Le territoire autochtone, également appelé territoire traditionnel, désigne les liens ancestraux et contemporains des peuples autochtones avec une zone géographique. Les territoires peuvent être définis en fonction des liens de parenté, de l’occupation, des itinéraires de déplacements saisonniers, des réseaux commerciaux, de la gestion des ressources, et des liens culturels et linguistiques avec les lieux.
Les territoires autochtones évoluent constamment, à la fois dans un contexte juridique et sur la base des liens de parenté et des relations entre les nations autochtones. Cet article aborde certaines des difficultés liées à la cartographie des territoires autochtones, et il explore à quel point il peut être difficile, voire impossible, de saisir avec précision les visions du monde du point de vue autochtone et la compréhension des territoires ancestraux dans un cadre cartographique colonial.
Native-Land.ca
La carte ci-jointe, préparée par Native-Land.ca, est une ressource qui peut être utilisée pour identifier les territoires traditionnels des peuples autochtones à travers le Canada. Elle a été créée à l’aide d’une variété de ressources, incluant des consultations avec les communautés autochtones. Cette carte est un travail en cours et elle est constamment révisée. Les utilisateurs sont invités à faire part de leurs commentaires et corrections en cliquant sur le lien se trouvant sur la carte.
Définitions du terme territoire
Il existe plusieurs différences entre les points de vue des Autochtones sur le terme territoire et les définitions juridiques et politiques canadiennes du terme. La compréhension des Autochtones est basée sur les visions du monde qui sont à la fois complexes et spécifiques à leur culture, et elles représentent une variété de relations à multiples facettes ainsi que des liens ancestraux avec les lieux depuis des temps immémoriaux. Les limites territoriales et les protocoles entourant l’utilisation des ressources diffèrent d’une nation autochtone à l’autre, et sont fortement axés sur les liens de parenté.
Les liens de parenté peuvent déterminer qui a accès ou autorité sur la gestion des ressources ou les sites de récolte dans certaines régions, par exemple par le biais des chefs héréditaires, des liens familiaux, des mariages, ou des clans. Étant donné que les relations sont établies de différentes façons, les limites entre les territoires peuvent être fluides et complexes. En Colombie-Britannique, par exemple, certaines Premières Nations, comme les Salish de la côte, ont des hiérarchies de liens de parenté moins rigides qui déterminent l’utilisation et l’occupation d’un territoire partagé par des familles. D’autres Premières Nations, comme les Tsimshian, ont un système de propriété et d’utilisation plus strict qui est défini par la descendance des groupes et des clans.
Les histoires orales qui sont partagées entre les générations contiennent également des connaissances traditionnelles concernant les territoires ancestraux. Ces histoires fournissent des informations sur le territoire d’une nation autochtone grâce à la connaissance des modèles d’utilisation, des observations des systèmes écologiques, et des événements passés qui se sont produits au cours des milliers d’années d’occupation. L’utilisation des ressources et les déplacements saisonniers nécessitent une connaissance complexe des terres acquise par les histoires orales et les connaissances traditionnelles. Par exemple, les chasseurs inuits racontent les histoires de leurs déplacements pour informer les autres chasseurs des endroits où se trouvent les villages et la nourriture. Les Inuits utilisent également des inukshuks pour indiquer où ils sont allés et qui ils sont. Cette manière expérientielle de connaître un lieu offre une définition vivante des limites territoriales.
Alors que les définitions autochtones d’un territoire sont généralement plus fluides que les interprétations coloniales, dépendamment des relations entre les nations autochtones voisines, les cadres juridiques canadiens de la compréhension d’un territoire sont basés sur les zones géographiques qui sont divisées et définies par des unités politiques majeures, comme les provinces et les villes. Avant la colonisation du Canada, le concept d’État-nation tel que défini par la science politique occidentale n’existait pas dans les conceptions politiques autochtones. Les diverses nations autochtones avaient leurs propres structures politiques qui variaient en fonction de l’histoire culturelle complexe de chaque région et groupe. Les colons ont imposé le concept d’État-nation et ses définitions territoriales aux communautés autochtones.
Aujourd’hui, les Premières Nations reconnues par le gouvernement fédéral fonctionnent en tant que bandes définies par la Loi sur les Indiens, tout en incorporant des aspects de leurs systèmes traditionnels de gouvernance et de réglementation. Les Inuits sont également reconnus par le gouvernement canadien comme étant des peuples autochtones, et ils gouvernent leur propre territoire. Ceci est défini comme étant l’Inuit Nunangat, qui comprend 53 communautés réparties dans quatre régions : l’ Inuvialuit (dans les Territoires du Nord-Ouest et le Yukon), le Nunavut, le Nunavik (dans le nord du Québec) et le Nunatsiavut (au Labrador). L’établissement et la reconnaissance des bandes autochtones autonomes sur les territoires traditionnels changent la figure du territoire canadien. La création du Nunavut en 1999, par exemple, modifie considérablement les limites politiques et territoriales du Nord canadien. Malgré le fait que de nombreuses nations autochtones luttent encore pour que les gouvernements reconnaissent leurs territoires traditionnels, on peut constater une croissance de la reconnaissance des cartographies et des concepts autochtones de territoires. (Voir aussi Histoire de la cartographie.)
Défis de la cartographie des territoires autochtones
Les cartes coloniales peuvent être à la fois utiles et dommageables pour les peuples autochtones. Les cartes conçues par les explorateurs et les premiers colons font partie des meilleurs documents qui indiquent où telle et telle nation vivait à l’époque du premier contact, et ces documents peuvent aider les peuples autochtones à démontrer la validité de leurs revendications sur leurs territoires. Cependant, ces cartes se réfèrent à des limites fixes et des frontières distinctes, et elles ne reflètent pas adéquatement les systèmes sociaux complexes des territoires partagés ou entrecroisés entre les nations autochtones. La cartographie des limites territoriales entre les nations autochtones, qui se poursuit aujourd’hui, peut provoquer des tensions et des conflits entre des groupes apparentés qui ont des liens s’étendant au-delà de ces frontières.
Des difficultés de cartographie des territoires autochtones peuvent également survenir lorsque le chercheur et le détenteur des connaissances autochtones ne partagent pas la même langue ni la même vision du monde. Les cartes coloniales ont été conçues par des Européens qui ne connaissaient que peu les langues et les pratiques culturelles autochtones, alors celles-ci doivent être perçues comme des reflets incomplets de la réalité sur le terrain de l’époque. Par exemple, si un explorateur a conçu la carte d’une région partagée par plusieurs nations autochtones en se basant sur les informations qu’il a recueillies auprès d’un seul informateur d’une de ces nations, la carte ne reflète que la compréhension de cette personne et de cette communauté de la région, et elle n’inclut pas les points de vue des autres nations de la région. Cette même carte, si utilisée aujourd’hui, peut donc privilégier la revendication territoriale d’une nation par rapport aux autres, car une seule nation est documentée sur la carte, alors que plusieurs nations se partageaient le territoire à l’époque où la carte a été conçue.
Aujourd’hui, les personnes qui travaillent avec ces cartes coloniales doivent garder à l’esprit cet aspect lorsqu’elles interprètent les données de la carte, et elles doivent également comprendre qu’aucune carte ne pourra jamais refléter complètement et précisément ce qui se passait dans une région lorsque les Européens sont arrivés. Certaines limites ne sont pas tracées correctement en raison de distorsions sur les cartes coloniales. Par exemple, le territoire traditionnel algonquin dans le bassin versant de la rivière Ottawa en Ontario a été exclu des cartes après le tracé de la ligne de démarcation entre le Haut et le Bas-Canada en 1791. Certaines nations autochtones, dont les Algonquins, ont lancé des projets pour retracer leurs territoires, et ils ont constaté que les cartes n’avaient pas été dessinées avec précision. Cette reconfiguration des territoires du point de vue des Autochtones est également connue sous le nom de contre-cartographie. Ceci est important, car les cartes coloniales continuent d’être utilisées pour faire valoir les frontières politiques.
Depuis que les Européens ont commencé à cartographier les territoires traditionnels, il y a eu des disputes entre les peuples autochtones et les gouvernements provinciaux et fédéral au sujet des frontières des terres traditionnelles et des droits de propriété, de gouvernance et d’utilisation des ressources présentes sur ces territoires.
Traités, revendications territoriales, et réserves
Au cours du 19e siècle, les peuples autochtones sont déplacés de leurs terres vers des réserves qui ne représentent qu’une partie de leur territoire initial. Ces réserves sont attribuées par l’établissement des traités et par l’intermédiaire de la Commission des réserves indiennes. Aujourd’hui, les Premières Nations reconnues par le gouvernement fédéral vivent sur les réserves et y gèrent leurs propres gouvernements. Cependant, les Premières Nations possèdent des territoires traditionnels au-delà des réserves. Dans le cas des Premières Nations qui ont signé des traités, le gouvernement définit ces territoires en fonction des limites stipulées dans les traités. Pour les Premières Nations qui n’ont pas signé de traités, la définition des territoires traditionnels peut découler des processus de négociation de traités en cours ou d’autres interactions avec le gouvernement canadien et le système juridique. (Voir aussi Revendications territoriales des Autochtones au Canada.) Au Canada, il existe également des nations autochtones qui ne sont pas reconnues par le gouvernement fédéral, mais qui possèdent des territoires traditionnels. Par exemple, la Première Nation Qalipu mi’kmaq est reconnue, mais elle n’est pas liée à une réserve. De plus, les Métis et les Indiens non inscrits vivent partout dans le Canada et ont des liens avec divers territoires traditionnels. Une décision de la Cour suprême en 2016 reconnaît que les Métis et les Indiens non inscrits relèvent de la juridiction du gouvernement fédéral, ce qui a des répercussions sur la reconnaissance de leurs droits liés aux territoires traditionnels.
Qu’une Première Nation ait signé un traité ou non, la compréhension qu’a chaque groupe de son territoire traditionnel est plus détaillée et plus spécifique que ce qui est défini par le gouvernement canadien. Les gouvernements des Premières Nations et leurs bureaux de gestion des terres définissent leurs territoires traditionnels en fonction de l’histoire orale ainsi qu’en fonction des connaissances des aînés et des membres de la communauté. La communauté elle-même est la meilleure source d’information pour tout ce qui concerne son propre territoire. (Voir aussi Autonomie gouvernementale des Autochtones.)
Titre autochtone et terres autochtones en droit canadien
Au Canada, le titre autochtone fait référence aux droits des Autochtones à la terre basés sur l’utilisation et l’occupation de longue date des terres par les peuples autochtones contemporains et leurs ancêtres en tant que peuples d’origine du Canada. Dans le système juridique canadien, le titre autochtone est reconnu comme étant sui generis, ce qui signifie qu’il s’agit du droit collectif unique d’utilisation et de juridiction sur les territoires ancestraux, et qu’il est distinct des droits des citoyens canadiens non autochtones en vertu de la common law.
La définition actuelle du titre autochtone a été façonnée par diverses affaires judiciaires. En 2014, la Cour suprême du Canada confirme un titre autochtone pour la première fois lors du procès de la Nation des Tsilhqot’in c. Colombie-Britannique, une affaire qui crée un précédent qui définit la manière dont le titre autochtone est compris au Canada. Dans cette décision, la nation des Tsilhqot’in obtient un titre de propriété sur environ 1800 km2 de terres situées à l’extérieur d’une réserve.
Parmi les autres affaires judiciaires qui ont créé des précédents, mentionnons : l’affaire Delgamuukw c. Colombie-Britannique (1997), qui crée un précédent concernant l’utilisation des histoires orales comme preuve d’utilisation de terres, et qui définit plus précisément les droits autochtones et les titres ancestraux; l’affaire Sparrow (1990), qui définit plus en détail la portée des droits ancestraux; et l’affaire Mikisew Cree First Nation c. Canada (2005), qui définit davantage l’obligation de consulter et d’accommoder les communautés autochtones pour tout ce qui concerne l’appropriation et l’utilisation des terres. (Voir aussi L’obligation de consulter.)
Des développements récents dans le domaine du droit autochtone ont fait en sorte que les études sur l’utilisation traditionnelle des terres soient des outils essentiels pour les évaluations environnementales et les processus réglementaires, ainsi que pour les litiges liés aux titres et aux droits des Autochtones. Ces études créent des biographies cartographiques des connaissances et de l’utilisation en documentant des informations comme les sites de pêche, les sites de chasse, les sites de récoltes, les sentiers et les régions culturelles. Elles traduisent les preuves historiques, sociales et géographiques de l’utilisation et de l’occupation dans une langue qui est familière à un public canadien non autochtone en capturant des données spatiales sur des expériences vécues.
Résurgence des noms de lieux autochtones
À partir du moment où les explorateurs européens arrivent pour la première fois en Amérique du Nord, ils donnent des noms aux endroits qu’ils explorent, et ce processus de dénomination se poursuit à mesure que les colons arrivent et que la colonisation s’ensuit. Les peuples autochtones vivant dans ces lieux ont déjà des noms pour les désigner dans leurs propres langues, mais ces noms ne sont que rarement enregistrés par les explorateurs et les colons, et ne sont presque jamais utilisés comme noms officiels. Par conséquent, les noms des lieux autochtones sont largement éliminés du paysage, car ils n’apparaissaient pas sur les cartes.
Toutefois, étant donné que les cultures autochtones utilisent l’histoire orale pour documenter et transmettre les connaissances, ces noms de lieux ont été préservés au sein des communautés par la tradition orale, et de nombreuses personnes utilisent toujours ces noms pour désigner des lieux qui portent des noms coloniaux sur les cartes. Au cours des dernières années, on assiste à une résurgence des noms de lieux autochtones au Canada alors que les nations autochtones travaillent avec les gouvernements locaux pour restaurer ces noms de lieux en les inscrivant officiellement sur les cartes et sur les signalisations publiques.
Reconnaissances des territoires
La reconnaissance des territoires (qui peut être également appelée reconnaissance des terres) est une déclaration qui reconnaît les terres ancestrales autochtones et les peuples autochtones qui y ont vécu (et dans certains cas qui y vivent toujours). De nombreuses institutions et organisations offrent des reconnaissances territoriales avant des événements. Malgré le fait que les reconnaissances territoriales sont considérées comme un pas vers la réconciliation, de nombreux peuples autochtones croient qu’elles sont devenues performatives, et qu’elles bénéficieraient d’une action plus significative. (Voir aussi Reconnaissance du territoire.)