennes (et féministes), telles que Libby Davis du NPD en Colombie-Britannique et Kathleen Wynne du Parti libéral en Ontario, reflète l’influence du féminisme sur l’évolution des attitudes à l’égard du public. (Voir Droits des lesbiennes, des gais, des bisexuels et des transgenres au Canada.)
Femmes de minorités raciales et immigrantes
On a connu ces dernières années une évolution importante de l’immigration canadienne non britannique ou européenne. Cette évolution confère une importance encore plus grande aux communautés de minorités raciales établies de longue date. Face à de multiples obstacles à leur inclusion nationale, celles-ci remettent régulièrement en question, tout comme les femmes autochtones, les courants dominants du féminisme, et s’opposent aux perspectives coloniales et racistes de nombreuses militantes traditionnelles. Des organisations féministes telles que l’Organisation nationale des femmes immigrantes et des femmes appartenant à une minorité visible du Canada (créée en 1986) et l’Indian Mahila Association, en Colombie-Britannique, se joignent quant à elles à d’autres féministes pour formuler leurs demandes d’équité et d’égalité.
Les femmes autochtones
Les femmes autochtones sont plus que jamais au cœur de la mobilisation des femmes pour la justice du Canada. Certaines, dont l’activiste, avocate et universitaire d’origine mohawk Patricia Monture-Angus, avancent que l’attachement à la souveraineté et à l’histoire des peuples autochtones l’emporte sur le féminisme. La violence, la santé, la pauvreté et le bien-être des enfants sont au cœur des efforts d’activistes comme l’avocate Sharon MacIvor au sein de l’Association des femmes autochtones du Canada et de l’Alliance féministe pour l’action internationale du Canada, et Cindy Blackstock, professeure d’université et directrice générale de la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada. En 1997, un plébiscite propose que la législature du Nunavut, un nouveau territoire à majorité inuite, adopte l’égalité des sexes. Martha Flaherty, présidente de Pauktuutit, une organisation nationale représentant les femmes inuites, Rita Arey, présidente du Conseil du statut de la femme des Territoires du Nord-Ouest, et Mary Simon, première ambassadrice du Canada aux Affaires circumpolaires, soutiennent toutes la parité entre les sexes. Bien qu’elle soit défaite au vote, la proposition permet néanmoins de mettre en lumière la sous-représentation électorale des femmes.
Le mouvement Idle No More de 2012, une manifestation populaire des Premières Nations, des Métis, des Inuits et de leurs alliés contre le gouvernement fédéral, est fondé par quatre femmes, dont trois d’origine autochtone et une quatrième de race blanche. Des auteures autochtones telles que Lee Maracle et Jeannette Armstrong formulent des demandes semblables pour l’égalité et la justice dans leur fiction et leurs écrits critiques, tandis que la réalisatrice abénakise Alanis Obomsawin présente une vision puissante dans des documentaires tels que Je m’appelle Kahentiiosta (1995) et We Can’t Make the Same Mistake Twice (2016). (Voir aussi Questions relatives aux femmes autochtones.)
Violence contre les femmes
La violence contre les femmes et les enfants demeure un enjeu prioritaire au sein de nombreuses communautés féministes. Le « massacre de Montréal », ou l’assassinat de 14 femmes à l’École Polytechnique le 6 décembre 1989, ainsi que les révélations continues de meurtres et de disparitions de femmes autochtones dans l’ensemble du pays, constituent des rappels bouleversants de l’inégalité et de la misogynie violente (voir aussi Route des larmes). En 1991, le gouvernement fédéral désigne le 6 décembre comme Journée nationale de commémoration et d’action contre la violence faite aux femmes, l’année même où est mise sur pied la Women’s Memorial March, un événement annuel organisé chaque année le jour de la Saint-Valentin par des militantes autochtones locales et leurs alliées féministes. Cette marche est organisée en mémoire des femmes assassinées et disparues.
Études
Les études féministes continuent de sensibiliser la population à l’inégalité sous toutes ses formes, tandis que les universitaires féministes demeurent des ressources importantes pour les mouvements des femmes canadiens. Les perspectives d’étude se sont diversifiées, en venant à englober des approches parfois désignées comme féminisme de troisième et quatrième vagues, voire postféminisme. Parfois massivement investies dans la culture populaire, et rejetant souvent une identité féministe associée aux femmes blanches de classe moyenne issues de courants dominants, les études contemporaines s’interrogent sur la binarité et les limites de l’identité, notamment sur la dichotomie femme-homme, mais également entre femmes. Les études sont également volontiers orientées vers les questions d’identités fluides et d’expérimentation culturelle, tout en faisant la promotion d’identités postcoloniales, queers, transgenres et transsexuelles.
Un élément essentiel de ces études est l’acceptation de l’« intersectionnalité » comme concept central. Défini par Kimberlé Crenshaw en 1989, ce concept met en évidence la façon dont la race, le sexe, la classe, la capacité et autres dimensions se chevauchent, devant ainsi être comprises ensemble. Ainsi, les femmes ne subissent pas toutes l’oppression de la même manière. Si les femmes subissent toutes le sexisme, certaines font également l’objet de racisme, d’homophobie ou de capacitisme, et ceux-ci peuvent se révéler tout aussi– sinon plus – paralysants. Cette approche devient indispensable pour de nombreuses intervenantes des mouvements de femmes, dont la Société de maisons de transition de la C. -B., fondée en 1978, qui adopte au cours de la décennie suivante un « cadre féministe intersectionnel ».
Arts
Des écrivaines et artistes féministes de race blanche telles que Nellie McClung, Idola Saint-Jean, Emily Carr et Dorothy Livesayont longtemps contesté la culture centrée sur les hommes. Mais au cours de la période de 1985 à nos jours, cette contestation se diversifie. En 1989, des femmes d’Amérique latine, bon nombre étant des réfugiées de la dictature chilienne, fondent le magazine bilingue Aquelarre: A Magazine for Latin American Women/Revista de la Mujer Latinoamericana Aquelarre (« aquelarre » signifiant rassemblement illégal de sorcières en espagnol). Publié de 1989 à 1995, Aquelarre est allié avec Women in Focus, un collectif féministe d’arts et de médias de Vancouver établi en 1974. Fondé en 1979, le magazine féministe Herizons de Winnipeg contribue quant à lui toujours activement aux débats culturels. MediaWatch, fondé en 1981 sous les auspices du Comité canadien d’action (CCA), demeure pour sa part influent sous le nom Media Action Média et a pour but d’éliminer le sexisme dans les médias.
Des écrivaines et artistes canadiennes contemporaines, telles que Dionne Brand, Larissa Lai, Lee Maracle, SKY Lee, M. NourbeSe Philip, Eden Robinson, Ivan E. Coyote, d’bi. young anitafrika et Rita Wong sont à l’origine de puissants messages contre le racisme, le classisme, l’homophobie et le sexisme (voir aussi Les femmes noires dans les arts), tandis que des écrivaines comme Margaret Atwood et Daphne Marlatt formulent des critiques de l’inégalité des relations.
Activisme dans les médias sociaux
Au 21e siècle, les féministes se joignent en nombre croissant au monde de la politique numérique, en participant notamment à la popularisation des mots-clics #MMIW (ou #MDFA, pour meurtres et disparitions de femmes autochtones), gazouillé pour la première fois en juillet 2012 par Sheila North Wilson (alors qu’elle travaille pour l’Assemblée des chefs du Manitoba) pour sensibiliser au sort des femmes autochtones disparues et assassinées; #BeenRapedNeverReported (#violéejamaissignalé), gazouillé à compter d’octobre 2014 à la suite d’accusations de violence sexuelle contre Jian Ghomeshi (voir Affaire Jian Ghomeshi); et #DalhousieHatesWomen (#Dalhousiedétestelesfemmes), initialement gazouillé en décembre 2014 en réaction à des révélations de harcèlement sexuel à l’école d’art dentaire de l’université Dalhousie. Facebook et d’autres sites constituent des plateformes importantes pour la résistance féministe de toutes sortes, mais également pour le «trollage» et d’autres formes de harcèlement en ligne de la part d’antiféministes. (Voir aussi L’antiféminisme au Québec.)
Coalitions nationales
La Fédération des femmes du Québec (FFQ, 1966 à aujourd’hui) dirige les efforts pour défendre l’égalité des sexes au Québec, où les liens féministes aux gouvernements des partis libéral et québécois (PQ) permettent une certaine protection de la sécurité sociale et de la justice sociale. L’adoption par le Québec d’un programme de garderies publiques à faible coût en septembre 1997 est caractéristique de ces meilleures perspectives. La FFQ est particulièrement sensible aux divisions de classe : lors de la Marche du pain et des roses de 1995 et de la Marche mondiale des femmes de 2000, elle met en évidence les liens entre la pauvreté et le sexisme. Les militantes féministes du Québec demeurent toutefois divisées entre les camps souverainiste et fédéraliste.
En 2010, le Parti libéral alors au pouvoir présente le projet de loi 94, qui met en doute les droits de citoyenneté des femmes musulmanes portant le niqab. Dans le contexte de la« guerre contre le terrorisme » et de l’islamophobie occidentale, les féministes du Québec et d’ailleurs ont du mal à décider si l’égalité et l’inclusion nécessitent d’accepter le port du voile intégral. Le langage même du projet de loi touche à d’autres questions, à savoir si l’exposition du visage peut être requise pour des motifs « de sécurité, de communication ou d’identification ». Les critiques voient d’un mauvais œil ce langage étrangement vague. (Des questions semblables émergent en 2013, lorsque le PQ propose la Charte des valeurs québécoises, et plus généralement dans la politique canadienne lors de l’élection fédérale de 2015.) Cette question, complexe et semant la discorde, risque d’être d’actualité encore longtemps.
Jusqu’au milieu des années 1990, le Comité canadien d’action (CCA) est l’équivalent de la FFQ dans le reste du Canada. Se voulant rassembleur, il se concentre sur l’économie, les changements constitutionnels et les relations raciales. En s’opposant à l’Accord de libre-échange nord-américain (voir Libre-échange), compte tenu de ses perspectives de perte d’emplois et de déréglementation des entreprises, le CCA joue un rôle sans précédent pour une coalition féministe. Son opposition aux accords constitutionnels du lac Meech (1987) et de Charlottetown (1992) le met en conflit avec Ottawa. Tous deux sont interprétés comme des menaces à la capacité d’Ottawa d’établir des normes nationales en matière de services sociaux (englobant des questions telles qu’une politique nationale quant aux services de garde de jour) et de protection de l’environnement.
Le CCA se distance de la FFQ (qui favorise l’établissement par le Québec de ses propres normes) par rapport au lac Meech, mais soutient cette dernière et l’Association des femmes autochtones du Canada (AFAC) dans leur opposition à Charlottetown, les trois organismes estimant que cet accord menace l’égalité des sexes. Le CCA tente également de mettre en œuvre les politiques anti-racistes du féminisme moderne. Ses campagnes en matière de lutte à la violence, de contraception et d’avortement, d’immigration et de réfugiés, et d’emploi mettent de plus en plus en lumière des femmes issues de groupes minoritaires, dont certaines sont recrutées au sein de sa direction. L’adoption de politiques courageuses et controversées entraîne une pression intense sur le CCA, alors même qu’il perd son financement du gouvernement fédéral. Il cesse essentiellement d’exister au début des années 2000.
En revanche, l’AFAC survit en mettant l’accent à la fois sur le sexisme et le racisme. Elle se retrouve souvent en conflit avec l’Assemblée des Premières Nations dans sa volonté d’accorder la priorité à la lutte contre la violence faite aux femmes et pour le bien-être des enfants, mais parvient à s’appuyer habilement sur des alliés comme le CCA et l’Alliance féministe pour l’action internationale (AFAI) pour exiger des audiences. En particulier, l’AFAC s’assure que les femmes autochtones disparues et assassinées demeurent une préoccupation majeure des politiques féministes. Ses efforts déterminés, soutenus par des politiciennes féministes telles que la Dre Carolyn Bennett, ministre des Affaires autochtones et du Nord (nommée en 2015), et Jody Wilson-Raybould, avocate d’origine kwakwaka'wakw et ministre de la Justice du Canada (nommée en 2015), contribuent, en août 2016, à la mise sur pied par le gouvernement libéral d’une enquête nationale sur les femmes autochtones disparues et assassinées.
En 1999, la valeur durable des coalitions féministes mène à la création de l’AFAI. Tout comme l’AFAC, cette alliance de fournisseurs de services, de chercheuses et de militantes féministes s’appuie sur les obligations du Canada en matière de droits de la personne (à titre de membre de l’Organisation des Nations Unies) pour faire connaître et dénoncer les lacunes en matière d’égalité. Elle vise à promouvoir « l’égalité des femmes au Canada en œuvrant à la pleine mise en œuvre des traités et accords internationaux relatifs aux droits de la personne que le Canada a ratifiés », et ce, tout en mettant en évidence des enjeux, allant des femmes autochtones disparues et assassinées à l’écart de rémunération entre hommes et femmes chez les facteurs en milieu rural et suburbain pendant le conflit de 2016 chez Postes Canada.
Importance
Cette période est marquée par une adhésion croissante de nombreux gouvernements aux principes du néolibéralisme et de l’austérité, doublée d’un désengagement commun à l’égard des initiatives en matière d’égalité et de justice sociale. Les politiques réactionnaires sont parfois décrites comme un « contrecoup » antiféministe. Celui-ci revêt de nombreuses formes, y compris des attaques contre les conseils consultatifs sur la condition des femmes, les perspectives de garde d’enfants, l’équité salariale, l’aide juridique, les programmes de lutte contre la violence, ainsi que les centres et les initiatives de santé des femmes. Des compressions dans le Programme de contestation judiciaire du Canada, lequel est tenu de protéger les garanties d’égalité stipulées dans la Charte canadienne des droits et libertés, sont décrétées dès 1992. Le financement du programme est coupé par le gouvernement conservateur de Brian Mulroney, puis rétabli par un gouvernement libéral, pour être finalement éliminé par les conservateurs de Stephen Harper en 2006. En 2016, le Programme de contestation judiciaire semble être de retour grâce à une injection de fonds du nouveau gouvernement libéral.
En ce début de 21esiècle, les femmes canadiennes de tous les milieux sont toujours en attente de ce que l’éminente philosophe politique Nancy Fraser définit comme la parité participative, avec ses critères de respect et de redistribution économique. En moyenne, une femme salariée perçoit 73,5 cents pour chaque dollar gagné par un homme, ce qui confère au Canada le huitième plus grand écart salarial entre les sexes parmi 34 pays industrialisés. Les Canadiennes font toujours plus que leur juste part en matière de soins des enfants et de tâches domestiques, et la violence continue d’affecter d’innombrables vies. La pauvreté se répercute de façon disproportionnée sur les mères célibataires et les femmes âgées. Des rapports de la Convention des Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, faisant état de la position lamentable du Canada, confirment qu’il reste énormément à faire en matière d’égalité.
Face à l’inégalité persistante, les mouvements de femmes continuent de lutter pour un Canada équitable et démocratique. Malgré la résistance à laquelle elles font face, les idées féministes concernant des droits fondamentaux de la personne et l’égalité des sexes en tant que valeur nationale imprègnent une grande partie de la vie à la fois publique et privée, inspirent les « fémocrates » (fonctionnaires féministes) et vont jusqu’à influencer l’élaboration des politiques. L’existence pendant une décennie (1991-2001) d’un ministère britanno-colombien de l’Égalité de la Femme, dirigé par la députée provinciale féministe du NPD Penny Priddy, marque une période d’influence précédant la montée des gouvernements de droite dans des juridictions allant de Victoria à Ottawa au cours de la même décennie. Parmi d’autres gains d’importance, notons la lente augmentation du nombre de politiciennes élues, approchant les 30 pour cent (correspondant au seuil de changement véritable désigné par l’Organisation des Nations Unies), la nomination de féministes telles que la journaliste sino-canadienne Adrienne Clarkson (1999-2005) et l’activiste haïtiano-canadienne Michaëlle Jean (2005-2010) en tant que gouverneures générales, et l’élection de Kathleen Wynne, qui devient la toute première personne ouvertement gaie à devenir première ministre provinciale au Canada, en 2013. L’influence du féminisme se fait également sentir dans l’acceptation croissante des communautés issues des minorités visibles, des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres (LGBT) canadiens, ainsi que des droits des Autochtones et des personnes handicapées.
La création en 2001 du groupe multipartite À voix égales, voué à l’accroissement du nombre de femmes au sein des assemblées législatives, démontre également l’appui sans relâche du féminisme envers des politiques électorales plus équitables.
Des groupes féministes pro démocratie présents sur les réseaux sociaux comme Voices-Voix, dont le nom lui-même rappelle Voix des femmes, l’un de ses prédécesseurs, contribuent à la défaite du gouvernement de Stephen Harper en 2015. Les partis néodémocrate, libéral et vert sont les principaux bénéficiaires de cette politisation. En 2015, l’Alberta porte un grand coup en élisant son premier gouvernement néodémocrate, dirigé par la féministe Rachel Notley, qui nomme au sein de son cabinet la première ministre responsable de la condition de la femme en 19 ans. En outre, le nouveau premier ministre du Canada, Justin Trudeau, se déclare lui-même féministe, tout comme le chef du NPD Thomas Mulcair et la chef conservatrice intérimaire Rona Ambrose.
Peu de temps après l’élection de 2015, le gouvernement libéral fédéral, ayant nommé un cabinet avec parité de femmes et d’hommes (une première dans l’histoire canadienne), lance une enquête sur les femmes autochtones disparues et assassinées, tout en promettant de rétablir le Programme de contestation judiciaire. Avec de telles décisions, on espère mettre un terme à trente années d’affronts aux droits des femmes. En mars 2016, la décision du gouvernement de l’Île-du-Prince-Édouard de fournir des services d’avortement, après presque 35 ans d’attente, envoie le même message. En bref, en cette fin de période d’agitation féministe, il reste beaucoup à faire, des services de garderie à l’équité en passant par la lutte contre la violence, mais l’évolution actuelle de la politique électorale est source d’espoir.