Les Cents Jours
Après des années passées à tenter de sortir de l’impasse dans l’immense réseau de tranchées du front de l’Ouest, les armées françaises et britanniques ainsi que les forces des nations composant leur empire finissent, à l’été 1918, par trouver le moyen de battre les Allemands en exploitant de nouvelles tactiques sur le champ de bataille et en utilisant de nouvelles armes. Les alliés sont également aidés par l’arrivée de troupes fraîches venues des États-Unis pour participer à la guerre. Enhardis par leur victoire décisive à Amiens plus tôt cette année-là, les commandants alliés décident de rester offensifs à l’automne 1918 : ils lancent de multiples attaques contre de solides positions allemandes dans tout le Nord de la France, notamment une attaque contre les forces ennemies tenant la ville de Cambrai, un nœud stratégique du réseau de chemin de fer et une plate-forme d’approvisionnement essentielle de l’armée allemande.
L’ensemble de ces attaques est connu sous le nom de campagne des Cents Jours, une offensive alliée spectaculaire qui a mis en déroute les forces allemandes et a conduit à la signature de l’armistice le 11 novembre.
Les défenses de Cambrai
Cambrai est non seulement solidement défendue par les forces allemandes, mais elle est également entourée par un réseau de canaux artificiels étroitement imbriqués, naturellement difficiles à franchir aussi bien pour l’infanterie que pour les chars, l’une des nouvelles armes utilisées sur le champ de bataille. Ces canaux sont également gardés par des postes de mitrailleuses ennemis, par des fils barbelés et par d’autres défenses.
Pour pénétrer dans Cambrai, les forces alliées doivent traverser le canal du Nord à l’est de la ville et s’emparer des hauteurs du bois de Bourlon, une colline boisée qui surplombe les rives du canal. C’est au Corps expéditionnaire canadien, sous le commandement du lieutenant-général Arthur Currie, qu’échoit la tâche difficile de prendre ces deux obstacles. Les Allemands ont inondé une grande partie des terres entourant le canal et les voies, rendant ainsi la mission encore plus ardue.
Currie passe la fin du mois de septembre à planifier soigneusement son attaque. Les spécialistes canadiens et britanniques du génie, s’appuyant sur des ressources et des effectifs accrus, reçoivent comme instruction de construire des ponts au-dessus du canal qui seront utilisés au cours de l’attaque ainsi que des lignes de tramway pour transporter l’artillerie et les autres équipements dont on se servira sur le champ de bataille.
L’assaut
Le matin du 27 septembre, dans la foulée d’un barrage d’artillerie en mouvement, appelé barrage roulant, qui maintient les défenseurs allemands au fond de leurs abris ou enfermés dans leurs postes de mitrailleuses en béton, le Corps expéditionnaire canadien, protégé sur ses flancs par les forces britanniques, donne l’attaque sur une portion sèche du canal partiellement excavé. À la tombée de la nuit, après une journée de durs combats, le canal, désormais parfaitement défendu par les forces alliées, est traversé et le bois de Bourlon conquis.
Durant les jours qui suivent, les Canadiens repoussent plusieurs contre-attaques acharnées des Allemands. Tout au long de la bataille, les soldats canadiens sont assistés, sur un terrain particulièrement difficile et souvent inondé, par les spécialistes du génie réparant les routes et montant des ponts à la hâte pour permettre à l’infanterie et à l’artillerie de traverser.
Une fois les défenses extérieures de Cambrai débordées, la ville est libérée par les alliés le 11 octobre.
Les croix de Victoria
Plusieurs croix de Victoria, la récompense militaire la plus prestigieuse accordée par l’Empire britannique pour des actes de bravoure militaire, sont accordées à des militaires du Corps expéditionnaire canadien à l’occasion des batailles pour le canal du Nord et pour Cambrai. Le lieutenant G. T. Lyall, ingénieur en mécanique de formation, fait partie des soldats ainsi honorés. Il s’est retrouvé en compagnie de ses hommes confronté, dès le premier jour de la bataille, à un emplacement fortifié allemand dans le bois de Bourlon. Contournant cette position, Lyall et ses hommes capturent 13 soldats allemands et s’emparent d’une pièce d’artillerie de campagne et de quatre mitrailleuses. Plus tard, Lyall part seul à l’assaut d’une autre poche de résistance, capturant quarante-cinq prisonniers et faisant main basse sur cinq mitrailleuses. Une fois atteint son objectif final, il fait quarante-sept autres prisonniers tout en assurant la défense de la position de sa compagnie.
Ultérieurement, le 1er octobre, Lyall et ses hommes capturent quatre-vingts prisonniers supplémentaires et s’emparent de dix-sept mitrailleuses après avoir submergé un emplacement fortifié allemand.
S. L. Honey, qui, lui aussi, obtient la croix de Victoria lors de cette bataille, avait déjà reçu la Médaille militaire et la Médaille de conduite distinguée pour son comportement lors de la bataille de la crête de Vimy en 1917. Au cours de l’assaut sur le bois de Bourlon, le 27 septembre, tous les officiers de l’unité de Honey sont blessés ou tués. Honey prend alors le commandement de sa compagnie et réorganise sa progression sous des tirs incessants. Seul, il investit un nid de mitrailleuse et prend cette position, faisant dix prisonniers et s’emparant de l’arme. Il réussit alors à maintenir sa position face à quatre contre-attaques allemandes successives avant de conduire la capture d’une autre position qu’il avait découverte durant une mission de reconnaissance solitaire après la tombée de la nuit. Le 29 septembre, il conduit une autre attaque contre un emplacement fortifié allemand au cours de laquelle il est blessé; il décède de ses blessures le lendemain.
Les victimes
Les historiens considèrent quasi unanimement que la prise du canal du Nord constitue l’une des plus grandes réussites tactiques des Canadiens pendant la Grande Guerre. Souvent dans l’ombre de la prestigieuse victoire de 1917 lors de la bataille de la crête de Vimy, elle n’en est pas moins impressionnante. Elle met en exergue l’efficacité d’une infanterie hautement mobile soutenue par une aviation, une artillerie et des spécialistes du génie bien coordonnés, une recette que le Corps expéditionnaire canadien réutilisera avec succès pour toutes les autres batailles de la campagne des Cents Jours.
Les coûts ont cependant été terribles. Plus de 13 600 Canadiens ont été tués ou blessés durant les six jours de combats pour la prise du canal et des hauteurs entourant Cambrai, faisant de cette bataille l’une des opérations les plus sanglantes que les militaires canadiens aient menées pendant la Grande Guerre. Globalement, plus de 30 000 Canadiens ont été tués ou blessés lors de la bataille de Cambrai.