La Déclaration des droits de la Saskatchewan est entrée en vigueur le 1er mai 1947. Rédigée principalement par l’avocat et défenseur des droits de l’homme Morris Shumiatcher, elle a été promulguée par le gouvernement de la CCF du premier ministre Tommy Douglas. Bien que les critiques aient débattu de son efficacité, elle reste importante, car elle a été la première déclaration des droits au Canada; elle est antérieure à la Déclaration canadienne des droits (1960), à la Charte des droits et libertés de la personne du Québec (1975) et à la Charte canadienne des droits et libertés (1982).
Contexte historique
Les droits civils sont des garanties de traitement non discriminatoire auxquelles les citoyens peuvent s’attendre indépendamment de leur race, de leur religion, de leur ethnicité, de leur sexe ou d’autres caractéristiques. Une déclaration des droits répertorie ces garanties. L’Acte de l’Amérique du Nord britannique, la pièce maîtresse de la constitution du Canada, ne contenait pas de déclaration des droits, parce que les fondateurs du Canada croyaient en la puissance de la common law britannique. Autrement dit, ils ont convenu que les libertés civiles existent naturellement et n’ont donc pas besoin d’être accordées ou répertoriées.
La Deuxième Guerre mondiale a pour effet de modifier l’opinion de nombreux Canadiens sur les droits de la personne. La montée des États fascistes en Europe, qui culmine avec l’assassinat de 6 millions de Juifs et de 5 millions de non-Juifs lors de l’Holocauste, met en évidence la nécessité de protéger plus explicitement les citoyens. On tire un enseignement similaire lorsque le gouvernement du premier ministre William Lyon Mackenzie King utilise la guerre pour justifier la suspension des droits, la prise de contrôle sans précédent de l’économie et l’internement des Canadiens d’origine japonaise. (Voir Internement des Canadiens d’origine japonaise.)
Contexte en Saskatchewan
Dans la Saskatchewan d’après-guerre, comme dans le reste du Canada d’ailleurs, les nouvelles idées sur les droits civils entrent en conflit avec les lois et les pratiques qui, pendant des décennies, ont discriminé toute personne qui n’était pas blanche et de sexe masculin. On pratique à l’époque la ségrégation dans certains endroits, dont des églises, des restaurants et des théâtres, en Saskatchewan comme dans d’autres communautés du Canada. (Voir Ségrégation résidentielle).
Lors des élections de juin 1944 en Saskatchewan, la Co-operative Commonwealth Federation (CCF) remporte 47 des 52 sièges de la province. Le chef du parti, Tommy Douglas, devient premier ministre. Peu après son entrée en fonction, Tommy Douglas nomme l’avocat et défenseur des droits de l’homme Morris Shumiatcher au poste d’officier juridique de la Saskatchewan, auprès du procureur général J.W. Corman. En tant que Juif, Morris Shumiatcher n’est pas sans connaître les effets de la haine antisémite et des lois et pratiques discriminatoires. Il sait pertinemment que le racisme et le sectarisme sont des problèmes systémiques. Ensemble, Tommy Douglas, J.W. Corman et Morris Shumiatcher conviennent que la discrimination pourrait être enrayée et les citoyens de la Saskatchewan mieux servis si la province disposait d’une déclaration des droits.
Morris Shumiatcher consulte de nombreux groupes et individus, dont le Congrès juif canadien et la Commission du droit et de la législation du Congrès juif américain. Il écrira plus tard qu’il espérait qu’une déclaration des droits « jetterait les bases d’une société meilleure, non seulement en Saskatchewan, mais dans tout le Canada ».
En mars 1947, le procureur général Corman se lève à l’Assemblée législative de la Saskatchewan pour présenter et faire adopter la Loi de 1947 sur la Déclaration des droits de la Saskatchewan. J.W. Corman déclare alors : « Je dirais, Monsieur le Président, que c’est peut-être le projet de loi le plus important à jamais avoir été présenté devant cette Chambre... il rivalisera en importance avec l’Acte de l’Amérique du Nord britannique ». Au terme d’un débat vigoureux, le projet de loi est adopté à l’unanimité. La Déclaration des droits de la Saskatchewan entre en vigueur le 1er mai 1947.
Principales dispositions et protections
La Déclaration des droits de la Saskatchewan renferme 19 articles. Elle stipule que « toute personne et toute catégorie de personnes » se voit garantir la liberté d’expression et d’association, le droit de vote, le droit d’adhérer à une organisation professionnelle et à un syndicat, et le droit de ne pas faire l’objet d’un emprisonnement arbitraire. D’autres dispositions stipulent qu’il est illégal de traiter de manière discriminatoire « toute personne ou catégorie de personnes » lors de la location ou de l’achat d’un bien immobilier, lors de l’enseignement dans les écoles et les universités et lors du service dans les lieux publics comme les restaurants et les hôtels.
La Déclaration stipule que la Couronne et tous les fonctionnaires et mandataires de la Couronne sont liés par la Déclaration des droits, ce qui signifie que tous les hommes politiques, fonctionnaires, avocats, juges et policiers doivent respecter ses dispositions. Elle stipule également que toute personne qui enfreint les dispositions de la Déclaration en privant un citoyen de ses droits sera passible d’amendes, de sanctions ou d’un emprisonnement.
La Déclaration des droits n’est restreinte que par des dispositions stipulant que les écoles à caractère religieux peuvent toujours engager du personnel d’une certaine religion ou croyance. En outre, elle stipule que rien dans la Déclaration des droits ne doit restreindre la liberté d’expression.
Critique
Bien que son adoption soit unanime et saluée par beaucoup, la Déclaration des droits de la Saskatchewan a des détracteurs. Une déclaration des droits peut être prescrite par la loi ou inscrite dans la constitution. Une déclaration des droits prescrite par la loi, comme la Déclaration des droits de la Saskatchewan, existe en tant que loi. Une déclaration des droits inscrite dans la constitution, en revanche, fait partie d’une constitution. Certains universitaires font valoir que pour remplir ses objectifs, une déclaration des droits doit être inscrite dans la constitution, car une loi peut être modifiée beaucoup plus facilement qu’une constitution.
D’autres critiques sont d’avis que les déclarations des droits, tant prescrites par la loi qu’inscrites dans la constitution, affaiblissent la démocratie en donnant aux tribunaux le pouvoir de limiter ou de passer outre les souhaits des gouvernements élus. Les opposants à la Déclaration des droits de la Saskatchewan avancent ces deux arguments, certains soutenant qu’elle est trop faible par sa nature statutaire, tandis que d’autres la croient au contraire trop puissante parce qu’elle transfère le pouvoir aux tribunaux. De l’avis de l’historienne Carmela Patrias, la Déclaration des droits de la Saskatchewan est inefficace, ayant été créée à l’initiative du gouvernement plutôt que de celle d’un mouvement populaire. Carmela Patrias déplore également « l’absence de toute mise à l’épreuve de ses dispositions devant les tribunaux », citant le fait qu’aucune affaire judiciaire n’a fait référence à la Déclaration des droits de la Saskatchewan comme preuve de l’efficacité limitée du document.
Importance
Malgré les critiques à son égard et son efficacité limitée, la Déclaration des droits de la Saskatchewan demeure un document d’importance, le premier du genre au Canada. Un an après sa promulgation, les Nations unies adoptent la Déclaration universelle des droits de l’homme, coécrite par le Canadien John Humphrey. 13 ans plus tard, en 1960, la Déclaration canadienne des droits voit le jour sous le gouvernement de John Diefenbaker. Il faudra attendre 1982 pour que soient enchâssés dans la constitution du Canada les droits de tous les citoyens canadiens avec l’adoption de la Charte des droits et libertés.
Voir aussi La révolution des droits au Canada; Droits de la personne; Philosophie des droits de la personne; Commission canadienne des droits de la personne; Loi canadienne sur les droits de la personne; Musée canadien pour les droits de la personne.