L’Achat de Crawford de 1783 est l’un des plus anciens accords territoriaux conclus entre les autorités britanniques et les peuples autochtones au Haut-Canada (aujourd’hui l’Ontario). Il permet aux loyalistes cherchant refuge et aux Autochtones ayant combattu aux côtés des Britanniques pendant la Révolution américaine de coloniser une grande étendue de terres sur la rive nord du fleuve Saint-Laurent et à l’est du lac Ontario. L’Achat de Crawford est l’une des nombreuses ententes conclues aux 18e et 19e siècles, regroupées sous le nom des Cessions de terres du Haut-Canada. (Voir aussi Traités autochtones au Canada.)
Contexte historique
La Proclamation royale de 1763 délimite les terres de la Couronne et celles des peuples autochtones en Amérique du Nord. Tout le territoire à l’ouest du Québec est alors réservé pour les «Indiens». La frontière s’étend de la rive sud du lac Nipissing jusqu’à l’intersection du 45eparallèle avec le fleuve Saint-Laurent. Toutes les terres au-delà de cette ligne (à l’exception de celles de la Compagnie de la Baie d’Hudson et de l’Arctique) appartiennent aux peuples autochtones qui y vivent, sauf si elles ont été cédées par traité ou par une entente semblable.
Pendant et après la Révolution américaine (1775-1783), de nombreux résidents des Treize colonies et des États-Unis, appelés les loyalistes, désirent quitter leur terre d’origine. On estime que 40000 à 50000personnes se rendent ainsi en Amérique du Nord britannique. Parmi les loyalistes, des Haudenosaunee ayant formé une alliance avec la Grande-Bretagne cherchent eux aussi une terre d’accueil. Le gouverneur du Québec, sir FrederickHaldimand (1778-1786), qui constate un besoin et souhaite maintenir l’appui des alliés autochtones afin d’empêcher les Américains d’envahir le territoire, entame donc des procédures pour trouver de nouvelles terres.
Les Mississaugas occupent alors la région à l’est et à l’ouest de ce qui est aujourd’hui Kingston, en Ontario. Dans une lettre destinée à sir FrederickHaldimand, envoyée à la mi-août1783, le surintendant des Affaires indiennes, sir John Johnson, rapporte que les Mississaugas «semblent n’avoir aucune objection à l’installation des Blancs à cet endroit, mais affirment que si leurs frères des Six nations décidaient de s’y établir, ils seraient si nombreux qu’ils s’empareraient des territoires de chasse et les forceraient à se relocaliser sur de moins bonnes terres». Sir Haldimand répond au surintendant d’entamer les négociations d’achat de terres avec les Mississaugas.
Négociations
Sir JohnJohnson charge le capitaine William Redford Crawford, qui a fait partie du Régiment royal du roi de New York, de mener les négociations avec les Mississaugas. Ce dernier les rencontre donc en octobre1783 sur l’île Carleton, située sur le fleuve Saint-Laurent. Parmi les représentants autochtones se trouve le chef aîné Mynass, qui vit alors au lac des Deux Montagnes (aujourd’hui Oka).
Dans son rapport du 9octobre, WilliamCrawford note avoir acheté «toutes les terres et les îles situées entre la rivière Toniata ou Onagara [le ruisseau Jones, près de Brockville] et une rivière dans la baie de Quinte [la rivière Trent]». Il affirme également que ses achats s’étendent, à partir du lac, «aussi loin qu’un homme peut se rendre en une journée». Toutes les terres correspondant à cette description vague sont achetées contre des biens. WilliamCrawford promet aux Mississaugas «que toutes leurs familles seront vêtues et que tous ceux qui n’ont pas de fusil à silex en recevront un nouveau, ainsi que de la poudre et des munitions, ce qui leur servira pour la chasse hivernale. Ils recevront également tout le tissu rouge nécessaire pour faire une douzaine de manteaux et tout autant de chapeaux.»
WilliamCrawford informe JohnJohnson que le chef Mynass a été très coopératif pendant la négociation de l’entente. Ce dernier, affirmant posséder les terres au nord du fleuve Saint-Laurent jusqu’à la rivière des Outaouais, a cédé de plein gré le territoire à la Couronne. Ainsi, les Britanniques lui promettent des vêtements pour lui et sa famille pour le reste de leurs jours. Malgré le décès du chef Mynass peu de temps après la conclusion de l’entente, les Britanniques continuent d’offrir à sa famille des vêtements.
Incidence
Aucune copie de l’acte officiel de transfert n’a survécu. De plus, aucun traité formel n’a été signé: les seules références aux conditions de l’entente résident dans deux lettres, soit une de WilliamCrawford à sir JohnJohnson et l’autre de John Johnson à sir FrederickHaldimand. Essentiellement, l’Achat de Crawford n’est pas un traité. Il s’agit en fait d’une acquisition de terres sans obligations récurrentes pour les Britanniques, alors que les paiements annuels ou les cadeaux sont des éléments importants de la plupart des traités.
Certaines sources affirment à tort que WilliamCrawford aurait acheté deux terres supplémentaires sur les rives du Saint-Laurent et du lac Ontario. La première couvrirait la région entre Brockville et la frontière du Québec (à l’exception d’une mince bande près de Saint-Régis, achetée en 1847 aux Haudenosaunee) et aurait été achetée aux Algonquins et aux Haudenosaunee en même temps que la parcelle de terrain entre la rivière Trent et Brockville. En fait, ce territoire est plutôt acquis lors des Achats de Saint-Régis et d’Oswegatchie, en 1784. La deuxième couvrirait quant à elle une zone entre la rivière Trent et la périphérie de la ville de Toronto actuelle et aurait été achetée en 1784, en 1787 et en 1788 des Mississaugas. Celle-ci a en fait été acquise lors de l’Achat Johnson-Butler de 1787-1788.
En 1784, le chef Kanyen'kehà:ka (Mohawk) John Deserontyon mène environ 100personnes à s’installer sur une part du territoire acquis lors de l’Achat de Crawford. Pour les remercier de leur appui pendant la Révolution américaine, les Britanniques offrent officiellement la région aux Mohawks de la baie de Quinte en 1793 en vertu du Traité3 1/2. La zone est aujourd’hui connue sous le nom de territoire Mohawk de Tyendinaga, mais elle est aujourd’hui plus petite qu’à son origine.
Controverse
Lorsque les arpenteurs britanniques arrivent sur place pour délimiter les cantons, ils découvrent que le chef Mynass ne contrôlait pas toutes les terres qu’il a cédées, notamment la partie sud du territoire ancestral algonquin. Les Algonquins envoient alors pendant plus de 200ans une série de pétitions au gouvernement pour revendiquer la propriété de ces terres, sans succès. La situation pourrait se régler sous peu grâce au premier traité moderne de l’Ontario. Les terres acquises lors de l’Achat de Crawford ne sont pas touchées par cette revendication.
Certaines sources donnent le nom de «Traité du coup de fusil» à l’Achat de Crawford. Ceci est toutefois incorrect: le «Traité du coup de fusil» fait plutôt référence à l’Achat Johnson-Butler.
Commémoration
En 1929, l’Achat de Crawford est déclaré événement historique national. En 1934, la Commission des lieux et monuments historiques du Canada dévoile une plaque à Kingston pour commémorer la transaction. Elle est fixée à un mur extérieur du fort Frontenac, à gauche de l’arche d’entrée menant sur la rue Ontario.