« Les Américains sont nos meilleurs amis, que nous le voulions ou non ». Cette déclaration, prononcée à la Chambre des communes par Robert Thompson, chef du Parti Crédit social au début des années 1960, illustre possiblement de la meilleure manière la relation complexe qu’a le Canada avec son plus proche voisin.
Justin Trudeau et Donald Trump. Londres, Royaume-Uni. 3 décembre, 2019. Photo: Adam Scotti (PMO)
La Révolution américaine et les loyalistes de l’Empire-Uni
Lorsque les loyalistes de l’Empire-Uni fuient la vengeance des vainqueurs de la Révolution américaine (1775 à 1783) et arrivent dans les premières colonies britanniques au nord de la frontière, ils apportent avec eux un dégoût pour ce qu’ils considèrent être des excès de démocratie, voire de populocratie, qui les ont dépossédés.
En même temps, ils apportent une multitude d’attitudes et d’idéaux américains. Par exemple, les loyalistes ne veulent pas de religion d’État et ils aspirent à une éducation publique. Leurs héritiers politiques vont éventuellement créer un accord avec la Confédération incluant la présence d’un Sénat nommé pour servir de frein aux excès démocratiques de la Chambre des communes élue. Toutefois, la Loi constitutionnelle de 1867 inclut également un concept de fédéralisme qui, quoique différent du modèle adopté dans la Constitution américaine, lui ressemble sous certains aspects.
Réciprocité entre le Canada et les États-Unis
Les idées, les attitudes, les modèles et les échecs américains façonnent la nature même du Canada. Il en va de même pour une combinaison de peur et de profit. La réciprocité, un accord de libre-échange entre les États-Unis et le Canada, est en vigueur de 1854 à 1866. Le premier traité, signé en 1854, est en réponse aux exigences des marchands effrayés par la perte des marchés qui étaient précédemment assurés au Royaume-Uni. Bien que controversée, la réciprocité est censée avoir créé un essor économique en permettant aux Nord-Américains britanniques d’accéder au grand marché situé au sud.
La guerre de Sécession et le Canada
Lorsque la guerre de Sécession, qui se déroule entre les États du Nord (l’Union) et les États du Sud (Confédérés), ébranle la République américaine de 1861 à 1865, et accroît les tensions entre les gouvernements britannique et américain, le traité de 1854 est l’une des victimes (voir La guerre de Sécession et le Canada). En effet, le sentiment de mécontentement entre les gouvernements est si grand que de nombreux Canadiens craignent que le Nord, dont la victoire est imminente, ne tente de réunifier son peuple en organisant une invasion du Canada. Les incursions et les complots des fenians ajoutent foi aux rumeurs.
Le résultat de ces facteurs augmente la pression dans les provinces britanniques pour s’unir au Dominion du Canada. De cette manière, la défense pourrait possiblement être plus facile à gérer (si elle est toujours désespérée), et les économies des colonies pourraient être améliorées grâce à un plus large marché. Les pressions américaines contribuent à une absorption précipitée du Manitoba dans la Confédération en 1870 (voir aussi Rébellion de la rivière Rouge).
Le Canada existe dorénavant en tant que pays colonial nord-américain distinct, mais la force d’attraction des États-Unis ne se dissipe pas. La réciprocité demeure un but à atteindre. Le premier ministre conservateur, Sir John A. Macdonald, la désire avec autant de ferveur que le libéral Alexander Mackenzie.
Le saviez-vous ?
La dernière grande campagne électorale de Sir John A. Macdonald en 1891, une élection qu’il a remportée grâce au slogan « Je suis né sujet britannique et sujet britannique je mourrai », a l’étoffe d’une légende et est parfaite pour les manuels d’histoire. On oublie presque que Sir John A. Macdonald, le créateur de la Politique nationale de protection tarifaire élevée qui n’a généré singulièrement que peu de bénéfices économiques depuis sa mise en vigueur en 1879, avait cherché à conclure un accord commercial avec les Américains, tout juste avant les élections. Ce n’est qu’après avoir essuyé une nouvelle rebuffade que le Vieux Chef s’est enveloppé d’une chemise sanglante et a fait campagne contre les Yankees.
Vingt ans plus tard, en 1911, le premier ministre Sir Wilfrid Laurier conclut un accord avec les États-Unis pour la réciprocité sur les produits naturels, mais le Canada, maintenant industrialisé à un niveau insoupçonné en 1891, rejette à la fois le grand chef libéral et la réciprocité. En 1911, Sir Robert Borden dirige l’opposition vers l’accord de réciprocité avec sa campagne appelé « Ni troc ni commerce avec les Yankees ». Ce faisant, il force une élection générale et l’emporte.
La Première Guerre mondiale : une relation changeante entre le Canada et les États-Unis
Une demi-douzaine d’années plus tard, les nécessités de la Première Guerre mondiale (1914 à 1918) forcent le premier ministre Robert Borden à chercher une aide économique auprès du gouvernement du président Woodrow Wilson. Ironiquement, son argument le plus persuasif est que le Canada est le meilleur ami des États-Unis. L’argument fonctionne et les États-Unis offrent au Canada une aide financière qu’ils sont très réticents à offrir à leurs autres alliés.
La plupart des Américains ne connaissent que très peu de choses au sujet du Canada. Mais c’est sans importance. Il est entendu que les Canadiens, bien qu’encore soumis aux rois d’Angleterre, sont très semblables aux Américains. Évidemment, malgré les nuances subtiles qui différencient les deux pays, il est vrai qu’il existe de nombreuses similitudes entre les Canadiens (plus particulièrement les Canadiens anglais) et les Américains.
Le Canada est considéré comme un endroit sûr pour les investissements américains. Durant la Première Guerre mondiale, d’importantes sociétés américaines remplacent rapidement et sans effort le Royaume-Uni comme source principale d’investissements étrangers par le Canada. De nombreuses sociétés croient également que les consommateurs canadiens sont très semblables, bien qu’un peu moins riches, aux Américains. Ils ont des repères culturels similaires parce qu’ils regardent les mêmes films et lisent les mêmes revues que les Américains.
Migration canadienne vers les États-Unis
Pour de nombreux Canadiens, la plus grande force d’attraction des États-Unis réside dans de plus grandes opportunités. En raison du tarif élevé qui protège les manufacturiers canadiens, le coût de la vie est toujours plus élevé au Canada qu’aux États-Unis. Des dizaines de milliers de Canadiens immigrent aux États-Unis chaque décennie, à la recherche de meilleures opportunités pour eux-mêmes et leurs familles. Du milieu du 19e siècle jusqu’aux années 1930, plus de 900 000 francophones québécois émigrent aux États-Unis (voir Franco-Américains).
De nombreux groupes de populations, y compris les Noirs, les Juifs et les « étrangers » sont confrontés aux préjugés et à la discrimination, mais il règne également aux États-Unis une volonté d’accepter l’idée que les gens sont capables d’aller de l’avant grâce à leurs talents et à un travail acharné. Ces mêmes possibilités semblent parfois absentes au Canada, où le vieux « pacte de famille » semble conserver une mainmise sur l’économie et le statut social, et où seuls les citoyens d’origine britannique peuvent prétendre au prestige et au pouvoir.
Le climat canadien est pire, une conséquence inévitable de la géographie, les terres sont généralement moins fertiles, et la saison de croissance est plus courte. Les gens paient le prix pour être et demeurer Canadiens. Mais certains choisissent le Canada plutôt que les États-Unis pour diverses autres raisons, comme la loyauté à la Couronne et à l’Empire, mais aussi parce que le Canada échappe aux excès des États-Unis et de l’américanisme.
Deuxième Guerre mondiale
Cet aspect devient particulièrement évident après que les États-Unis atteignent un statut de superpuissance mondiale pendant et après la Deuxième Guerre mondiale. L’idéalisme américain, qui se manifeste par exemple dans l’instauration de la Loi du prêt-bail, qui donne aux alliés les munitions et les provisions nécessaires pour gagner la Deuxième Guerre mondiale, et du Plan Marshall, qui aide grandement à reconstruire l’Europe après la guerre, semble laisser place à un complexe militaro-industriel qui mène des guerres ingagnables pour des raisons géopolitiques.
La guerre du Vietnam et le Canada
La est l’exemple classique ; cette guerre est si terrible dans ses impacts sur les politiques américaines que des milliers de réfractaires à la conscription et de déserteurs militaires cherchent et trouvent refuge au Canada, en plus des milliers d’hommes et de femmes ordinaires américains. Pour la première fois, le flux d’immigration du sud vers le nord dépasse celui du Canada vers les États-Unis. La petitesse du Canada, et ce que beaucoup d’Américains perçoivent comme de la naïveté deviennent des vertus devant l’égarement apparent des États-Unis.
Cependant, un bon nombre de ces immigrants américains de la fin des années 1960 comprennent mal leur nouveau foyer, et cette incompréhension se révèle d’une façon frappante lorsque le gouvernement de Pierre Elliot Trudeau applique la Loi sur les mesures de guerre, en octobre 1970 (voir Crise d’octobre; Front de libération du Québec; Révolution tranquille; Nationalisme francophone au Québec). Ces récents arrivants des États-Unis ne comprennent pas pourquoi Pierre Elliot Trudeau reçoit un soutien public écrasant de la part du Canada anglais pour la suspension des libertés civiles et l’envoi des forces armées dans les rues de Montréal et d’Ottawa. Aux États-Unis, disent-ils, la population aurait envahi les rues pour protester tandis qu’au Canada les seules manifestations sont en faveur du gouvernement.
La guerre du Vietnam offre des débouchés aux entreprises canadiennes, un côté sombre de la nouvelle prospérité canadienne qui marque les années 1960 et les années suivantes. L’Accord sur le partage de la production de défense (APPD), négocié par le gouvernement de John Diefenbaker en 1958, crée un accord de quasi-libre-échange des matériaux de défense, dans un effort de réduire les déséquilibres commerciaux auxquels fait face le Canada en raison de ses dépenses militaires aux États-Unis. Des bombes et pansements, des viseurs d’armes et des grenades, fabriqués au Canada, sont utilisés dans la zone de guerre.
Pour certains Canadiens, l’intégration économique avec les États-Unis, symbolisée par l’APPD empêche le Canada de poursuivre une politique étrangère indépendante. L’intégration économique semble indéniable. Depuis la signature de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) en 1947, et les conférences internationales subséquentes, les tarifs entre le Canada et les États-Unis connaissent une baisse spectaculaire. Les investissements américains au Canada, qui ne représentent que 23 % du total en 1914, atteignent 60 % en 1939, 70 % en 1945, 76 % en 1955, 81 % en 1967 et 82 % en 1982. En 1986, ils tombent à 50 %. Des secteurs entiers de l’économie canadienne sont détenus et contrôlés aux États-Unis, et la possibilité pour les Canadiens de déterminer leur propre destinée semble s’éloigner.
Les années 1960 et 1970 sont témoins de la résurgence du nationalisme canadien, plus fort dans le centre du Canada que dans l’est ou l’ouest, de la création d’organisations comme le Comité pour l’indépendance du Canada, ainsi que des efforts faits par des personnalités politiques comme le ministre libéral des Finances Walter Gordon (1963-1965) pour contrôler les investissements étrangers. Le gouvernement de Pierre Elliot Trudeau crée l’Agence d’examen de l’investissement étranger (AEIE), qui est l’un des résultats législatifs du nouveau nationalisme, mais qui s’avère en fait être un tigre de papier. Bien que cette agence provoque la colère des investisseurs et du gouvernement américains, sa dissolution sous le gouvernement de Brian Mulroney suscite peu de protestations.
Le Canada et l’Accord du libre-échange
Le gouvernement progressiste-conservateur de Brian Mulroney se dirige vers un accord de libre-échange avec les États-Unis, en 1985. Comme nous l’avons souligné, les tarifs entre les deux pays sont généralement bas, mais les barrières non tarifaires (comme celles qui favorisent le prix des vins produits au pays par rapport aux vins californiens) sont courantes, et les subventions sont utilisées par les deux pays pour protéger les secteurs faibles de leur économie, ainsi qu’une foule d’autres problèmes divisent les nations. Selon des sondages d’opinion menés de 1985 à 1987, il existe un soutien substantiel, bien que déclinant, pour le libre-échange, mais il ne fait aucun doute que certains secteurs pourraient en souffrir.
Même après la signature de l’accord en octobre 1987, des questions continuent. Est-ce que les fragiles industries culturelles canadiennes seraient capables de survivre à des frontières ouvertes ? Est-ce que les secteurs agricoles comme les cultures fruitières de l’Ontario et de la Colombie-Britannique pourraient survivre ? Combien d’emplois industriels seraient perdus ? Les réponses ne sont pas claires, mais lorsqu’elles deviennent évidentes, l’appui du public peut possiblement augmenter ou décliner. La seule certitude est que le libre-échange supprime la frontière psychologique ayant aidé les Canadiens à demeurer convaincus qu’ils sont différents de leurs cousins du Sud (voir Politique culturelle).
Les nationalistes soutiennent que la souveraineté économique du Canada est sévèrement compromise par le flux de capitaux américains vers le nord. La souveraineté politique est également menacée par le désir du gouvernement et du peuple canadiens de suivre l’exemple américain dans le monde. Le Vietnam est l’exception qui confirme la règle, car si le Canada n’a pas envoyé de troupes à la guerre des Américains, c’est uniquement parce que le pays y était représenté à la Commission internationale de contrôle et de surveillance mise sur pied par les Accords de Genève de 1954. En tant que membre de l’OTAN et de NORAD, le Canada a rempli son devoir, parfois à contrecœur, mais en bon allié quand même.
Lorsque le gouvernement de Diefenbaker tarde à mettre le contingent canadien de NORAD sur un pied d’alerte, comme durant la crise des missiles cubains en octobre 1962, mais le ministre de la Défense nationale et les autorités militaires finissent tout de même par agir, et l’année suivante, l’intervention américaine contribue à renverser le gouvernement conservateur divisé de Diefenbaker. Étant donné sa position géographique, le Canada n’a pas d’autre choix que de faire sa part dans la défense de l’Amérique du Nord et du centre des États-Unis ; à l’étranger, la constellation de forces semble exiger que nous portions notre (petite) part du fardeau.
Les États-Unis et la souveraineté territoriale canadienne
Pourtant, la souveraineté canadienne sur le territoire national est sauve. Mais l’est-elle vraiment ? Les États-Unis n’ont jamais reconnu la souveraineté du Canada sur les voies navigables et les îles de l’Arctique et, durant la Deuxième Guerre mondiale, les opérations militaires américaines dans le nord, entreprises avec le plein consentement d’Ottawa, se sont multipliées à un point tel que le gouvernement fédéral a payé en totalité le coût de chaque installation, afin de s’assurer que les Américains quittent la région après 1945 (voir Souveraineté dans l’Arctique).
Cependant, la guerre froide ramène les militaires américains dans l’Arctique, et des incidents troublants se produisent lorsque des parlementaires canadiens doivent obtenir la permission du Pentagone avant de pouvoir visiter les stations de la ligne DEW. La construction de sous-marins nucléaires américains et soviétiques pouvant naviguer sous les glaces arctiques remet également en question la souveraineté canadienne dans le nord, tout comme le fait l’insistance des Américains, en 1968 et en 1985, à envoyer un pétrolier géant et un navire de la Garde côtière des États-Unis dans le passage du Nord-Ouest sans le consentement du Canada.
Même s’il a la volonté d’agir contre ceux qui violent le territoire canadien impunément, le Canada n’a pas la capacité militaire dans l’Arctique pour faire quoi que ce soit. Hormis des vols de surveillance occasionnels et une présence de forces militaires symbolique dans des endroits dispersés, l’occupation canadienne du Nord, à l’exception de faibles populations d’Inuits et de Dénés, ainsi que des foreurs de pétrole, est strictement limitée.
Différences et similitudes
Les Canadiens aiment insister sur les différences entre les deux pays. Les lois régissant le contrôle des armes à feu et le système de santé publique rendent le Canada distinct de son voisin. En 2003, le refus du Canada de se joindre aux États-Unis pour participer à la guerre en Irak suggère des approches divergentes à l’égard des affaires internationales.
Les différences sont d’autant plus prononcées à la suite de la victoire de Donald Trump à la présidence des États-Unis en 2017 (voir Relations canado-américaines). Celui-ci défile dans un style radicalement opposé à celui du premier ministre Justin Trudeau, un homme que le Washington Post qualifie comme « l’anti-Trump. » Après que le Canada ait accepté plus de 40 000 réfugiés venant de la Syrie, l’administration Trump tente d’empêcher les musulmans d’entrer aux États-Unis (voir Réponse canadienne à la crise des réfugiés syriens). Le gouvernement canadien impose une taxe sur le carbone, alors que Donald Trump affirme que le changement climatique est un canular chinois. Le premier ministre déclare qu’il est féministe et internationaliste, alors qu’en contraste, le président dénigre les femmes et les alliés américains dans ses commentaires publics. Néanmoins, une telle comparaison entre le président et le premier ministre, courante dans les médias, ignore les nombreux intérêts et valeurs que partagent les Canadiens et les Américains.
Les similitudes l’emportent sur les différences. Le Canada et les États-Unis sont tous deux des démocraties occidentales riches, et leurs citoyens partagent des valeurs communes. La langue anglaise relie la plupart des Canadiens aux Américains, et à la culture populaire américaine. Les deux économies sont étroitement liées, ce qui signifie que la prospérité canadienne dépend fortement de la réussite de l’économie américaine. Le grand défi du Canada est d’établir un équilibre entre les avantages de sa relation avec les États-Unis, et l’importance de maintenir son identité ainsi que sa souveraineté canadienne.