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Crise de Saint-Léonard

La crise linguistique de Saint-Léonard est le nom d’une période de deux ans de troubles civils de faible intensité dans la banlieue de Saint-Léonard à Montréal au milieu des années 1960. Dans le contexte de la Révolution tranquille, la crise était centrée sur la question de savoir si les immigrants allophones avaient le droit de choisir la langue d’éducation de leurs enfants. Bien qu’il y ait eu des manifestations de colère parfois violentes, la question a été résolue de manière paisible grâce à une législation et à une commission publique. La crise a ultimement mené à l’adoption de politiques linguistiques au Québec qui ont fait du français la seule langue officielle de la province, ainsi que la principale langue d’enseignement pour les immigrants dans la province.

Des manifestants présents pendant la crise de Saint-Léonard

Contexte historique

Dans les années 1950 et 1960, des immigrants italiens s’installent à Saint-Léonard. À l’époque, le quartier change rapidement d’un endroit rural et francophone à une banlieue de plus en plus multilingue. D’une population de 925 habitants en 1956, la population de Saint-Léonard passe à 52 000 habitants en 1971.

Plusieurs de ces immigrants italiens veulent que leurs enfants aillent dans des écoles de langue anglaise. Ils croient qu’apprendre l’anglais offrirait plus de possibilités à leurs enfants étant donné que la classe supérieure anglophone domine l’économie du Québec. En revanche, les écoles francophones sont plus axées sur la préservation des traditions. De plus, les endroits francophones sont moins accueillants pour les nouveaux immigrants. Le rapport Parent soutient que ceci est dû au fait que les générations précédentes de Canadiens français ont vécu dans un isolement culturel relatif et qu’ils sont donc très centrés sur la préservation de leur langue et de leur société. Comme les taux de natalité chez les francophones baissent, et que de nombreux immigrants apprennent l’anglais au lieu du français, l’immigration peut être perçue comme une menace potentielle pour la société francophone du Québec.

Tensions linguistiques

Tandis que des non-francophones s’installent à Saint-Léonard, la région voit également affluer des francophones de classe moyenne, dont plusieurs ont été activement impliqués dans des groupes nationalistes québécois durant leur jeunesse. (Voir Nationalisme francophone au Québec.) La communauté francophone de Saint-Léonard, qui avait été en majorité une décennie plus tôt, ne représente maintenant qu’un peu plus de la moitié de la population.

La présence de la communauté italienne mène à la création de classes en langue anglaise offertes par les écoles francophones. Un programme bilingue (français et anglais) est introduit pour les niveaux de 1 à 3 en 1963, mais en 1967, les parents sont découragés par ce programme, car les élèves n’en ressortent pas bilingues.

Le programme bilingue est censé aider les Italiens à s’intégrer à la majorité francophone. Cependant, le programme enseigne les mathématiques et les sciences en anglais, ce qui encourage les élèves à poursuivre leurs études secondaires en anglais. En 1968, près de 85 % des diplômés du programme bilingue choisissent d’aller à l’école secondaire en anglais.

Les commissaires scolaires proposent une élimination progressive du programme bilingue en faveur d’une éducation francophone unilingue pour les trois premières années, et l’anglais enseigné comme langue seconde. Les communautés d’immigrants s’opposent à cette proposition. En février 1968, ils s’organisent pour obtenir le droit de choisir la langue d’éducation de leurs enfants.

Entre-temps, en mars 1968, ceux qui sont en faveur d’une éducation francophone unilingue créent le Mouvement pour l’intégration scolaire (MIS), qui devient ensuite la Ligue pour l’intégration scolaire (LIS). Le MIS veut renverser la tendance des nouveaux immigrants à s’intégrer à la minorité provinciale anglophone. L’architecte de Saint-Léonard Raymond Lemieux est élu premier dirigeant du MIS. Les deux camps se présentent aux élections du conseil scolaire pour contester la question de la langue d’éducation.

Crise de Saint-Léonard

En mai 1968, le MIS remporte une majorité de sièges au conseil scolaire. Sa position est que la langue d’enseignement dans la communauté ne sera que le français, en commençant en septembre de cette année-là. Les parents de la communauté italo-canadienne réagissent en créant des écoles clandestines dans leurs maisons. Un compromis proposé, la conversion d’une école secondaire francophone en école pour la communauté anglophone, amène des élèves francophones à l’occuper pendant plusieurs jours. Quelques jours plus tard, le conseil scolaire revient sur sa décision. Lors du premier jour d’école en septembre 1968, un nombre estimé de 1700 élèves anglophones sont retenus à la maison en guise de protestation. La question devient rapidement un sujet de préoccupation nationale. Le 11 septembre 1968, le premier ministre Pierre Elliot Trudeau accepte de rencontrer les manifestants, qui en sont au point d’organiser des marches vers Ottawa, ainsi que des boycottages.

Émeutes de septembre 1969

Ni le gouvernement, ni les conseils scolaires, ni les groupes de parents ne sont parvenus à une solution lorsqu’arrive le début de la nouvelle année scolaire en septembre 1969. Un compromis voulant que la communauté italienne crée une école privée en partie subventionnée par le gouvernement pour une éducation en anglais laisse les deux camps insatisfaits. Le 3 septembre 1969, Raymond Lemieux organise une réunion publique avec la LIS dans une école secondaire près de Saint-Léonard. Un groupe de parents italiens y assistent, et la réunion dégénère en affrontements et violences qui nécessitent l’intervention de la police. Une autre manifestation, cette fois-ci une marche de la LIS au cœur de Saint-Léonard, a lieu le 10 septembre 1969; elle dégénère également en violences, qui causent des dégâts matériels, des arrestations, et des blessures. Le journal La Presse estime qu’environ 2500 personnes ont participé à la marche.

En réponse, le premier ministre du Québec, Jean-Jacques Bertrand, commande une enquête sur la langue française au Québec et sur les droits linguistiques en général. La Commission est présidée par le linguiste Jean-Denis Gendron, et est connue sous le nom de Commission Gendron. Les conclusions de la commission sont publiées en 1973, et ouvrent la voie aux politiques linguistiques du Québec.

En raison des violentes manifestations à Saint-Léonard, Jean-Jacques Bertrand se voit contraint d’agir avant que la commission n’ait publié son rapport final. En novembre 1969, son gouvernement adopte la Loi 63, un compromis qui vise à satisfaire les deux camps.

Loi 63

La Loi 63 est le premier projet de loi du gouvernement du Québec qui vise à promouvoir l’utilisation du français. Son objectif est d’encourager une éducation en français dans les écoles publiques du Québec. La loi insiste pour que les élèves inscrits dans les institutions anglophones acquièrent une connaissance du français. Cependant, les nationalistes québécois considèrent que la Loi 63 est trop faible pour préserver la viabilité de la langue française. Ils veulent obliger les immigrants à envoyer leurs enfants dans des écoles francophones. En1974, la Loi 63 est abrogée et remplacée par la Loi 22, qui est basée en partie sur les recommandations de la Commission Gendron.

Legs

Les lacunes de la Loi 63 mènent à des lois linguistiques plus strictes, comme la Loi 22 en 1974, et ensuite la Loi 101 en 1977. Cette dernière fait du français la seule langue d’éducation pour tous les nouveaux immigrants au Québec. Un important effet politique de la crise de Saint-Léonard est l’effondrement du Parti de l’Union nationale. Ce parti a dominé la politique du Québec pendant la majeure période d’avant la Révolution tranquille. L’Union nationale ne se remet jamais de sa mauvaise gestion de la crise.

Saint-Léonard continue d’être le foyer d’une large population italo-canadienne, ainsi que de plusieurs institutions culturelles italo-canadiennes importantes de Montréal. Le français est la langue parlée à la maison d’environ 44 % de la population locale, tandis que l’anglais est la langue parlée à la maison d’environ 22 % de la population. D’autres langues représentent 34 % de celles parlées à Saint-Léonard, qui est maintenant un arrondissement de la ville de Montréal.