Gérard Bouchard, historien et sociologue québécois, intellectuel public de réputation internationale (né le 26 décembre 1943 à Jonquière, au Québec). Ses ouvrages couvrent une variété de sujets, notamment le nationalisme, les identités collectives et les imaginaires collectifs, la société québécoise et la gestion de la diversité. En 2007–2008, Gérard Bouchard a coprésidé, avec le philosophe Charles Taylor, la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles au Québec.
Gérard Bouchard
Photo: Eric Lanthier, Flickr.
Formation et carrière
Issu d’une famille modeste du Lac-Saint-Jean, Gérard Bouchard est le fils de Philippe Bouchard et d’Alice Simard.
Il fait un baccalauréat ès arts au Collège de Jonquière. Ensuite, il étudie l’histoire et la sociologie à l’Université Laval, où il côtoie, entre autres, le politologue Léon Dion et le sociologue Fernand Dumont. Il y obtient sa maîtrise en sociologie, en 1968.
Il fait son doctorat à l’Université de Paris à Nanterre (anciennment nommé Paris X). Il publie sa thèse, en 1972, sous le titre Le village immobile: Sennely-en-Sologne au XVIIIesiècle.
Gérard Bouchard intègre à sa pratique des méthodes de diverses disciplines, afin de reconstituer des dynamiques complexes dans lesquelles des comportements s’inscrivent. Ce faisant, il n’hésite pas à explorer la démographie, l’ethnologie, la génétique des populations, la biochimie, l’épidémiologie, l’informatique et le droit.
En 1971, il devient professeur à la toute nouvelle Université du Québec à Chicoutimi.
Dès son arrivée, il entreprend la construction d’un fichier informatisé, nommé BALSAC, sur la population saguenéenne et fonde, en 1976, la Société de recherche sur les populations (SOREP). À partir des actes de l’état civil qui ponctuent les principaux événements de la vie des populations de la région, le fichier, achevé en 1986, permet d’établir les histoires individuelles et familiales.
Jugeant de la pertinence des résultats, Gérard Bouchard poursuit l’enrichissement du fichier BALSAC, qui finira par englober des données sur l’ensemble de la population du Québec, du 17e à la période contemporaine. Cette infrastructure gigantesque contient actuellement des données touchant près de cinqmillions d’individus et permet toutes sortes d’analyses comparatives.
Entre-temps, la SOREP devient un groupe de recherche interuniversitaire et change de nom en 1994 pour Institut interuniversitaire de recherche sur les populations (IREP). Plusieurs grandes universités québécoises en font partie.
Pendant sa carrière qui s’étale sur un demi-siècle, Gérard Bouchard fait paraître quelque 40 ouvrages et 300 articles qui portent sur une variété de thèmes: mobilité sociale, systèmes de reproduction familiale, rituels populaires, évolution de la fécondité, transformation des sociétés rurales, démogénétique des maladies héréditaires, identités collectives, émergence des nations et des nationalismes dans les sociétés du Nouveau Monde, structures de la pensée, mythes sociaux, imaginaires collectifs, modèles de gestion de la diversité ethnoculturelle, fondements culturels de l’Union européenne – pour ne nommer que ceux-là.
Contributions intellectuelles
On peut diviser son parcours en six axes:
Réflexions sur l’émergence de sociétés neuves en contexte de peuplement et de transition entre le capitalisme et la culture paysanne. Les travaux en génétique humaine, fondés sur une exploitation interdisciplinaire de BALSAC, mènent à la publication d’ Histoire d’un génome (1991), puis à Quelques arpents d’Amérique (1996), l’aboutissement d’un quart de siècle de travaux sur la population saguenéenne.
Comparaisons entre le Québec et d’autres collectivités neuves issues d’empires européens. Genèse des nations et cultures du Nouveau Monde (2000) évalue les efforts de prolongement de la société d’origine et la distance qu’elle prend dans ses pratiques discursives qui mènent à la création d’un imaginaire collectif. Selon lui, les élites au Québec seraient davantage restées collées sur le «Vieux Monde» que les élites des sociétés étatsunienne ou latino-américaine.
Études des imaginaires collectifs. Ses travaux sur le Saguenay et les collectivités neuves font ressortir contradictions et distorsions dans les imaginaires nationaux. Raison et déraison du mythe (2014) se demande comment une idée se transforme en mythe et finit par se propager pour être crue comme vraie.
Regards sur les assises symboliques du lien social dans l’Union européenne. Gérard Bouchard avance que l’échec de l’UE de développer des fondements symboliques partagés parmi ses membres ont souligné la persistance des identités nationales et régionales, souvent occultées par les fondateurs de l’UE.
Influence sur les politiques publiques. Sa réflexion sur les modèles d’intégration de la diversité a occupé une place importante au Québec. Les consultations de la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles (2007-2008) ouvrent une fenêtre sur les perceptions de soi et de l’autre, les stratégies identitaires, les constructions mémorielles, ainsi que les symboles et les mythes parfois contradictoires. L’importance d’une culture publique commune est au cœur de sa conception de l’interculturalisme et du modèle québécois de la gestion de la diversité. En 2017, la Politique d’affirmation du Québec et de relations canadiennes, intitulée Québécois, notre façon d’être Canadiens, qui prône une systématisation du modèle d’interculturalisme comme projet de construction et d’appartenance identitaires, fait sienne une grande partie des réflexions de GérardBouchard.
Production de romans. Mistouk (2002), Pikauba (2005) et Uashat (2009) abordent des thèmes similaires – mythes du Nouveau Monde, féérie des grands espaces, rencontre avec les Autochtones, sentiment d’inachèvement –, mais par la voie de la fiction, qui fait parler des gens ordinaires, dans leur langue, de leurs rêves.
Prix et distinctions
De 2002 à 2017, Gérard Bouchard est titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la dynamique comparée des imaginaires collectifs.
Il est également directeur d’études associé à l’École des hautes études en sciences sociales de Paris en 1999 et professeur invité à l’Université Harvard en 2008-2009, où il dirige la William Lyon Mackenzie King Chair pour le programme d’études canadiennes.
Pour ses contributions à la connaissance, il remporte le prix Jacques-Rousseau de l’ACFAS en 1985, le prix Léon-Gérin en 1993 et le prix Gérard-Parizeau en 2001. Son ouvrage Quelques arpents d’Amérique (1996) lui mérite le prix Lionel-Groulx et le prix Sir-John-A.-Macdonald de la Société historique du Canada. Genèse des nations et cultures du Nouveau Monde (2000) lui fait remporter le Prix littéraire du Gouverneur général. Il a reçu la Légion d’honneur de France (2002) et plusieurs doctorats honorifiques, dont de l’Université de Sherbrooke et de l’Université Laval en 2015.
Gérard Bouchard est professeur émérite de l’UQAC depuis sa retraite en 2017.
Dans son plus récent livre, Les nations savent-elles encore rêver? (2019), Gérard Bouchard juge que la mondialisation, le néolibéralisme et les migrations font rapetisser le rêve québécois, qui a longtemps revendiqué l’autonomie d’une petite société francophone et la participation à une fédération biculturelle. Le projet canadien – bilingue et multiculturel–, selon lui, prend le dessus comme modèle de moralité, de compassion et de générosité au Québec.
Gérard Bouchard est le frère de Lucien Bouchard, avocat, politicien, fondateur du Bloc québécois et premier ministre du Québec de 1996 à 2001.