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Camp de prisonniers de guerre 30

Camp 30 est une ancienne école abandonnée ayant servi de camp de prisonniers de guerre pour les officiers allemands pendant la Deuxième Guerre mondiale. Il est situé à Clarington, en Ontario, près de Bowmanville.

Camp de prisonniers de guerre Camp 30

École

En 1922, John H.H. Jury, un homme d’affaires et résident de Bowmanville, fait don de terres agricoles à la province de l’Ontario pour la construction d’une école de réforme pour garçons. Le gouvernement achète des terres supplémentaires et ouvre une école sur le site en 1925. À l’origine, l’école accueille seulement 16 garçons, mais on construit la cafétéria pour en recevoir 300. Dans les années 1930, on agrandit les installations de l’école que la collectivité locale utilise aussi pour des foires, des jeux et des festivals. Les bâtiments comprennent une piscine intérieure, un gymnase, un hôpital, ainsi que des dortoirs et une cafétéria. (Voir aussi Architecture carcérale.)

Camp de prisonniers de guerre

De 1941 à 1945, le campus devient un camp de prisonniers de guerre pour les officiers allemands. On y érige des tours de contrôle, une clôture périphérique et des casernes pour transformer l’environnement ouvert de l’école en prison. À certains moments, l’école abrite jusqu’à 800 prisonniers, soit bien plus que sa capacité initiale d’accueil.

Le saviez-vous?
Pendant la Deuxième Guerre mondiale, 34 000 prisonniers de guerre allemands sont détenus au Canada. Les camps les plus grands se trouvent à Medicine Hat et à Lethbridge, en Alberta, et comptent chacun 12 500 prisonniers.


Le camp abrite plusieurs officiers allemands importants capturés, dont trois généraux. La vie des prisonniers se déroule plutôt paisiblement. En vertu de la Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre de 1929, les officiers doivent être « traités avec les égards dus à leur grade et à leur âge ». On les exempte donc des travaux manuels, contrairement aux prisonniers de guerre de grades inférieurs. De plus, les conditions au Camp 30 sont meilleures que celles des camps d’internement destinés aux civils canadiens d’origine japonaise ou d’autres camps de prisonniers de guerre au Canada. (Voir Internement de la communauté japonaise au Canada.)

Les prisonniers du Camp 30 ont accès à une piscine intérieure, à des installations sportives et à des terres cultivables. Les habitants des environs, soumis au rationnement de la nourriture, se seraient plaints que les Allemands reçoivent une nourriture de meilleure qualité qu’eux-mêmes. Les prisonniers sont même autorisés à faire des excursions d’une journée à l’extérieur du camp pour faire des courses, pratiquer le ski de fond et se baigner dans le lac Ontario. Ils donnent leur Ehrenwort, c’est-à-dire leur parole d’honneur de revenir. Ils montent également des pièces de théâtre, forment un orchestre, des fanfares et une chorale. Ils suivent également des cours et des formations professionnelles dans les salles de classe du camp.

Évasion du Camp 30

Le camp connaît toutefois plusieurs tentatives d’évasion. L’une d’entre elles porte sur le tristement célèbre capitaine de sous-marin, Otto Kretschmer. Surnommé le « roi du tonnage » pour avoir coulé plus de 270 000 tonnes de navires, il a pour devise « une torpille, un navire ». Il communique un plan d’évasion dans une lettre codée adressée à l’Allemagne, que le commandant de la flotte de sous-marins, Karl Dönitz, approuve. Otto Kretschmer fait en sorte qu’un sous-marin vienne le chercher, lui et trois autres officiers, à la pointe Maissonnette, dans la baie des Chaleurs, au Nouveau-Brunswick. ( Voir Opérations de sous-marins allemands dans les eaux canadiennes.) Plus de 150 prisonniers participent à la construction de trois tunnels pour faciliter l’évasion des hommes en cas de découverte d’un des tunnels.

Cependant, les services de renseignement des Forces navales canadiennes interceptent les lettres d’Otto Kretschmer et décryptent les messages. En collaboration avec la GRC, ils commencent à élaborer leur propre plan d’opération. Ils prévoient de faciliter l’évasion, puis de capturer les prisonniers et le sous-marin au point de rendez-vous. Ils surveillent les tunnels. Ils examinent attentivement le courrier entrant, mais ils laissent passer les messages secrets. Un jour, les agents de la GRC découvrent dans un colis expédié par la Croix-Rouge un livre contenant une carte, de l’argent et des pièces d’identité contrefaites. Ils refont la reliure du livre en y insérant les objets de contrebande, puis ils reproduisent la couverture endommagée et expédient le tout au camp.

Les projets des détenus échouent avant même qu’on puisse mener une contre-opération. Une infiltration d’eau entraîne l’effondrement d’un tunnel. Le plafond d’une des casernes s’écroule sous le poids de la terre du deuxième tunnel que les prisonniers y avaient entreposée, tandis que le troisième tunnel s’effondre lorsqu’un détenu marche dessus. Bien qu’un sous-marin tente d’atteindre le point de rendez-vous, les forces canadiennes n’arrivent pas à le capturer.

Camp de prisonniers de guerre Camp 30

La bataille de Bowmanville

En octobre 1942, le premier ministre britannique Winston Churchill ordonne l’entrave des prisonniers allemands, y compris ceux détenus au Canada. Cette décision fait suite à une dispute diplomatique entre l’Allemagne et les Alliés au sujet de l’entrave des prisonniers de guerre. Elle découle de la divulgation d’instructions alliées visant à attacher les soldats allemands capturés pendant le raid de Dieppe, ainsi que des représailles prises par le commandement allemand. Initialement, le premier ministre William Lyon Mackenzie King s’oppose à cette décision prise sans que le Canada soit consulté. Malgré l’indignation suscitée par cette mesure, qui va à l’encontre des principes de la Convention de Genève sur les représailles contre les prisonniers de guerre, le premier ministre finit par céder.

Les tentatives d’entrave des prisonniers de Camp 30 déclenchent une émeute. Des prisonniers armés de bâtons de hockey, de manches à balai, de bouteilles et de briques se retranchent dans plusieurs bâtiments, dont la cafétéria. Les gardiens tentent de maîtriser les prisonniers sans avoir recours à la force létale, ce qui s’avère plus difficile dans certains bâtiments. Dans un affrontement, on utilise un tuyau d’arrosage pour disperser les prisonniers, et les Allemands capturent un officier canadien impopulaire, réputé pour frapper les prisonniers.

On fait venir des troupes fraîches pour réprimer les manifestations. Malgré l’échec initial de leur première intervention, armées seulement de bâtons de baseball, elles parviennent finalement à mater les Allemands grâce à la menace d’utiliser des armes à feu et des baïonnettes, bien qu’on leur ait formellement interdit de le faire. On transfère certains prisonniers hors du camp, tandis qu’on en menotte d’autres. On laisse toutefois entendre que les gardiens auraient desserré les liens ou délibérément laissé tomber les clés à la portée des prisonniers. En décembre 1942, Winston Churchill révoque l’ordre d’entraver les prisonniers.

Camp 30, à Bowmanville

Après la guerre

Après la guerre, jusqu’en 1979, le camp reprend sa vocation initiale d’école de réforme. Une succession d’écoles privées s’y installent, jusqu’à la fermeture définitive de la dernière en 2008. Abandonné depuis lors, le lieu gagne en popularité auprès des adeptes de l’exploration urbaine. L’état des bâtiments se dégrade et les murs sont couverts de graffitis. (Voir Villes fantômes au Canada.)

Camp 30, désigné lieu historique national en 2013, est le dernier camp de prisonniers de guerre intact au Canada. La municipalité de Clarington et la Jury Lands Foundation, une organisation sans but lucratif vouée à la conservation du site, élaborent des plans pour réaménager les bâtiments en vue d’un usage communautaire tout en préservant leur caractère historique. Cependant, les coûts de restauration estimés sont élevés et les bâtiments continuent de se détériorer.

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