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Contact entre les Norrois et les Autochtones

Les établissements norrois du sud-ouest du Groenland sont les premières colonies européennes permanentes en Amérique du Nord. À cette époque, plusieurs groupes autochtones nord-américains vivent dans des régions avoisinantes, notamment au Groenland dans l’Extrême-Arctique et au nord-est de l’Amérique du Nord. Par conséquent, les Norrois et les Autochtones entrent souvent en contact.

Carte de l’est du Canada et du Groenland montrant l’étendue de l’occupation norroise et autochtone.

Contexte historique norrois

La création de colonies norroises dans le sud-ouest du Groenland à la fin du Xe siècle de notre ère marque le début de la colonisation européenne permanente en Amérique du Nord. Ces premiers Européens arrivent alors que les Autochtones nord-américains n’occupent pas cette région du Groenland (voir Répartition géographique de la culture Dorset). Les Dorset du Groenland, une variante régionale des groupes du Dorsétien ancien de l’Arctique canadien, avaient entièrement disparu au 1er siècle de notre ère. Bien que certains documents historiques norrois indiquent qu’ils ont découvert des ruines abandonnées à leur arrivée au sud du Groenland, il n’y avait pas de population autochtone. Cependant, des populations autochtones vivent dans des régions voisines du Groenland dans l’Extrême-Arctique et du reste du nord-est de l’Amérique du Nord. Les Norrois entreprennent fréquemment des expéditions au nord et à l’ouest de leurs colonies groenlandaises. Ils fondent même une colonie confirmée par document archéologique dans le nord de Terre-Neuve-et-Labrador (voir L’Anse aux Meadows). Pendant ces expéditions d’exploration dans l’Arctique et dans l’est de l’Amérique du Nord, les Norrois auraient rencontré différents groupes autochtones nord-américains.

Long hall viking sur le lieu historique national L’Anse Aux Meadows

Contexte historique autochtone

Les groupes Dorset (Tuniit) colonisent intensément le Groenland dans l’Extrême-Arctique entre 700 et 1300 de notre ère. On ignore toutefois s’ils explorent le sud du cap Melville en direction des colonies norroises pendant cette période. Les Dorset (Tuniit) sont également présents dans l’est de l’Arctique nord-américain à cette époque, depuis l’île d’Ellesmere au nord jusqu’à la région de Nain au Nunatsiavut au sud. De plus, les premiers Inuits seraient arrivés au Groenland dans l’Extrême-Arctique entre 1200 et 1300 de notre ère, certains groupes s’étant ensuite déplacés vers le sud le long des côtes du Groenland. À la même époque, plus au sud, dans le centre et le sud de Terre-Neuve-et-Labrador, vivent les ancêtres des Innus et des Beothuks, que les archéologues désignent collectivement comme les peuples de la période récente. Il semble également que certains de ces groupes de la période récente vivent aussi loin au nord qu’à la baie de Ramah, au Labrador, pendant la première phase de colonisation norroise au Groenland. Des documents historiques, des preuves archéologiques et, dans certains cas, des histoires orales autochtones attestent de contacts entre ces groupes autochtones et les Norrois.

Témoignage de l’histoire

Documents historiques norrois

Les récits écrits des Norrois sur leurs contacts avec les peuples autochtones d’Amérique du Nord émanent principalement de personnes n’ayant pas assisté aux événements et les ayant consignés des siècles après les faits. L’événement chronologique le plus ancien provient de la Flóamanna Saga, un manuscrit datant du XIIIe siècle qui relate les expériences semi-fantastiques d’un équipage naufragé dans l’est du Groenland vers l’an 1000 de notre ère. Cependant, aucun site Dorsétien connu de l’est ou du sud du Groenland ne date de cette période. Cela laisse croire que cet événement relève de l’imaginaire ou qu’il s’agit d’un amalgame d’une rencontre dans un autre lieu avec l’équipage naufragé de la Flóamanna Saga.

Quelques autres récits des Norrois décrivant leurs interactions avec les peuples autochtones de l’Arctique remontent au XIIIe siècle, voire après. Ils semblent, en général, rapporter des événements survenus à la même époque. Dans ces récits, les peuples autochtones portent le nom de « Skraeling », et la plupart des rencontres impliquent une sorte de conflit ou d’altercation violente avec les Norrois. Une des rares rencontres non violentes du XIIIe siècle décrit brièvement les « Skraeling » qui vivent loin au nord des Norrois. Le document archéologique laisse croire que ce serait des Dorset (Tuniit) ou des Inuits. Malheureusement, comme les sagas norroises confondent les différents groupes autochtones, on ignore si ces récits parlent de Dorset (Tuniit) ou d’Inuits.

Les Norrois consignent également, des siècles plus tard en Islande, les récits historiques de leurs expéditions dans ce qui constitue aujourd’hui Terre-Neuve et le sud du Labrador. Ils décrivent des rencontres avec des groupes autochtones, mais leurs interactions semblent plutôt superficielles et pas toujours amicales. Dans ces récits, les groupes autochtones sont également désignés collectivement sous le nom de Skraeling, sans distinction entre eux.

Traditions orales des Inuits du Groenland

Au XIXe siècle, Henrich Rink compile un recueil d’histoires et de légendes orales des Inuits du Groenland. Certaines d’entre elles décrivent les rencontres entre les ancêtres des Inuits et les Norrois, il y a des siècles. Si certains récits sont plus détaillés, ils sont un mélange de confrontations et d’échanges amicaux. Certaines histoires orales décrivent la cohabitation des Norrois et des Inuits. Comme c’est le cas avec les documents écrits par les Norrois, il est difficile de savoir si ces récits représentent des événements réels ou si d’autres facteurs les ont influencés.

Document archéologique

Le document archéologique raconte une histoire quelque peu différente. En Arctique, la quasi-totalité du document archéologique témoignant des interactions entre les Norrois et les Dorset ou les Inuits se présente sous la forme d’objets norrois découverts sur des sites non norrois. La quantité d’objets norrois varie considérablement d’un site à l’autre. Certains n’en contiennent aucun, tandis que d’autres, comme les sites de l’île Skraeling dans l’Extrême-Arctique, regorgent de matériel norrois. La présence de ce matériel norrois sur ces sites dorsétiens et inuits peut être due à des réseaux commerciaux complexes, mais aussi à des découvertes de navires norrois ou de camps temporaires, comme cela s’est produit lors des périodes ultérieures de contact entre les Inuits et les Européens. On peut déduire que les interactions entre les Norrois et ces groupes autochtones ont probablement duré plusieurs siècles, car des preuves de contacts ont été découvertes sur les sites dorsétiens (Tuniit) et inuits. En outre, de plus en plus de preuves démontrent que l’ivoire de morse constituait une ressource commerciale essentielle pour les colonies norroises du Groenland et leurs relations commerciales avec l’Europe. Cela indique qu’au moins une partie du matériel norrois découvert sur les sites dorsétiens (Tuniit) et inuits est liée au commerce de l’ivoire. Ces deux groupes autochtones de l’Arctique étaient peut-être des partenaires commerciaux importants à cette époque où l’économie mondiale commençait à se structurer.

Le document archéologique des interactions entre les Norrois et les groupes autochtones des régions subarctiques se révèle nettement moins substantiel. Les vestiges de L’Anse aux Meadows laissent croire que les Norrois se sont rendus près de Terre-Neuve-et-Labrador ou de ce qui constitue maintenant le Canada atlantique. On ne retrouve toutefois aucun objet norrois confirmé dans les sites autochtones contemporains de ces mêmes régions. Par conséquent, l’absence de document archéologique pour de telles interactions plus au sud semble confirmer la brièveté ou la circonspection des rencontres mentionnées dans les documents écrits.

On trouve rarement des objets autochtones sur les sites norrois, mais on compte tout de même quelques exemples significatifs. On a trouvé, sur un site norrois au Groenland, une pointe de projectile lithique semblable à celles des peuples de la période récente du sud du Labrador. Les Norrois auraient pu mettre la main sur cet artefact lorsqu’ils étaient installés dans le sud du Labrador ou à Terre-Neuve, ce qui ne prouve pas nécessairement un contact direct. On a aussi découvert une lampe en stéatite complète, caractéristique du style dorsétien, dans les niveaux supérieurs de l’un des bâtiments norrois du site de L’Anse aux Meadows. On n’observe pas ce style de lampe sur les sites dorsétiens de Terre-Neuve, mais on le retrouve souvent dans le nord du Labrador, dans des contextes du Dorset récent (environ de l’an 500 à l’an 1300 de notre ère). Comme l’objet est complet, il est très probable que les Norrois l’aient apporté sur place après une fouille d’un site dorsétien plus au nord, ou encore qu’il ait fait l’objet d’un troc lors d’une rencontre avec les peuples Dorset du Labrador ou de la région du détroit d’Hudson.

Habitations vikings

Conclusion

En général, les données existantes montrent que les interactions entre les Norrois et les groupes autochtones d’Amérique du Nord variaient selon le contexte. Selon les écrits, les échanges se déroulaient relativement rapidement et avec prudence. Cependant, le document archéologique, en particulier sur les sites arctiques, laisse croire que ces interactions duraient plus longtemps et étaient fondées sur le commerce. On ne sait pas exactement en quoi les interactions des Norrois avec les Dorset et les Inuits diffèrent. Cependant, la portée et l’ampleur des données donnent à penser que les interactions se sont probablement déroulées sur une longue période de plusieurs siècles. Les récentes découvertes mettant en évidence l’importance cruciale de l’ivoire nord-américain sur le marché artisanal européen médiéval offrent un contexte intéressant, mais non prouvé, pour comprendre comment et pourquoi les Norrois ont pu interagir plus intensément avec les groupes autochtones de l’Arctique plutôt qu’avec ceux du sud, et pourquoi on trouve si peu d’objets autochtones sur les sites norrois.

L'Anse aux Meadows
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