Article

Allocation canadienne pour enfants (ACE)

Une allocation familiale ou allocation pour enfants est un montant mensuel versé par le gouvernement aux familles qui ont des enfants. Le but de ce versement est d’aider les familles à couvrir les coûts reliés à l’éducation des enfants. L’allocation familiale, le premier programme de bien-être social au Canada, a commencé en 1945. Les prestations étaient versées sans tenir compte du revenu ou des actifs de la famille et étaient basées sur l’idée que tous les enfants méritaient du soutien. Cependant, depuis les années 1980, ces paiements sont de plus en plus destinés à des familles à faible et moyen revenus. L’allocation a été restructurée et renommée Allocation canadienne pour enfants (ACE) en 2016. Depuis, l’ACE a fait augmenter le PIB du Canada de 2,1 % par année. Cela en fait l’un des programmes de réduction de la pauvreté les plus efficaces du pays. Avec le Régime de pensions du Canada et l’ Assurance-chômage, l’ACE est l’un des plus importants programmes de transferts monétaires du pays. Au cours de l’année d’imposition 2023-2024, l’ACE a versé environ 27 milliards de dollars aux ménages canadiens.

Contexte et développement

Une enquête sur les causes de la pauvreté en Angleterre et ailleurs au début du 20e siècle démontre que la taille de la famille est un facteur déterminant. Les salaires dans la société industrielle reflètent la production du travailleur, sans considération pour ses responsabilités familiales. Un salaire qui peut sembler adéquat pour une personne célibataire peut représenter le seuil de pauvreté pour une autre personne qui fait le même travail, mais qui a une famille à charge. Les allocations familiales versées par l’État sont proposées non seulement pour combattre la pauvreté, mais également comme moyen de faire progresser le principe d’« équité horizontale » entre les travailleurs qui soutiennent les coûts d’éducation de la génération suivante et ceux qui n’ont pas de telles responsabilités.

L’idée d’une allocation familiale est discutée dans les années 1920 en Grande-Bretagne, en Australie, aux États-Unis, au Canada et à la Société des Nations. En 1929, un comité parlementaire canadien est chargé d’entendre des témoignages et d’examiner la question. Une commission d’enquête québécoise sur les questions de bien-être social (1930-1932) reçoit également des soumissions sur ce sujet. Toutefois, ni l’une ni l’autre ne recommande les allocations familiales.

Création

On n’entend plus tellement parler de ce sujet au Canada jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale. En 1943, le plan de reconstruction d’après-guerre est publié. Le rapport Marsh est une attaque globale contre la pauvreté et l’insécurité économique. Il est basé sur un vaste programme d’assurance sociale soutenu par des allocations familiales universelles, un système de santé national et un programme d’emploi à l’échelle nationale. Le plan est trop radical et onéreux pour le Cabinet fédéral de l’époque. Mais des facteurs politiques et économiques incitent le premier ministre William Lyon Mackenzie King à choisir les allocations familiales évoquées dans le rapport comme moyen pour s’attirer des votes lors des élections suivantes. Il s’agit aussi d’une tentative pour déjouer la gauche politique, qui est alors en train de gagner des voix. (Voir aussi La montée de la Fédération du Commonwealth coopératif.)

La décision de William Lyon Mackenzie King reçoit le soutien des économistes. La majorité prédit une vague de chômage importante à la fin de la guerre, ce qui survient à la suite de la Première Guerre mondiale. Les allocations familiales sont également perçues comme un moyen de maintenir le pouvoir d’achat. D’un point de vue constitutionnel, un programme d’allocations familiales relève tout à fait de la compétence du gouvernement fédéral en matière de dépenses, de sorte que peu d’objections sont soulevées de la part des provinces. (Voir aussi Répartition des pouvoirs.)

W.L. Mackenzie King

Controverses

Cependant, les critiques considèrent que les allocations familiales sont un gaspillage de l’argent des contribuables, parce qu’elles sont versées aux familles riches comme aux familles pauvres. Ils affirment que la « prime de naissance », comme on l’appelle à l’époque, est une tentative pour gagner des votes du côté du Canada français, où les familles nombreuses sont plus courantes. Il est suggéré de distribuer cet argent sous forme de services plutôt que par chèques. Dans un même temps, les partisans des allocations familiales soutiennent que l’approche des services est paternaliste et que les allocations améliorent l’autonomie des familles.

Les conservateurs manifestent une timide opposition à la Chambre des communes en 1944. Mais malgré cela, la loi est adoptée à l’unanimité en deuxième lecture, un exploit remarquable pour une loi aussi importante.

Évolution

Les versements d’allocations familiales non imposables varient en fonction de l’âge. Pour les enfants de moins de 5 ans, elles sont de 5 $ par mois; pour les enfants de 6 à 9 ans, elles sont de 6 $; pour ceux de 10 à 12 ans, 7 $; et pour ceux de 13 à 15 ans, elles sont de 8 $. Le montant moyen versé par enfant est de 5,94 $, ce qui est inférieur au versement minimum de 7,50 $ par enfant recommandé par le rapport Marsh. Initialement, les allocations sont réduites pour le cinquième enfant et les suivants, mais cette disposition est supprimée en 1949.

En dépit de sa popularité, le programme est largement négligé par le gouvernement fédéral. Et malgré l’inflation, une seule augmentation minime est votée entre 1945 et 1973. Cette augmentation est initiée par le Québec, qui institue son propre programme semblable en 1961.

En 1972, en réponse à l’inquiétude publique face à la pauvreté croissante au Canada, le gouvernement fédéral tente de remplacer l’universalité du programme en reliant le niveau des allocations familiales au revenu des familles. Selon cette proposition, des prestations maximales seraient versées à 36 % des familles les plus pauvres, des prestations partielles à 34 % des familles, et aucune prestation à 30 % des familles restantes. Les allocations seraient basées sur le revenu de l’année précédente. Ce plan est fortement critiqué en raison de son inefficacité à combattre adéquatement la pauvreté, ainsi que pour sa complexité administrative. Cette législation n’est jamais adoptée à la Chambre des communes avant les élections fédérales de 1972. Elle donne lieu au retour au pouvoir d’un gouvernement libéral minoritaire. Mais le Nouveau Parti démocratique, un fervent partisan de l’universalité, détient la balance du pouvoir.

Confronté à une minorité, le gouvernement abandonne alors son plan sélectif et présente une nouvelle Loi sur les allocations familiales. Cette loi incorpore la sélectivité et l’universalité en rendant les allocations familiales imposables. Cependant, même les parents qui ont un revenu élevé peuvent conserver une partie de leur prestation. Ainsi, le principe de l’« équité horizontale » est respecté.

En 1978, alors que les libéraux sont de nouveau majoritaires au Parlement, les allocations familiales font l’objet d’une restructuration majeure. Le rôle du système fiscal dans les pensions alimentaires pour enfants est élargi. Ceci entraine une diminution du rôle des allocations familiales. Le gouvernement établit plutôt un crédit d’impôt remboursable pour enfants de 200 $ par année, destiné aux familles dont les revenus sont de 18 000 $ ou moins. Lorsque les revenus dépassent ce seuil, les prestations sont imposées jusqu’à disparaitre complètement à 26 000 $. Comme le revenu médian des familles en 1978 est de 19 500 $, la majorité des familles bénéficient du nouveau programme. Celui-ci entre en vigueur en 1979.

En 1985, le gouvernement conservateur de Brian Mulroney est préoccupé par la dette et les déficits du gouvernement. Il annonce un programme de quatre ans de restructuration des prestations familiales. À partir de 1986, les allocations familiales ne sont que partiellement indexées au coût de la vie. Les crédits d’impôt remboursables pour enfants sont augmentés pendant trois années consécutives, de 1986 à 1988, jusqu’à atteindre 549 $ par année. À partir de 1989, ils sont également partiellement indexés de la même manière que les allocations familiales. Le plafond de revenu admissible est également baissé de 26 330 $ à 23 500 $.

En 1989, le gouvernement conservateur met fin au caractère universel des allocations familiales en exigeant des parents à revenu élevé qu’ils remboursent la totalité de leurs prestations au moment de la déclaration d’impôt. Cela fait partie du programme du gouvernement qui vise à cibler les prestations sociales sur les bénéficiaires à faible ou moyen revenus. Paradoxalement, il maintient et augmente la déduction d’impôt pour les frais de garde d’enfants. Les familles à revenu élevé sont celles qui en bénéficient le plus.

En 1992, après un minimum de discussions publiques, le gouvernement conservateur remplace l’allocation familiale par une nouvelle prestation fiscale pour enfants. Sous ce système, l’allocation familiale, le crédit d’impôt remboursable pour enfants et le crédit d’impôt non remboursable pour enfants sont regroupés. La nouvelle prestation, qui verse un maximum de 85 $ par mois par enfant jusqu’à l’âge de 18 ans, est non imposable et est soumise à un examen des revenus en fonction du revenu familial net déclaré dans la déclaration de revenus de l’année précédente. Les prestations maximales sont progressivement réduites à mesure que le revenu familial dépasse le plafond de revenu.

Au cours des années suivantes, un processus semblable de fragmentation et de reconsolidation des politiques produit. En 1998, le gouvernement libéral de Jean Chrétien lance le programme de Prestation nationale pour enfants. Celui-ci vise spécifiquement les familles à faible revenu. En 2006, le gouvernement de Stephen Harper ajoute un nouveau crédit d’impôt pour enfants ainsi qu’un nouveau programme appelé Prestation universelle pour la garde d’enfants (PUGE). Ces deux programmes sont critiqués pour orienter la politique de prestations pour enfants dans une direction régressive. Le crédit d’impôt n’est pas accessible aux familles à faible revenu. La PUGE n’est pas exemptée de l’impôt provincial et, à 1200 $ par année, elle ne permet pas d’atteindre son objectif déclaré de couvrir les frais de garde d’enfants.

En 2016, le gouvernement de Justin Trudeau fusionne ces deux programmes en un seul programme d’Allocation canadienne pour enfants (ACE). En réorganisant cette prestation, le gouvernement l’élargit également considérablement. La prestation moyenne passe de 3790 $ par famille en 2014 à 6430 $ en 2017.

Allocation canadienne pour enfants (ACE)

L’ACE est conçue pour être très accessible et progressive sur le plan de la distribution. Tous les principaux responsables d’enfants sont admissibles à condition qu’ils vivent avec un enfant de moins de 18 ans et qu’ils résident au Canada. Au cours de l’année d’imposition 2023-2024, l’ACE verse plus de 27 milliards de dollars aux ménages canadiens. Cela en fait l’un des plus importants programmes de transferts monétaires au pays, avec le Régime de pensions du Canada et l’Assurance-chômage.

Depuis juillet 2018, les prestations de l’ACE sont indexées sur l’inflation. Par conséquent, la valeur en dollars de la prestation change chaque année. En 2024-2025, les familles de la tranche de revenu la plus basse pourraient recevoir 7787 $ pour chaque enfant de moins de 6 ans, et 6570 $ pour chaque enfant de 6 à 17 ans. Toutefois, la prestation diminue pour les familles gagnant plus de 31 000 $ par année, et elle diminue encore plus pour les familles gagnant plus de 67 000 $. De plus, l’allocation par enfant diminue. Par exemple, une famille gagnant 50 000 $ avec un enfant de quatre ans recevra 7 % de moins que la prestation de base, soit 7242 $ au lieu de 7787 $. Si cette même famille a deux enfants de moins de six ans, elle recevra 13,5 % de moins que la prestation de base, soit 13 549 $ plutôt que 15 574 $.

L’indexation de la prestation en fonction du revenu confère à l’ACE un impact social très progressif. Une analyse effectuée par le Canadian Centre for Economic Analysis (CANCEA) révèle qu’en 2017-2018, l’ACE a atteint 3,7 millions de familles et 6,4 millions d’enfants. Avant l’ACE, environ 650 000 familles gagnent moins de 20 000 $. Parmi celles-ci, environ la moitié ont un revenu supérieur à 20 000 $ après l’ACE. Ceci permet à environ 750 000 enfants de dépasser le seuil de pauvreté. (Voir aussi Pauvreté infantile au Canada.) L’ACE est donc l’un des programmes de réduction de la pauvreté les plus efficaces au Canada. Pour les familles bénéficiaires très pauvres qui gagnent moins de 10 000 $ par année, environ 68 % de leur revenu provient de l’ACE. Pour les familles dont le revenu se situe entre 10 000 $ et 20 000 $, 41 % de leur revenu provient de l’ACE. Cet indicateur diminue progressivement pour atteindre 1,1 % pour les familles dont le revenu se situe entre 140 000 $ et 150 000 $.

L’ACE est également reconnue pour avoir des retombées économiques avantageuses pour la société canadienne. Le CANCEA estime que depuis 2016, l’ACE a fait augmenter le PIB du Canada de 2,1 % par année, contribuant à l’équivalent de 453 000 emplois à temps plein. Une autre analyse effectuée par Finances of the Nation révèle que les soutiens secondaires (souvent des femmes) des ménages de la classe moyenne réduisent légèrement leurs heures de travail pour passer du temps avec leurs enfants. Pour les familles de la classe inférieure, l’ACE a des effets favorables envers l’emploi, de sorte que les soutiens de famille secondaires augmentent en fait leurs revenus indépendants.

(Voir aussi État-providence; Services sociaux et assistance sociale; Protection de l’enfance au Canada.)

;