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Bernice Redmon

Bernice Isobel Redmon, née Carnegie, infirmière et militante pour la santé (née le 28 octobre 1917 à Toronto, en Ontario; décédée le 22 octobre 1993 à Toronto). Formée aux États-Unis à une époque où le Canada n’accepte pas les étudiantes noires dans ses écoles d’infirmières, Bernice Redmon devient la première infirmière afro-canadienne autorisée et la première infirmière noire à travailler en santé publique au Canada.

Cet article a été créé en collaboration avec le Museum of Toronto.

Bernice Redmon

Jeunesse et éducation

Bernice Redmon naît Bernice Carnegie de parents d’origine jamaïcaine, George et Adina Carnegie. Ils immigrent au Canada et s’établissent au centre-ville de Toronto en 1912. Bernice est la quatrième de leurs sept enfants. L’un de ses frères est le joueur de hockey Herb Carnegie. Son père, George Carnegie, est concierge à Toronto Hydro. C’est également un homme d’affaires prospère, ayant acquis des propriétés au Canada et aux États-Unis. Lorsque Bernice est toute petite, son père déménage la famille dans une maison rurale à North York. Elle se souvient avec tendresse de son enfance passée à « cueillir des fraises […] à profiter de la vie en plein air. L’été à jouer avec les garçons et l’hiver à patiner, à jouer au hockey et à faire de la luge. »

Bernice Carnegie manifeste très tôt un penchant pour la profession d’infirmière. Selon une anecdote familiale, elle aurait mentionné vouloir devenir infirmière à l’âge de huit ans, après un court séjour à l’Hôpital pour enfants malades de Toronto. Elle aime aussi prendre soin de son jeune frère et de ses animaux de compagnie malades.

Elle fréquente le Earl Haig Collegiate (devenu le Earl Haig Secondary School) à North York, où elle et ses frères et sœurs sont les premiers élèves noirs. C’est une bonne élève, dévouée et studieuse. Elle a aussi un talent musical considérable. En plus de chanter dans la chorale de l’église, elle joue du violon et de l’orgue. Elle termine ses deux dernières années du secondaire à la Northern Vocational Secondary School de Toronto, où son frère est recruté dans le programme de hockey.

Herb Carnegie

Formation aux États-Unis

Après avoir obtenu son diplôme, Bernice Carnegie confirme sa décision de devenir infirmière, mais il lui est interdit de suivre cette formation ou de faire carrière au Canada. Les écoles d’infirmières n’acceptent pas les étudiantes noires, et les hôpitaux refusent de les embaucher. Cette restriction n’est levée qu’à la fin des années 1940.

Le pasteur de l’église familiale, un Américain, lui suggère de postuler dans des écoles aux États-Unis. En 1941, elle entre à la St. Philip School of Nursing, l’école d’infirmières exclusivement noires (séparée) associée au Medical College of Virginia (MCV), à Richmond. Cette opportunité tant attendue, qui n’est pas accessible au Canada, entraîne des défis quotidiens, tels que la ségrégation et le racisme. Sur le campus, le matériel de formation est souvent de moindre qualité que celui des étudiants blancs. Hors du campus, l’étudiante se heurte à la discrimination raciale dans les magasins et autres lieux publics.

En 1944, Bernice Carnegie termine le cours de trois ans avec des résultats supérieurs à la moyenne. Elle devient infirmière autorisée en Virginie. L’école lui offre une bourse pour poursuivre des études supérieures en santé publique. Toutefois, des complications surviennent lorsque le Service sélectif national rappelle toutes les infirmières canadiennes au pays pour contribuer à l’effort de guerre. On lui refuse également la prolongation de son visa. La doyenne des infirmières prend les choses en main et règle le différend, ce qui permet à l’étudiante de poursuivre sa formation à Richmond pendant une autre année. En 1945, elle obtient son diplôme de soins infirmiers de santé publique.

Première infirmière noire autorisée au Canada

À l’été 1944, Bernice Carnegie épouse son compatriote canadien Nathan Redmon, un ingénieur inventif qui, entre autres innovations, introduit la maison à deux niveaux dans la région de Toronto. Il s’engage dans l’armée et est envoyé à Sydney, en Nouvelle-Écosse. Après avoir obtenu son diplôme, Bernice Redmon souhaite le rejoindre. Cependant, elle doit d’abord trouver du travail au Canada, ce qui signifie qu’elle doit faire reconnaître ses qualifications professionnelles acquises aux États-Unis. Finalement, le 23 juin 1945, le ministère de la Santé de l’Ontario l’autorise à exercer la profession d’infirmière. Elle devient ainsi la première infirmière noire autorisée documentée au Canada.

Première infirmière noire en santé publique au Canada

Malgré ces qualifications, il lui est difficile de trouver un emploi à Sydney. Lors d’une entrevue en 1984, elle évoque que le ministère de la Santé de la Nouvelle-Écosse tente de la décourager lorsqu’elle pose sa candidature :

Ce n’était pas qu’ils n’avaient pas besoin d’infirmières; c’était juste qu’ils n’avaient jamais eu d’infirmière noire auparavant. C’était juste difficile de m’accepter. Je suis allée voir le médecin hygiéniste, qui m’a dit qu’ils avaient besoin d’infirmières, mais qu’il devait consulter le siège social pour savoir s’il pouvait m’embaucher ou non, et m’a dit de revenir la semaine suivante. J’y suis retournée; il n’avait pas eu de nouvelles du siège social. Il m’a dit de revenir la deuxième semaine, et j’y suis retournée, et il m’a dit de revenir une troisième fois… J’ai simplement pensé qu’il voulait me décourager.

Bernice Redmon finit par engager un avocat, convainc le ministère de reconnaître ses qualifications et obtient un poste. Elle devient la première infirmière noire au Canada à travailler en santé publique.

Au ministère de la Santé publique de la Nouvelle-Écosse, elle dessert une communauté de personnes de couleur travaillant dans les aciéries de Sydney. Ses tâches consistent à fournir tous les soins infirmiers de santé publique dans les cliniques et les écoles, notamment les vaccinations, les soins prénatals et postnatals, les suivis postopératoires, etc. Bien qu’elle aime ce travail, elle doit reconsidérer sa carrière après seulement quelques mois, lorsque son époux démobilisé retourne en Ontario. Elle reste à Sydney pour effectuer une année complète de travail et ainsi obtenir des recommandations.

Infirmières de l’Ordre de Victoria

En 1946, Bernice Redmon rejoint son mari à North York et le couple s’installe dans le quartier où elle a grandi. Elle postule alors auprès des Infirmières de l’Ordre de Victoria (IOV), une organisation caritative nationale de soins à domicile. Au départ, elle se heurte aux mêmes réticences qu’en Nouvelle-Écosse, mais après deux mois, le directeur de la section locale décide de l’embaucher sans consulter le conseil d’administration national. Elle devient la première femme noire à faire partie des IOV.

Jusqu’en 1968, elle occupe divers postes au sein des IOV, dont celui d’infirmière en chef et de directrice par intérim de la section locale. Tout au long de cette période, elle est souvent victime des préjugés raciaux des patients, mais on reconnaît sa compétence. Elle se souvient, par exemple, que l’épouse d’un patient s’est d’abord montrée hostile à son égard. Toutefois, lorsqu’elle a elle-même eu besoin d’aide par la suite, elle lui a expressément demandé d’être son infirmière.

Travail ultérieur et engagement communautaire

Bernice Redmon est sans cesse en quête de connaissances. Elle suit régulièrement des cours à l’Université de Toronto et au Toronto General Hospital. Elle étudie notamment la psychiatrie, puis, en 1974, elle termine sa carrière en travaillant pendant une courte période dans le service de psychiatrie de l’hôpital Humber.

Elle s’engage aussi dans le bénévolat et les activités communautaires. Elle travaille en partenariat avec divers organismes qui viennent en aide aux personnes malades et défavorisées de la collectivité, notamment le Eureka Friendly Club, une des plus anciennes organisations de femmes noires de l’Ontario. Dans les années 1950, elle fait partie de la direction de la filiale torontoise de l’Association canadienne pour les Nations Unies. Dans les années 1960, elle s’engage auprès de la Société de l’aide à l’enfance pour soutenir les mères monoparentales. Elle enseigne également à l’école du dimanche et participe activement à diverses chorales tout au long de sa vie.

Au cours des deux dernières décennies de sa vie, elle voyage beaucoup avec son mari en Amérique du Nord et en Europe, en Afrique, dans les Antilles et en Asie du Sud-Est. Elle meurt du cancer à Toronto le 22 octobre 1993, une semaine avant son 76 e anniversaire. Elle laisse dans le deuil son mari et leur fils, Nathan.

Héritage

Première infirmière afro-canadienne autorisée, Bernice Redmon est une pionnière. Elle surmonte les obstacles implicites qui empêchent les personnes noires d’exercer une profession qui se définit selon les normes de féminité et de blancheur de l’époque victorienne. Quelque temps après le début de sa carrière en 1948, les deux premières infirmières noires du Canada, Ruth Bailey et Gwennyth Barton, obtiennent également leur diplôme. La détermination et la persévérance de ces trois femmes contribuent à un changement institutionnel.

Revenant sur sa carrière, elle déclare avec pragmatisme : « Ma vie a été difficile, mais en général, la vie n’est pas facile quand on veut réussir […] Et certaines de ces difficultés, plutôt que de me rendre amère, m’ont appris à gérer les situations. »

Sources

La principale source concernant la vie de Bernice Redmond est une histoire compilée par sa nièce, Bernice Yvonne Carnegie. En 2019, cette dernière enrichit les mémoires de son père, A Fly in a Pail of Milk: The Herb Carnegie Story, en y ajoutant un chapitre sur sa tante. Bernice Redmon a également été interviewée par Lorraine Hubbard pour l’Ontario Black History Society en mai 1984.

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