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Érik le Rouge

Érik le Rouge (Eiríkr rauða en vieux norrois et Eiríkur rauði en islandais moderne, ou Erik Thorvaldsson), colonisateur, explorateur, chef (né dans le district de Jæren, en Norvège; décédé vers l’an 1000 à Brattahlid, au Groenland). Colon islandais aux moyens modestes, bani de son pays pour avoir participé à une violente rixe, Érik le Rouge se crée une nouvelle réputation en explorant le Groenland et y fonde le premier village scandinave. Un de ses fils, Leif Eriksson, dirige quelques-unes des premières explorations européennes de la côte est de l’Amérique du Nord, y compris des régions qui font aujourd’hui partie de l’Arctique et des provinces de l’Atlantique.

Sources historiques

La vie d’Érik le Rouge est relatée dans de courts passages de plusieurs ouvrages islandais médiévaux, principalement dans La Saga des Groenlandais et La Saga d’Érik le Rouge. Il est également présent dans Le Livre des Islandais, Le Livre de la Colonisation, La Saga d’Olaf Tryggvason et La Saga de Snorri le godi. Les détails de sa vie varient quelque peu d’une source à l’autre, mais elles concordent suffisamment pour confirmer la dimension historique du personnage. Son surnom – le Rouge – lui aurait été attribué pour la couleur rousse de ses cheveux et de sa barbe.

Premières années en Islande

Eiriksstadir, à Haukadalur
Reconstruction de la demeure d’Érik le Rouge à Haukadalur, dans le Nord-Ouest de l’Islande. Photographie prise en 2009. (avec la permission de Simon Bramwell/Creative Commons, Flickr).

L’année de naissance d’Érik n’est pas connue. Les premières traces de sa vie remontent à l’époque de son arrivée en Islande avec son père, Thorvald, après avoir quitté le district de Jæren, dans le Sud-Ouest de la Norvège,  pour une « histoire de meurtre ». Mais la manière dont Érik et Thorvald y ont trempé n’est pas claire. Au vu des dates des événements ultérieurs, cet incident doit avoir eu lieu dans les années 970. À cette époque, la colonie viking d’Islande possède déjà une importante population. Les meilleures régions étant déjà occupées, Thorvald et Érik s’installent à Drangar, dans les Hornstrandir, sur la côte nord-est du Nord-Ouest de l’Islande. La région, avec son sol de mauvaise qualité et sa courte période de végétation, n’est normalement pas convoitée par des fermiers comme Érik et Thorvald, mais ils n’ont pas l’influence nécessaire pour accéder à de meilleurs sites.

Érik épouse – tout à son intérêt – Thjodhild (ou Thorhild, d’après certaines sources), qui est issue d’une famille aisée. Après le décès de son père, Érik part vers le sud pour s’installer dans la région plus accueillante de Breidafjordur, où le beau-père de Thjodhild possède une propriété dans le Haukadalur (vallée du faucon). Érik obtient un coin de la propriété et met sur pied une petite ferme qu’il baptise Eiríksstaðir. L’empreinte d’une salle, qui aurait servi de chaumière à Érik et à sa famille, a été complètement extraite du sol entre 1997 et 1998.  Sa taille modeste reflète le statut relativement précaire d’Érik à l’époque.

Érik a eu quatre enfants : trois fils et une fille. Thjodhild est la mère de Thorstein et de Leif, et il se peut qu’elle soit également la mère de Thorvald. La fille d’Érik, Freydis, est née hors mariage; on ignore le nom de sa mère.

Exil et exploration du Groenland

Autour de l’année 980, une dispute éclate entre Érik et un voisin à qui il a prêté de précieuses pièces d’ameublement décoratives, des axes de sièges pivotants. La rixe qui s’en suit, dans laquelle se lancent les deux hommes et leurs alliés respectifs, se soldera par plusieurs morts. Érik est condamné à trois années d’exil pour avoir participé à la bagarre. Il va néanmoins utiliser son temps au mieux. Ayant eu connaissance que Gunnbjorn Ulf-Krakason a aperçu il y a 50 ans des terres à l’ouest de l’Islande alors que son vaisseau était dérouté par le mauvais temps, Érik décide d’aller les explorer.

Partant de Snæfellsnes, dans l’Ouest de l’Islande, il aperçoit les premières terres sur la côte est du Groenland, à un endroit qui sera plus tard baptisé Blåserk (chemise noire), probablement dans le voisinage de l’actuelle Ammassalik. En suivant le littoral autour de la pointe sud, il rejoint la côte ouest, bien plus hospitalière. Il passe son premier hiver sur une île située au centre de ce qui sera plus tard appelé l’Établissement de l’Est. Durant le reste de son exil, il explore la plus grande partie du littoral groenlandais et prend conscience que les terres seraient propices à l’élevage tel que pratiqué en Islande. Il baptise les lieux qu’il traverse et revendique la propriété de l’ensemble des terres.

Le saviez-vous?
Aucun Autochtone n’habitait le Sud du Groenland au moment où les Scandinaves l’ont colonisé, mais le Livre des Islandais relate qu’Érik le Rouge et son équipe ont trouvé des objets laissés par d’anciens habitants autochtones, notamment des abris, des pierres taillées et des morceaux de bateaux en peau.

Eriksfjord (aujourd’hui appelé le fjord de Tunulliarfi), sur l’une des parcelles de terre les plus prometteuses qui bordent le fjord. Il baptise l’endroit Brattahlíð (pente raide), un nom qui décrit bien la topographie locale. Le village est aujourd’hui connu sous le nom de Qassiarsuk.

Ses compagnons sont à peine mentionnés dans les écrits, mais Érik ne voyage pas seul. Il est accompagné d’une équipe composée d’amis fidèles et d’ouvriers talentueux à son service, tels que Thorhall le chasseur. Thorhall est intendant-chasseur pour Érik durant l’été et contremaître durant l’hiver.

Fondation de la colonie scandinave au Groenland

Ayant terminé ses trois années d’exil, Érik retourne à Breidafjordur avec ses gens. Il déclare alors vouloir s’établir de manière permanente dans le nouveau pays et invite d’autres à le suivre. Il nomme le pays Groenland, pensant qu’un joli nom encouragerait les candidats au départ. Les sagas suggèrent que tout cela n’était que propagande, mais le nom va cependant bien aux endroits choisis pour s’établir. Leur aspect verdoyant contraste en effet avec le reste du paysage aride.

La Saga des Groenlandais mentionne que 35 navires se sont joints à l’expédition d’Érik. Le Livre de la Colonisation parle de 25 navires, mais les deux écrits conviennent que seuls 14 d’entre eux sont arrivés à leur destination. Les autres ont sombré ou ont été repoussés vers l’Islande par des tempêtes. Ce voyage se situe en 984 ou en 985, les écrits le plaçant 14 ou 15 hivers avant la christianisation de l’Islande, qui s’est déroulée en 999 ou en 1000. Des indices archéologiques ont depuis confirmé que les Scandinaves se sont bien établis dans le Sud du Groenland à cette époque. Ces premiers colons devaient être pour la plupart des éleveurs de bovins, de moutons et de chèvres. La Saga des Groenlandais mentionne le nom de neuf des colons ainsi que les terres qu’Érik leur a attribuées à leur arrivée. Leurs familles et les membres de leur personnel ne sont par contre que rarement mentionnés.

Vie ultérieure

En s’imposant comme le chef suprême du Groenland, Érik gagne considérablement en statut. La Saga d’Érik le Rouge raconte qu’« il était tenu en grande estime et respecté de tous ».

Selon certains écrits, son fils Leif aurait importé les coutumes chrétiennes au Groenland autour de l’an 1000. Érik s’y serait généralement opposé, mais Thjodhild acceptera la nouvelle religion et contribuera à la construction d’une petite église à Brattahlid. D’après La Saga d’Olaf Tryggvason, Érik déclare un jour que le prêtre amené dans la colonie est un escroc, et qu’en l’invitant dans la communauté, son fils Leif a commis une erreur qui a malgré tout été compensée par la bonne action qu’il fit en sauvant la vie d’un membre de l’équipage d’un bateau naufragé. La Saga des Groenlandais mentionne qu’Érik ne s’est jamais converti au christianisme, mais La Saga d’Érik le Rouge suggère qu’il a simplement pris du temps à changer de religion, tandis que La Saga d’Olaf Tryggvason ajoute que sur les conseils de Leif, Érik s’est fait baptiser, tout comme le reste de la population présente à l’époque au Groenland. L’idée que le Groenland ait été christianisé avant 1015 a été fortement contestée, mais aucune sépulture païenne n’y a été trouvée. De plus, des indices archéologiques remontant au premier village indiquent qu’à Brattahlid, une petite église chrétienne était entourée d’un cimetière où les premières inhumations ont pu se faire dans les années 990. (Il est possible que les restes de personnes inhumées plus tôt suivant des rituels païens aient été exhumés puis inhumés à nouveau autour de l’église.)

Brattahlid (Qassiarsuk), Groenland
Reconstruction de l’église de Thjodhild et de la demeure d’Érik le Rouge à Qassiarsuk, au Groenland, le site de Brattahlid durant la colonisation par les Scandinaves. Photographie prise en 2018. (avec la permission de gordontour/Creative Commons, Flickr

Lorsque le fils d’Érik, Leif, décide d’explorer à la voile la région à l’ouest du Groenland qui sera plus tard baptisée Vinland (dans l’est de l’Amérique du Nord) autour de l’an 1000, Érik refuse dans un premier temps de se joindre à lui, se considérant trop vieux. Il change plus tard d’avis, mais renonce finalement après avoir perçu de mauvais présages concernant son éventuelle participation au voyage.

L’année et les circonstances exactes du décès d’Érik ne sont pas claires. Selon La Saga des Groenlandais, il serait mort durant l’hiver qui a suivi le retour de Leif du Vinland (c.-à-d., autour de l’an 1000), victime d’une épidémie qui a frappé Brattahlid. La Saga d’Érik le Rouge raconte de son côté qu’Érik est toujours en vie lorsque l’explorateur Karlesfni arrive au Vinland, au début du 11e siècle, après l’épidémie.

Importance

Les citations attribuées à Érik le Rouge sont rares dans les sagas, mais ces actes parlent pour lui. Têtu et prompt à se mettre en colère, il avait décidé d’améliorer son sort et son influence. Il a mis à profit ses déboires juridiques en Islande pour gagner en notoriété et en autorité grâce à la colonisation et au développement d’un vaste pays inconnu des Européens, un pays qui porte toujours le nom qu’il lui a donné. 

Son fils, Leif, a suivi ses pas d’explorateur en dirigeant quelques-unes des premières expéditions vikings en Amérique du Nord, notamment sur l’île de Baffin, au Labrador, à Terre-Neuve et dans les Maritimes.